Article de Viviane du Castel publié dans la revue des affaires N°5
La maritimisation des mers et des océans amène à une recomposition du paysage géopolitique, géoéconomique et géostratégique. L’intelligence stratégique s’inscrit dans ce cadre comme un vecteur clef pour la sauvegarde des enjeux de souveraineté face à une montée en puissance de mouvements de privatisation des mers et des océans, au nom notamment, de la préservation de la faune et de la flore maritimes.
Dans le même temps, la maritimisation et la marétique s’imposent comme autant de phénomènes porteurs d’avenir. La marétique est actuellement un domaine en pleine évolution, dans lequel la France occupe un positionnement favorable. Dans son sillage, de nouveaux acteurs, de nouveaux défis mais aussi de nouveaux risques et de nouvelles menaces sont à prendre en considération. Ainsi, de nouveaux territoires d’influence et de lobbying se font jour sur les mers et les océans. Ils représentent autant d’enjeux et d’opportunités pour l’influence géostratégique de la France.
L’influence est un pilier de l’intelligence stratégique qui s’appuie sur trois axes majeurs : la veille, la sécurité économique et l’influence proprement dite. Cette dernière consiste, d’une part, à agir sur son environnement, sans le subir, en le connaissant et en l’anticipant afin d’influencer l’environnement des entreprises ; d’autre part, l’influence amène à travailler son image afin d’optimiser sa crédibilité (1). Claude Revel précise : « l’influence sur ces règles du jeu international est une composante essentielle quoique peu visible de la compétitivité des entreprises et des États. Elle est aussi une composante du soft power, cette attractivité des États qui peu à peu pénètre les esprits et forge les opinions » (2).
Concrètement, l’influence repose sur trois étapes : la séduction, la conviction par l’argumentation et la démonstration dans un esprit de respect de l’intérêt général (3). Claude Revel poursuit : « s’agissant du soft power, l’influence, multiforme, disséminée dans le temps et l’espace, en constitue le socle. Le culturel, l’économique, le juridique, bref tout ce qui contribue à former les cerveaux et les futures élites, à animer et faire prospérer des réseaux, se trouve concerné par l’influence et le soft power. La géopolitique doit prendre en compte ces pouvoirs, lesquels, s’ils sont discrets, n’en sont pas moins redoutablement efficaces » (4).
Dès lors, l’Intelligence Stratégique apparaît comme un outil indispensable pour la souveraineté, tant les Etats influencent l’environnement géostratégique, afin de renforcer les relais de puissance, les modes de gouvernance et de stratégies. Ainsi, les effets d’annonce sont souvent abandonnés au profit d’une démonstration de puissance qui ne relève cependant pas forcément d’une supposée « guerre économique » (5).
Avec la perspective d’ouverture de nouvelles routes maritimes (ex. : Arctique) et la nécessité, ce qui est technologiquement possible aujourd’hui, d’accéder à de nouvelles sources de matières premières (et énergétiques), mais aussi pour protéger les biens et les personnes en transit, les États cherchent à étendre leur emprise maritime et remettent en question la délimitation des frontières maritimes (par exemple, par l’extension du plateau continental : Bangladesh/Birmanie, Argentine/Royaume-Uni ; création du concept de Mar Presencial par le Chili…), (6).
Dès lors, la France a de nombreuses opportunités à saisir afin de favoriser son influence et sa souveraineté, notamment sur ses positions géostratégiques. Dans le même temps, l'insécurité en mer favorise, de fait, la constitution et le développement de systèmes parallèles; ces derniers ne sont pas toujours contrôlables ni directement identifiables (mafias, réseaux terroristes, piraterie maritimes, blanchiment d'argent sale, déstabilisation ou contrôle des Etats, etc.).
Dans ce contexte, la souveraineté des Etats en mer se doit de prendre en compte la relation de l’Etat avec le secteur privé. Le risque d’appropriation des mers et des océans est-il un facteur de déstabilisation ? La souverainté des Etats a-t-elle encore un pouvoir en matière de bien public maritime ? L’influence diplomatique en mer peut-elle jouer un rôle déterminant comme vecteur de souveraineté face aux enjeux de privatisation ? Deux axes seront ici explorés :
- D’une politique de territoires d’influence à une diplomatie maritime.
- Vers une appropriation des mers et des océans ?
