Le rapprochement entre Arianespace et Airbus Safran Launchers (ASL) devait marquer un tournant stratégique dans l'histoire de l'Europe spatiale. Après quarante ans de partenariat entre les organismes de recherche publique et les industriels, l'émergence d'un poids lourd européen de l'industrie regroupant l'ensemble des activités spatiales semblait impérative. La bataille commerciale et technologique qui fait rage dans ce secteur implique pour l'industrie d'atteindre une taille critique susceptible de permettre le déblocage d'investissements colossaux. C'était le sens du rapprochement entre Arianespace et ASL, présenté alors comme une aubaine pour l'Europe toute entière. Cependant, ce projet ne semble pas susciter l'enthousiasme des autorités de régulation de l'UE.
La commissaire en charge de la concurrence Margrethe Vestager, a en effet annoncé le 26 février 2016, l'ouverture d'une enquête approfondie sur la question. La justification officielle de cette enquête a suscité l'ire de nombreux observateurs, tant par son côté purement technocratique, que par le décalage complet entre les principes sur lesquels se fondent la Commission et la réalité de la concurrence mondiale dans ce domaine. Se fondant sur un respect strict des règles de bonne concurrence, la commission européenne se réserve un droit de veto sur ce rapprochement, au risque de se voir accusé au mieux d'angélisme (nous serions bien les premiers à respecter les dites règles), voire de servir au pire en sous main la concurrence américaine. Comme d'ordinaire, le fond du problème est un peu plus complexe.
Ce qui motive l'acquisition d'Arianespace par ASL
Voilà maintenant quelques années qu'Airbus, deuxième actionnaire d'Arianespace, le leader mondial sur le marché du lancement de satellite, aspire à devenir majoritaire. Détenu jusqu'ici par l'État français via les 34,69% de parts actionnariales du Centre national d'étude spatiale (CNES), le rachat d'Arianespace par ASL achèverait la deuxième phase de la stratégie d'intégration menée par Airbus. La création en janvier 2015 d'Airbus Safran Launchers (ASL) qui rassemble dans une "co-filiale" les activités de lanceurs spatiaux d'Airbus et de Safran marquait la première étape de ce processus. Sur le plan industriel, l'objectif qui préside aux plans d'Airbus est d'intégrer verticalement la chaîne de valeur aérospatiale afin d'optimiser la fabrication des satellites, leur lancement et leur mise sur orbite.
Si la compétitivité peut faire office pour certain d'argument erroné quand elle sert à justifier la constitution de monopoles, les investissements colossaux propres au secteur spatial requièrent une réelle assise industrielle avec des acteurs susceptibles de s'engager sur des investissements de plusieurs milliards d'euros. Les coûts de recherche assumés jusque là par les États sont de plus en plus élevés (il manque 800 millions sur les 4 milliards que coûtent le projet Ariane 6). On peut s'interroger sur la pertinence pour l'Etat Français de "lâcher" ainsi ses part dans un secteur éminemment stratégique. Mais très clairement, le partage des rôles entre public et privé ne facilite plus suffisamment l'harmonisation des processus entre la phase de développement et la phase d'industrialisation. Au regard par ailleurs de la réussite du processus de privatisation des lanceurs spatiaux aux États-Unis, le rapprochement entre industriels européens est vu d'un bon œil par Paris.
Au delà de la logique industrielle, l'enjeu de cette restructuration prend relief à la lumière du contexte concurrentiel international. Les lanceurs américains SpaceX et russes Soyouz, rattrapent progressivement Arianespace sur le marché du lancement et de la mise en orbite. Suite aux déboires du programme Constellation, Barack Obama a fait en premier le pari de confier le marché des lanceurs au privé SpaceX qui n'en fini pas d'enchaîner les succès. Copieusement soutenu par la Nasa qui délègue désormais à SpaceX les missions de ravitaillement de la station ISS, le lanceur américain propose une offre de lancement 50 à 75% moins cher que son concurrent européen Arianespace.
La Commission met son grain de sel, un air de déjà-vu
Au regard de telles circonstances, la décision de la commission européenne d'ouvrir une enquête dans le cadre du rachat d'Arianespace par ASL pour suspicion d'entrave à la concurrence semble ubuesque. En plus de passée pour un non sens sur le plan politique, puisqu'elle fait le jeu des pourfendeurs du technocratisme bruxellois, cette décision apparaît comme une faute sur un plan industriel. Pour autant, les termes du problème sont vraisemblablement plus complexes que les commentateurs pressés veulent bien le faire croire, et l'argument principal avancé par Bruxelles semble moins déconcertant que par le passé (on se souviendra de la qualification en 1991 du projet de rachat par le Français Aérospatiale et l'Italien Alenia de leur concurrent Canadien Da Havilland "d'entrave à la concurrence" par la Commission).
