Centre nucléaire de Cattenom (crédit Wikimedia.org)
Surévalué ou sous-évalué ?
Le drame de Fukushima en 2011 a relancé le débat sur la sortie du nucléaire, en France, mais aussi dans plusieurs autres pays. Ce débat sur l'abandon de l'énergie atomique masque toutefois le sujet tout aussi brûlant du démantèlement des centrales en fin d'exploitation. Si la sortie du nucléaire reste encore au stade de projet, le démantèlement des centrales est déjà une réalité. L'Hexagone compte en 2013, 9 réacteurs en cours de démontage. L'ensemble des 58 réacteurs en activité devrait connaître le même sort d'ici 2060. Évaluer le coût de ces opérations relève plus d'une obligation que d'une option. Le prix du démantèlement est en effet l'élément manquant, qui permet de mesurer exactement le poids de l'électricité nucléaire sur les finances de l'État, des entreprises et des contribuables.
Plusieurs estimations ont été avancées depuis plus de trois décennies maintenant. Les spécialistes ont beau adopter un « consensus », selon lequel le prix d'un démantèlement équivaut à peu près à 15 % du coût de construction d'une centrale, dans la réalité, cette règle est loin d'être respectée, comme l'atteste le cas du site de Brennilis. Son retrait du parc nucléaire français, entamé dans les années 80, était censé coûter autour de 20 millions d'euros au départ. Trente ans après, la facture se monte à 380 millions d'euros, alors que les travaux sont loin d'être terminés. Même les commissions gouvernementales s'emmêlent les crayons lorsqu'il s'agit de chiffrer le démontage des 58 centrales encore actives. Quand la Cour des comptes vise une enveloppe de 20 à 40 milliards d'euros, la commission Énergies 2050, elle, table sur des dépenses pouvant atteindre 750 milliards d'euros.
Un chiffrage complexe
La règle des 15 % est le fruit de nombreux calculs, réalisés par les experts des pays nucléarisés au sein de l'OCDE. Plusieurs paramètres ont été pris en compte pour en arriver à cette conclusion. Le coût du démantèlement d'une centrale dépend entre autres de la durée de l'opération, de la puissance du réacteur, de son âge et du volume de déchets produits. La déconstruction des bâtiments, le transfert/traitement des déchets radioactifs ainsi que le réaménagement du site engendrent également des frais supplémentaires. Là réside le plus grand casse-tête de l'évaluation du démontage d'une centrale nucléaire. La valeur de chaque paramètre peut en effet évoluer en fonction de plusieurs autres variables. On peut notamment citer les progrès dans les techniques de traitement des déchets nucléaires, les intempéries, les considérations politiques, voire même les mouvements géologiques.
Les autorités allemandes se sont heurtées à un tel obstacle. Depuis quarante ans, le pays enferme ses déchets radioactifs dans une mine de sel d'Asse, dans la Basse-Saxe. Considéré à l'origine comme stable, le site subit en 2004 l'activité des fondations granitiques des montagnes alentour. Des fissures apparaissent alors dans la structure de recouvrement. Depuis cet incident, des équipes de surveillance injectent en permanence du béton dans l'enceinte. Cet exemple montre à quel point il est difficile d'anticiper toutes les dépenses que le démantèlement d'une centrale nucléaire pourrait engendrer. Et dans le cas de la France, estimer le coût de mise hors service de 58 réacteurs est mille fois plus compliqué.
Une méthodologie unique est nécessaire
La France, l'Allemagne, les États-Unis et les autres pays exploitant l'atome possèdent leur propre procédure d'estimation. Seulement, au sein même de l'Hexagone, les organes publics, les industriels et autres cabinets d'étude procèdent de manières on ne peut plus différentes. Pourtant, plusieurs tentatives ont été menées afin d'uniformiser les modes de chiffrage en France comme dans le reste de l'Europe. Une démarche « standard », imaginée par l'OCDE, prévoit d'estimer les frais en tenant compte des quatre plus grandes tâches qui composent le démantèlement. Ces quatre catégories sont l'assainissement, la déconstruction, la gestion/conditionnement des déchets et la réhabilitation du site nucléaire. « Seuls » le calendrier du démantèlement, les facteurs externes – météo, conditions géologiques, etc. — et l'évolution des technologies d'ingénierie/stockage de déchets demeurent inconnus dans cette méthode. Sans ces paramètres, ils en sont arrivés à la conclusion suivante : le coût d'un démantèlement représente environ 240 € par kWe d'énergie nucléaire. L'exemple de la central de Cattenom (photo), produisant 5440 MWe d'énergie nucléaire, nécessiterait à elle seule plus de 1,3 milliards d'euros pour son démantèlement selon ce calcul. De quoi sérieusement revoir à la hausse le provisionnement réalisé par EDF, 4 réacteurs sur 58 représentant déjà 15% du total.
Chiffrer le coût exact des travaux s'étalant sur 20, 30 ou 40 ans, voire plus, est difficile, voire impossible à l'heure actuelle. À défaut de pouvoir estimer les charges que le démantèlement va engendrer, il serait préférable de sécuriser les ressources financières indispensables pour ce vaste chantier. Les responsables français s'en sont rendu compte depuis longtemps et ont constitué des provisions conséquentes depuis 1979. EDF dispose aujourd'hui d’une réserve de 10,8 milliards d'euros, en prévision des travaux futurs de démantèlement. Reste à savoir si cette provision sera suffisante. Sinon, les générations futures devront payer la note du démantèlement des centrales nucléaires utilisées par leurs aïeux.