D’une politique de territoires d’influence à une diplomatie maritime
La France possède la deuxième zone économique exclusive (ZEE) après les États-Unis (7), avec onze millions de km², situés en outre-mer (DOM-COM), où elle exerce son autorité, son pouvoir et son rayonnement international. Une nouvelle sphère d’influence et de positionnement géostratégique au plan de la gouvernance internationale est en construction (8).
La France a donc un grand potentiel à développer dans ce domaine, du fait de son étendue dans le monde, avec les territoires français hors de métropole, dont la Nouvelle-Calédonie, la Guadeloupe, la Guyane (…) qui sont riches en ressources minières. L’exploitation éventuelle de dépôts de terres rares sous-marines ouvre aussi des perspectives nouvelles pour l’influence et le rayonnement de la France.
Avec la montée des nouveaux enjeux, de nouveaux standards internationaux vont progressivement se mettre en place. Paris considère ces ZEE comme des priorités stratégiques dont les axes prioritaires (9) visent à :
- mettre en place une gouvernance nationale cohérente et offensive ;
- fédérer les énergies de l’ensemble des acteurs pour le plus grand bénéfice des territoires ;
- promouvoir aux échelons local, national, européen, mondial, un cadre normatif favorable à une économie bleue attractive et durable.
La mer et les océans représentent pour la France autant de défis et d’opportunités à saisir afin de se positionner en pays leader et faire rayonner son expertise, son savoir-faire et ses compétences (10). La France est également en mesure de concurrencer les acteurs de la scène internationale, notamment la Chine, qui cherche à s’imposer comme le leader des infrastructures maritimes à travers le monde (11).
La France se doit d’accroître davantage ses ambitions de rayonnement international et son positionnement ; cela passe par une politique d’influence et de contre-influence entrepreneuriale qui repose sur ses points forts. En effet, posséder une ZEE est un élément de maintien de la puissance internationale, un outil diplomatique, une vitrine d’expertise et de compétences technologiques.
Cette politique d’influence ultramarine est également poursuivie dans le cadre de l’Union européenne (UE). Ainsi, l’UE considère aussi que la géopolitique maritime doit être un axe central de la politique commune européenne (12). Cette stratégie maritime devrait, à terme, favoriser le renforcement mutuel de la croissance économique, de la protection sociale, mais aussi la préservation de l’environnement. La politique européenne de développement durable pourra dès lors se focaliser sur les atouts et la maîtrise maritime européenne dans la gestion des mers et des océans, dans un contexte international (13). Ainsi, le programme « Blue Growth » de l’Union européenne pour 2020 est intéressant et prometteur (14).
La maritimisation actuelle se traduit par une évolution de la « diplomatie maritime ». Dans ce cadre, le concept de sécurité globale vise à assurer un niveau suffisant de prévention et de protection contre les risques et les menaces sans rupture de la vie et des activités collectives et individuelles (15).
Dans le même temps, de nouvelles appropriations territoriales ou affirmations de souveraineté se font jour (par exemple extension du plateau continental (Russie, Norvège), délimitation des frontières, ZEE, principes juridiques internationaux- ex.: île de Hans, mer de Barents, de Béring, de Beaufort...). Dans ce contexte en forte évolution, les nouvelles formes (ou tentatives) d’appropriation territoriale se font jour, renforcées par un sentiment d’appartenance très fort. (Exemples : extension des plateaux continentaux ; concept de Mer Presential [Chili]), (16).
Les enjeux géopolitiques et de souveraineté de la France se focalisent pour une bonne partie sur la ZEE qui est une zone stratégique tant les menaces sur la souveraineté peuvent y être nombreuses et variées : trafic d’êtres humains, pilleurs des fonds marins, pollution, trafic de stupéfiants, piraterie, terrorisme, grand banditisme en mer… Mais, aussi dans le même temps, tant les opportunités sont importantes. En France, le livre blanc (2013) sur la défense et la sécurité nationale (17) précise que la défense et la sécurité des outre-mer doivent prendre en compte de façon systématique leur environnement régional. Ainsi, s’agissant de la lutte contre la pêche illicite ou contre l’orpaillage clandestin en Guyane ou contre l’immigration irrégulière à Mayotte, la France doit s’employer à mieux associer ses voisins, notamment le Brésil et l’Union des Comores, à la lutte qu’elle poursuit contre ces menaces et leurs conséquences.