Dans le cas du rachat d'Arianespace, la réticence majeure de Bruxelles relève des effets négatifs qu'une telle opération pourrait avoir sur le reste de l'industrie spatiale européenne. D'après une source interne à la commission dont les propos sont rapportés par le site Bruxelles2, la Commission se montrerait inquiète pour les petits concurrents européens qui eux aussi aspirent un jour à devenir grand. C'est le cas du fabricant de satellites Allemand OHB (Met Aerospace AG), actionnaire d'Arianespace à hauteur de 8,26% et partenaire de la commission européenne dans le cadre du lancement de Galileo. OHB se serait plaint directement auprès des instances de régulation de la commission européenne du projet de concentration d'ASL.
Fixer un cap à l'Europe stratégique, le sempiternel défi
Si la divergence d'intérêts intra-communautaire montre les limites d'une analyse franco-centrée des questions industrielles européennes, elle n'en est pas moins révélatrice de l'incapacité de l'institution bruxelloise à fixer des priorités tangibles à sa politique. A l'origine de décisions souvent mal comprises, elle se borne à faire respecter le cadre réglementaire avec un entêtement qui frise parfois l'absurde. A vouloir ménager la chèvre et le chou, la Commission finit par faire le jeu des concurrents internationaux sur le long terme. Tout comme elle ne prend pas conscience du caractère hautement stratégique que revêt la naissance d'un géant de l'industrie spatiale européen, elle nie les facteurs qui ont fait le succès d'Arianespace jusque-là.
Comme le souligne Nicolas Gros-Verheyde, le rédacteur en chef de Bruxelles2, "la réussite d'Arianespace tient au fort degré d'intégration que lui ont accordé les États européens jusqu'ici", intégration dont n'ont pas bénéficié d'autres secteurs stratégiques européens aujourd'hui à la traîne (aviation de chasse, etc.). Dans le cas précis du spatial, la position de monopôle favorise l'innovation. C'est à cette forte intégration qu'Arianespace doit son avance technologique. Compromettre l'émergence de champions européens pourrait être une erreur politique et industrielle aux conséquences lourdes, tout en laissant l'impression d'une Europe bien prompte à se tirer une balle dans le pied.
La commissaire en charge de la concurrence Margrethe Vestager, a en effet annoncé le 26 février 2016, l'ouverture d'une enquête approfondie sur la question. La justification officielle de cette enquête a suscité l'ire de nombreux observateurs, tant par son côté purement technocratique, que par le décalage complet entre les principes sur lesquels se fondent la Commission et la réalité de la concurrence mondiale dans ce domaine. Se fondant sur un respect strict des règles de bonne concurrence, la commission européenne se réserve un droit de veto sur ce rapprochement, au risque de se voir accusé au mieux d'angélisme (nous serions bien les premiers à respecter les dites règles), voire de servir au pire en sous main la concurrence américaine. Comme d'ordinaire, le fond du problème est un peu plus complexe.
Ce qui motive l'acquisition d'Arianespace par ASL
Voilà maintenant quelques années qu'Airbus, deuxième actionnaire d'Arianespace, le leader mondial sur le marché du lancement de satellite, aspire à devenir majoritaire. Détenu jusqu'ici par l'État français via les 34,69% de parts actionnariales du Centre national d'étude spatiale (CNES), le rachat d'Arianespace par ASL achèverait la deuxième phase de la stratégie d'intégration menée par Airbus. La création en janvier 2015 d'Airbus Safran Launchers (ASL) qui rassemble dans une "co-filiale" les activités de lanceurs spatiaux d'Airbus et de Safran marquait la première étape de ce processus. Sur le plan industriel, l'objectif qui préside aux plans d'Airbus est d'intégrer verticalement la chaîne de valeur aérospatiale afin d'optimiser la fabrication des satellites, leur lancement et leur mise sur orbite.