Le drame de Fukushima en 2011 a relancé le débat sur la sortie du nucléaire, en France, mais aussi dans plusieurs autres pays. Ce débat sur l'abandon de l'énergie atomique masque toutefois le sujet tout aussi brûlant du démantèlement des centrales en fin d'exploitation. Si la sortie du nucléaire reste encore au stade de projet, le démantèlement des centrales est déjà une réalité. L'Hexagone compte en 2013, 9 réacteurs en cours de démontage. L'ensemble des 58 réacteurs en activité devrait connaître le même sort d'ici 2060. Évaluer le coût de ces opérations relève plus d'une obligation que d'une option. Le prix du démantèlement est en effet l'élément manquant, qui permet de mesurer exactement le poids de l'électricité nucléaire sur les finances de l'État, des entreprises et des contribuables.
Plusieurs estimations ont été avancées depuis plus de trois décennies maintenant. Les spécialistes ont beau adopter un « consensus », selon lequel le prix d'un démantèlement équivaut à peu près à 15 % du coût de construction d'une centrale, dans la réalité, cette règle est loin d'être respectée, comme l'atteste le cas du site de Brennilis. Son retrait du parc nucléaire français, entamé dans les années 80, était censé coûter autour de 20 millions d'euros au départ. Trente ans après, la facture se monte à 380 millions d'euros, alors que les travaux sont loin d'être terminés. Même les commissions gouvernementales s'emmêlent les crayons lorsqu'il s'agit de chiffrer le démontage des 58 centrales encore actives. Quand la Cour des comptes vise une enveloppe de 20 à 40 milliards d'euros, la commission Énergies 2050, elle, table sur des dépenses pouvant atteindre 750 milliards d'euros.
Un chiffrage complexe
La règle des 15 % est le fruit de nombreux calculs, réalisés par les experts des pays nucléarisés au sein de l'OCDE. Plusieurs paramètres ont été pris en compte pour en arriver à cette conclusion. Le coût du démantèlement d'une centrale dépend entre autres de la durée de l'opération, de la puissance du réacteur, de son âge et du volume de déchets produits. La déconstruction des bâtiments, le transfert/traitement des déchets radioactifs ainsi que le réaménagement du site engendrent également des frais supplémentaires. Là réside le plus grand casse-tête de l'évaluation du démontage d'une centrale nucléaire. La valeur de chaque paramètre peut en effet évoluer en fonction de plusieurs autres variables. On peut notamment citer les progrès dans les techniques de traitement des déchets nucléaires, les intempéries, les considérations politiques, voire même les mouvements géologiques.
Les autorités allemandes se sont heurtées à un tel obstacle. Depuis quarante ans, le pays enferme ses déchets radioactifs dans une mine de sel d'Asse, dans la Basse-Saxe. Considéré à l'origine comme stable, le site subit en 2004 l'activité des fondations granitiques des montagnes alentour. Des fissures apparaissent alors dans la structure de recouvrement. Depuis cet incident, des équipes de surveillance injectent en permanence du béton dans l'enceinte. Cet exemple montre à quel point il est difficile d'anticiper toutes les dépenses que le démantèlement d'une centrale nucléaire pourrait engendrer. Et dans le cas de la France, estimer le coût de mise hors service de 58 réacteurs est mille fois plus compliqué.
Une méthodologie unique est nécessaire
La France, l'Allemagne, les États-Unis et les autres pays exploitant l'atome possèdent leur propre procédure d'estimation. Seulement, au sein même de l'Hexagone, les organes publics, les industriels et autres cabinets d'étude procèdent de manières on ne peut plus différentes. Pourtant, plusieurs tentatives ont été menées afin d'uniformiser les modes de chiffrage en France comme dans le reste de l'Europe. Une démarche « standard », imaginée par l'OCDE, prévoit d'estimer les frais en tenant compte des quatre plus grandes tâches qui composent le démantèlement. Ces quatre catégories sont l'assainissement, la déconstruction, la gestion/conditionnement des déchets et la réhabilitation du site nucléaire. « Seuls » le calendrier du démantèlement, les facteurs externes – météo, conditions géologiques, etc. — et l'évolution des technologies d'ingénierie/stockage de déchets demeurent inconnus dans cette méthode. Sans ces paramètres, ils en sont arrivés à la conclusion suivante : le coût d'un démantèlement représente environ 240 € par kWe d'énergie nucléaire. L'exemple de la central de Cattenom (photo), produisant 5440 MWe d'énergie nucléaire, nécessiterait à elle seule plus de 1,3 milliards d'euros pour son démantèlement selon ce calcul. De quoi sérieusement revoir à la hausse le provisionnement réalisé par EDF, 4 réacteurs sur 58 représentant déjà 15% du total.
Chiffrer le coût exact des travaux s'étalant sur 20, 30 ou 40 ans, voire plus, est difficile, voire impossible à l'heure actuelle. À défaut de pouvoir estimer les charges que le démantèlement va engendrer, il serait préférable de sécuriser les ressources financières indispensables pour ce vaste chantier. Les responsables français s'en sont rendu compte depuis longtemps et ont constitué des provisions conséquentes depuis 1979. EDF dispose aujourd'hui d’une réserve de 10,8 milliards d'euros, en prévision des travaux futurs de démantèlement. Reste à savoir si cette provision sera suffisante. Sinon, les générations futures devront payer la note du démantèlement des centrales nucléaires utilisées par leurs aïeux.