La France se doit de protéger mais également de valoriser ses ZEE ainsi que son domaine public. Dans ce contexte, se dirige-t-on vers une nouvelle gouvernance des mers ?
Vers une appropriation des mers et des océans ?
La privatisation des mers et des océans est un enjeu crucial dans les années à venir. L’intensité des trusts caritatifs, à l’image du Pew Research Center, est illustrative de cette nouvelle tendance. Les mécanismes de la privatisation des mers et des océans sont triples (18).
La France, dans le cadre des aires marines protégées (AMP), doit relever un triple défi, auquel doit répondre l’Agence des aires marines, créée en 2006 : protéger les espaces et les espèces marines ; matérialiser (et au besoin, délimiter) les AMP ; intervenir autant que de besoin (19).
C’est dans ce cadre que s’inscrit la « Stratégie nationale de création et de gestion des aires marines à protéger » (2007 et 2012), mais aussi d’autres textes complémentaires : le Grenelle de la mer (2009) ; la Directive Cadre sur la stratégie pour le milieu marin (DCSMM) ; les lois Grenelle.
Dans ce cadre, l’action de la France ne doit pas uniquement être au niveau national, mais Paris se doit de se positionner au niveau international afin d’étendre son influence et son rayonnement mondial. La délimitation des AMP est un véritable enjeu de souveraineté nationale (20).
Dans ce cadre, la maîtrise des fonds marins (et les terres rares, matières premières stratégiques) relève d’une véritable guerre du XXIème siècle, guerre d'influence et de contre-influence de demain (ex. : autoroutes à porte-containers, navires-laboratoires...). Dans le même temps, la profondeur et l'accessibilité difficile ne sont plus de vrais obstacles (sauf financiers). De plus, les politiques environnementales ne sont souvent qu'un prétexte quand les pays concernés n'ont pas une véritable politique de protection des peuples autochtones.
Dans le même temps, de nombreux acteurs internationaux se positionnent au détriment, le cas échéant, des AMP françaises. Les États-Unis mais également la Chine, sont dans une stratégie de création de hubs tant aériens que maritimes. Ainsi, pour la Chine, les mers et les océans sont le futur « terrain de jeu » de la puissance chinoise, avec des hubs donnant accès à toutes les mers et océans. Pékin est actuellement lancé dans une course aux matières premières et à la sécurisation de ses approvisionnements. Dans ce cadre, la Chine inscrit sa politique et sa stratégie (hégémonique, expansionniste) dans une vision et une projection à long terme (30 ans) et s'en donne les moyens (ex. : le fonds souverain chinois est une arme de guerre pour Pékin). Dans ce cadre, les « incidents de parcours » ne sont que des « détails ».
La France est de plus en plus fortement concurrencée dans ses politiques maritimes par de nombreux acteurs qui veulent s’imposer comme les « leaders des mers ». La flotte de commerce française est leader mondial en matière de sécurité et d’expertise. Le développement de la maritimisation induit des opportunités pour les industriels français (notamment dans un cadre européen). Une telle situation permettant une forte baisse des coûts de production, elle est favorable à de nombreux secteurs d'activités maritimes, ainsi qu'à de meilleures synergies industrielles.
De même, avec la montée en puissance des pays émergents sur la scène internationale, l’usage de l’intelligence stratégique doit s’adapter à de nouvelles pratiques où l’État est de plus en plus important dans les affaires. Actuellement, les mers et les océans occupent une place géostratégique prépondérante pour le rayonnement et l’influence ainsi que l’affirmation de la souveraineté sur la scène internationale (espace de manœuvres stratégiques, lieux d’influence, réservoirs de richesses naturelles, nouveaux domaines de confrontations géostratégiques, nouveaux espaces de criminalité, etc.).
La maritimisation tend à s'imposer comme un véritable enjeu du XXIe siècle (flux, ressources des fonds marins, etc.). Ainsi, les Etats développent des stratégies maritimes d'influence et de souveraineté directes et indirectes. Dès lors, certains analystes s'interrogent sur le devenir, à terme, des réseaux d'influence et sur le rôle des souverainetés nationales.
(1) Viviane du Castel et Julie Monfort, Géo-énergie, entre nouveaux enjeux et nouvelles perspectives géostratégiques, Géoéconomie, Paris, 2015.