Si la compétitivité peut faire office pour certain d'argument erroné quand elle sert à justifier la constitution de monopoles, les investissements colossaux propres au secteur spatial requièrent une réelle assise industrielle avec des acteurs susceptibles de s'engager sur des investissements de plusieurs milliards d'euros. Les coûts de recherche assumés jusque là par les États sont de plus en plus élevés (il manque 800 millions sur les 4 milliards que coûtent le projet Ariane 6). On peut s'interroger sur la pertinence pour l'Etat Français de "lâcher" ainsi ses part dans un secteur éminemment stratégique. Mais très clairement, le partage des rôles entre public et privé ne facilite plus suffisamment l'harmonisation des processus entre la phase de développement et la phase d'industrialisation. Au regard par ailleurs de la réussite du processus de privatisation des lanceurs spatiaux aux États-Unis, le rapprochement entre industriels européens est vu d'un bon œil par Paris.
Au delà de la logique industrielle, l'enjeu de cette restructuration prend relief à la lumière du contexte concurrentiel international. Les lanceurs américains SpaceX et russes Soyouz, rattrapent progressivement Arianespace sur le marché du lancement et de la mise en orbite. Suite aux déboires du programme Constellation, Barack Obama a fait en premier le pari de confier le marché des lanceurs au privé SpaceX qui n'en fini pas d'enchaîner les succès. Copieusement soutenu par la Nasa qui délègue désormais à SpaceX les missions de ravitaillement de la station ISS, le lanceur américain propose une offre de lancement 50 à 75% moins cher que son concurrent européen Arianespace.
La Commission met son grain de sel, un air de déjà-vu
Au regard de telles circonstances, la décision de la commission européenne d'ouvrir une enquête dans le cadre du rachat d'Arianespace par ASL pour suspicion d'entrave à la concurrence semble ubuesque. En plus de passée pour un non sens sur le plan politique, puisqu'elle fait le jeu des pourfendeurs du technocratisme bruxellois, cette décision apparaît comme une faute sur un plan industriel. Pour autant, les termes du problème sont vraisemblablement plus complexes que les commentateurs pressés veulent bien le faire croire, et l'argument principal avancé par Bruxelles semble moins déconcertant que par le passé (on se souviendra de la qualification en 1991 du projet de rachat par le Français Aérospatiale et l'Italien Alenia de leur concurrent Canadien Da Havilland "d'entrave à la concurrence" par la Commission).
Dans le cas du rachat d'Arianespace, la réticence majeure de Bruxelles relève des effets négatifs qu'une telle opération pourrait avoir sur le reste de l'industrie spatiale européenne. D'après une source interne à la commission dont les propos sont rapportés par le site Bruxelles2, la Commission se montrerait inquiète pour les petits concurrents européens qui eux aussi aspirent un jour à devenir grand. C'est le cas du fabricant de satellites Allemand OHB (Met Aerospace AG), actionnaire d'Arianespace à hauteur de 8,26% et partenaire de la commission européenne dans le cadre du lancement de Galileo. OHB se serait plaint directement auprès des instances de régulation de la commission européenne du projet de concentration d'ASL.
Fixer un cap à l'Europe stratégique, le sempiternel défi
Si la divergence d'intérêts intra-communautaire montre les limites d'une analyse franco-centrée des questions industrielles européennes, elle n'en est pas moins révélatrice de l'incapacité de l'institution bruxelloise à fixer des priorités tangibles à sa politique. A l'origine de décisions souvent mal comprises, elle se borne à faire respecter le cadre réglementaire avec un entêtement qui frise parfois l'absurde. A vouloir ménager la chèvre et le chou, la Commission finit par faire le jeu des concurrents internationaux sur le long terme. Tout comme elle ne prend pas conscience du caractère hautement stratégique que revêt la naissance d'un géant de l'industrie spatiale européen, elle nie les facteurs qui ont fait le succès d'Arianespace jusque-là.
Comme le souligne Nicolas Gros-Verheyde, le rédacteur en chef de Bruxelles2, "la réussite d'Arianespace tient au fort degré d'intégration que lui ont accordé les États européens jusqu'ici", intégration dont n'ont pas bénéficié d'autres secteurs stratégiques européens aujourd'hui à la traîne (aviation de chasse, etc.). Dans le cas précis du spatial, la position de monopôle favorise l'innovation. C'est à cette forte intégration qu'Arianespace doit son avance technologique. Compromettre l'émergence de champions européens pourrait être une erreur politique et industrielle aux conséquences lourdes, tout en laissant l'impression d'une Europe bien prompte à se tirer une balle dans le pied.