(2) Claude Revel - « Développer une influence normative stratégique internationale pour la France », Janvier 2013.
(3) Viviane du Castel et Julie Monfort, Géo-énergie, entre nouveaux enjeux et nouvelles perspectives géostratégiques, Géoéconomie, Paris, 2015.
(4) Claude Revel, Entretiens avec Jean-François Fiorina, « La Géopolitique du smart power (notre CLES – Les entretiens du directeur, juillet 2012 – http://notes-geopolitiques.com/) ».
(5) Viviane du Castel et Julie Monfort, Géo-énergie, entre nouveaux enjeux et nouvelles perspectives géostratégiques, Géoéconomie, Paris, 2015.
(6) Viviane du Castel et Gabriel Trouvé, Urgence pour la France : vers un leadership maritime, Hufington Post, Paris, 2015.
(7) La zone économique exclusive (ZEE) est une bande de mer au-delà de la mer territoriale et adjacente à cette dernière, pouvant s’étendre jusqu’à 200 milles marins au large des lignes de base. Dans cette zone, l’État côtier a pleine souveraineté et juridiction aux fins d’exploration et de gestion ainsi qu’aux fins d’exploitation économique des ressources naturelles (biologiques ou non biologiques) des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol. Dans la ZEE, les États autres que l’État côtier jouissent de certaines libertés, en particulier celles de navigation et de survol. Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, 10 décembre 1982.
(8) Philippe Folliot, Xavier Luy, France sur mer, un Empire oubli, éd. du Rocher, Paris, 2009 ; et Viviane du Castel et Gabriel Trouvé, Urgence pour la France : vers un leadership maritime, Hufington Post, Paris, 2015.
(9) Zones économiques exclusives (ZEE) ultramarines : le moment de vérité, Rapport d’information du Sénat, 9 avril 2014.
(10) Article collectif : La croissance bleue- Puissances publiques versus puissances privées, Diploweb, 20 janvier 2016.
(11) Exemples : projet de pont entre la Fédération de Russie et la Crimée (2014-2015) ; projet d’infrastructures de transport à Belgrade (Serbie) (décembre 2014) ; inauguration (22 décembre 2014) de la construction d’un canal interocéanique au Nicaragua, etc. Viviane du Castel et Gabriel Trouvé, Urgence pour la France : vers un leadership maritime, Hufington Post, Paris, 2015.
(12) Livre vert Vers une politique maritime de l’Union : une vision européenne des océans et des mers, Union européenne, juin 2006.
(13) An initial long-term vision for European defense capability and capacity needs, Agence Européenne de Défense, 3 octobre 2006.
(14) www.ec.europa.eu
(15) S. Revet, Vivre dans un monde plus sûr. Catastrophes « naturelles » et sécurité « globale », Cultures & conflits n°75, Paris, 2009.
(16) Exemples : projet de pont entre la Fédération de Russie et la Crimée (2014-2015) ; projet d’infrastructures de transport à Belgrade (Serbie) (décembre 2014) ; inauguration (22 décembre 2014) de la construction d’un canal interocéanique au Nicaragua, etc. Viviane du Castel et Gabriel Trouvé, Urgence pour la France : vers un leadership maritime, Hufington Post, Paris, 2015.
(17) Livre blanc de la Défense et de la sécurité nationale, 2013 ; et Jean-Etienne Antoinette, Joël Guerriau, Richard Tuheiava, Les zones économiques exclusives ultramarines : le moment de vérité », Sénat, Paris, 9 avril 2014.
(18) Privatisation des océans, Maison de la mer, Lorient, 9 décembre 2014.
(19) Exemples : projet de pont entre la Fédération de Russie et la Crimée (2014-2015) ; projet d’infrastructures de transport à Belgrade (Serbie) (décembre 2014) ; inauguration (22 décembre 2014) de la construction d’un canal interocéanique au Nicaragua, etc. Viviane du Castel et Gabriel Trouvé, Urgence pour la France : vers un leadership maritime, Hufington Post, Paris, 2015.
(20) Délimitation des AMP : Eaux sous juridiction et droit souverain ; Eaux sous souveraineté ; Autorités compétentes ; Espaces maritimes internationaux : Haute mer, Zone internationales des fonds marins. Forum des gestionnaires d’AMP, 27 novembre 2014 ; et Viviane du Castel et Gabriel Trouvé, Urgence pour la France : vers un leadership maritime, Hufington Post, Paris, 2015.
La maritimisation des mers et des océans amène à une recomposition du paysage géopolitique, géoéconomique et géostratégique. L’intelligence stratégique s’inscrit dans ce cadre comme un vecteur clef pour la sauvegarde des enjeux de souveraineté face à une montée en puissance de mouvements de privatisation des mers et des océans, au nom notamment, de la préservation de la faune et de la flore maritimes.
Dans le même temps, la maritimisation et la marétique s’imposent comme autant de phénomènes porteurs d’avenir. La marétique est actuellement un domaine en pleine évolution, dans lequel la France occupe un positionnement favorable. Dans son sillage, de nouveaux acteurs, de nouveaux défis mais aussi de nouveaux risques et de nouvelles menaces sont à prendre en considération. Ainsi, de nouveaux territoires d’influence et de lobbying se font jour sur les mers et les océans. Ils représentent autant d’enjeux et d’opportunités pour l’influence géostratégique de la France.
L’influence est un pilier de l’intelligence stratégique qui s’appuie sur trois axes majeurs : la veille, la sécurité économique et l’influence proprement dite. Cette dernière consiste, d’une part, à agir sur son environnement, sans le subir, en le connaissant et en l’anticipant afin d’influencer l’environnement des entreprises ; d’autre part, l’influence amène à travailler son image afin d’optimiser sa crédibilité (1). Claude Revel précise : « l’influence sur ces règles du jeu international est une composante essentielle quoique peu visible de la compétitivité des entreprises et des États. Elle est aussi une composante du soft power, cette attractivité des États qui peu à peu pénètre les esprits et forge les opinions » (2).
Concrètement, l’influence repose sur trois étapes : la séduction, la conviction par l’argumentation et la démonstration dans un esprit de respect de l’intérêt général (3). Claude Revel poursuit : « s’agissant du soft power, l’influence, multiforme, disséminée dans le temps et l’espace, en constitue le socle. Le culturel, l’économique, le juridique, bref tout ce qui contribue à former les cerveaux et les futures élites, à animer et faire prospérer des réseaux, se trouve concerné par l’influence et le soft power. La géopolitique doit prendre en compte ces pouvoirs, lesquels, s’ils sont discrets, n’en sont pas moins redoutablement efficaces » (4).
Dès lors, l’Intelligence Stratégique apparaît comme un outil indispensable pour la souveraineté, tant les Etats influencent l’environnement géostratégique, afin de renforcer les relais de puissance, les modes de gouvernance et de stratégies. Ainsi, les effets d’annonce sont souvent abandonnés au profit d’une démonstration de puissance qui ne relève cependant pas forcément d’une supposée « guerre économique » (5).
Avec la perspective d’ouverture de nouvelles routes maritimes (ex. : Arctique) et la nécessité, ce qui est technologiquement possible aujourd’hui, d’accéder à de nouvelles sources de matières premières (et énergétiques), mais aussi pour protéger les biens et les personnes en transit, les États cherchent à étendre leur emprise maritime et remettent en question la délimitation des frontières maritimes (par exemple, par l’extension du plateau continental : Bangladesh/Birmanie, Argentine/Royaume-Uni ; création du concept de Mar Presencial par le Chili…), (6).
Dès lors, la France a de nombreuses opportunités à saisir afin de favoriser son influence et sa souveraineté, notamment sur ses positions géostratégiques. Dans le même temps, l'insécurité en mer favorise, de fait, la constitution et le développement de systèmes parallèles; ces derniers ne sont pas toujours contrôlables ni directement identifiables (mafias, réseaux terroristes, piraterie maritimes, blanchiment d'argent sale, déstabilisation ou contrôle des Etats, etc.).
Dans ce contexte, la souveraineté des Etats en mer se doit de prendre en compte la relation de l’Etat avec le secteur privé. Le risque d’appropriation des mers et des océans est-il un facteur de déstabilisation ? La souverainté des Etats a-t-elle encore un pouvoir en matière de bien public maritime ? L’influence diplomatique en mer peut-elle jouer un rôle déterminant comme vecteur de souveraineté face aux enjeux de privatisation ? Deux axes seront ici explorés :
- D’une politique de territoires d’influence à une diplomatie maritime.
- Vers une appropriation des mers et des océans ?
D’une politique de territoires d’influence à une diplomatie maritime
La France possède la deuxième zone économique exclusive (ZEE) après les États-Unis (7), avec onze millions de km², situés en outre-mer (DOM-COM), où elle exerce son autorité, son pouvoir et son rayonnement international. Une nouvelle sphère d’influence et de positionnement géostratégique au plan de la gouvernance internationale est en construction (8).
La France a donc un grand potentiel à développer dans ce domaine, du fait de son étendue dans le monde, avec les territoires français hors de métropole, dont la Nouvelle-Calédonie, la Guadeloupe, la Guyane (…) qui sont riches en ressources minières. L’exploitation éventuelle de dépôts de terres rares sous-marines ouvre aussi des perspectives nouvelles pour l’influence et le rayonnement de la France.
Avec la montée des nouveaux enjeux, de nouveaux standards internationaux vont progressivement se mettre en place. Paris considère ces ZEE comme des priorités stratégiques dont les axes prioritaires (9) visent à :
- mettre en place une gouvernance nationale cohérente et offensive ;
- fédérer les énergies de l’ensemble des acteurs pour le plus grand bénéfice des territoires ;
- promouvoir aux échelons local, national, européen, mondial, un cadre normatif favorable à une économie bleue attractive et durable.
La mer et les océans représentent pour la France autant de défis et d’opportunités à saisir afin de se positionner en pays leader et faire rayonner son expertise, son savoir-faire et ses compétences (10). La France est également en mesure de concurrencer les acteurs de la scène internationale, notamment la Chine, qui cherche à s’imposer comme le leader des infrastructures maritimes à travers le monde (11).
La France se doit d’accroître davantage ses ambitions de rayonnement international et son positionnement ; cela passe par une politique d’influence et de contre-influence entrepreneuriale qui repose sur ses points forts. En effet, posséder une ZEE est un élément de maintien de la puissance internationale, un outil diplomatique, une vitrine d’expertise et de compétences technologiques.
Cette politique d’influence ultramarine est également poursuivie dans le cadre de l’Union européenne (UE). Ainsi, l’UE considère aussi que la géopolitique maritime doit être un axe central de la politique commune européenne (12). Cette stratégie maritime devrait, à terme, favoriser le renforcement mutuel de la croissance économique, de la protection sociale, mais aussi la préservation de l’environnement. La politique européenne de développement durable pourra dès lors se focaliser sur les atouts et la maîtrise maritime européenne dans la gestion des mers et des océans, dans un contexte international (13). Ainsi, le programme « Blue Growth » de l’Union européenne pour 2020 est intéressant et prometteur (14).
La maritimisation actuelle se traduit par une évolution de la « diplomatie maritime ». Dans ce cadre, le concept de sécurité globale vise à assurer un niveau suffisant de prévention et de protection contre les risques et les menaces sans rupture de la vie et des activités collectives et individuelles (15).
Dans le même temps, de nouvelles appropriations territoriales ou affirmations de souveraineté se font jour (par exemple extension du plateau continental (Russie, Norvège), délimitation des frontières, ZEE, principes juridiques internationaux- ex.: île de Hans, mer de Barents, de Béring, de Beaufort...). Dans ce contexte en forte évolution, les nouvelles formes (ou tentatives) d’appropriation territoriale se font jour, renforcées par un sentiment d’appartenance très fort. (Exemples : extension des plateaux continentaux ; concept de Mer Presential [Chili]), (16).
Les enjeux géopolitiques et de souveraineté de la France se focalisent pour une bonne partie sur la ZEE qui est une zone stratégique tant les menaces sur la souveraineté peuvent y être nombreuses et variées : trafic d’êtres humains, pilleurs des fonds marins, pollution, trafic de stupéfiants, piraterie, terrorisme, grand banditisme en mer… Mais, aussi dans le même temps, tant les opportunités sont importantes. En France, le livre blanc (2013) sur la défense et la sécurité nationale (17) précise que la défense et la sécurité des outre-mer doivent prendre en compte de façon systématique leur environnement régional. Ainsi, s’agissant de la lutte contre la pêche illicite ou contre l’orpaillage clandestin en Guyane ou contre l’immigration irrégulière à Mayotte, la France doit s’employer à mieux associer ses voisins, notamment le Brésil et l’Union des Comores, à la lutte qu’elle poursuit contre ces menaces et leurs conséquences.
La France se doit de protéger mais également de valoriser ses ZEE ainsi que son domaine public. Dans ce contexte, se dirige-t-on vers une nouvelle gouvernance des mers ?
Vers une appropriation des mers et des océans ?
La privatisation des mers et des océans est un enjeu crucial dans les années à venir. L’intensité des trusts caritatifs, à l’image du Pew Research Center, est illustrative de cette nouvelle tendance. Les mécanismes de la privatisation des mers et des océans sont triples (18).
La France, dans le cadre des aires marines protégées (AMP), doit relever un triple défi, auquel doit répondre l’Agence des aires marines, créée en 2006 : protéger les espaces et les espèces marines ; matérialiser (et au besoin, délimiter) les AMP ; intervenir autant que de besoin (19).
C’est dans ce cadre que s’inscrit la « Stratégie nationale de création et de gestion des aires marines à protéger » (2007 et 2012), mais aussi d’autres textes complémentaires : le Grenelle de la mer (2009) ; la Directive Cadre sur la stratégie pour le milieu marin (DCSMM) ; les lois Grenelle.
Dans ce cadre, l’action de la France ne doit pas uniquement être au niveau national, mais Paris se doit de se positionner au niveau international afin d’étendre son influence et son rayonnement mondial. La délimitation des AMP est un véritable enjeu de souveraineté nationale (20).
Dans ce cadre, la maîtrise des fonds marins (et les terres rares, matières premières stratégiques) relève d’une véritable guerre du XXIème siècle, guerre d'influence et de contre-influence de demain (ex. : autoroutes à porte-containers, navires-laboratoires...). Dans le même temps, la profondeur et l'accessibilité difficile ne sont plus de vrais obstacles (sauf financiers). De plus, les politiques environnementales ne sont souvent qu'un prétexte quand les pays concernés n'ont pas une véritable politique de protection des peuples autochtones.
Dans le même temps, de nombreux acteurs internationaux se positionnent au détriment, le cas échéant, des AMP françaises. Les États-Unis mais également la Chine, sont dans une stratégie de création de hubs tant aériens que maritimes. Ainsi, pour la Chine, les mers et les océans sont le futur « terrain de jeu » de la puissance chinoise, avec des hubs donnant accès à toutes les mers et océans. Pékin est actuellement lancé dans une course aux matières premières et à la sécurisation de ses approvisionnements. Dans ce cadre, la Chine inscrit sa politique et sa stratégie (hégémonique, expansionniste) dans une vision et une projection à long terme (30 ans) et s'en donne les moyens (ex. : le fonds souverain chinois est une arme de guerre pour Pékin). Dans ce cadre, les « incidents de parcours » ne sont que des « détails ».
La France est de plus en plus fortement concurrencée dans ses politiques maritimes par de nombreux acteurs qui veulent s’imposer comme les « leaders des mers ». La flotte de commerce française est leader mondial en matière de sécurité et d’expertise. Le développement de la maritimisation induit des opportunités pour les industriels français (notamment dans un cadre européen). Une telle situation permettant une forte baisse des coûts de production, elle est favorable à de nombreux secteurs d'activités maritimes, ainsi qu'à de meilleures synergies industrielles.
De même, avec la montée en puissance des pays émergents sur la scène internationale, l’usage de l’intelligence stratégique doit s’adapter à de nouvelles pratiques où l’État est de plus en plus important dans les affaires. Actuellement, les mers et les océans occupent une place géostratégique prépondérante pour le rayonnement et l’influence ainsi que l’affirmation de la souveraineté sur la scène internationale (espace de manœuvres stratégiques, lieux d’influence, réservoirs de richesses naturelles, nouveaux domaines de confrontations géostratégiques, nouveaux espaces de criminalité, etc.).
La maritimisation tend à s'imposer comme un véritable enjeu du XXIe siècle (flux, ressources des fonds marins, etc.). Ainsi, les Etats développent des stratégies maritimes d'influence et de souveraineté directes et indirectes. Dès lors, certains analystes s'interrogent sur le devenir, à terme, des réseaux d'influence et sur le rôle des souverainetés nationales.
(1) Viviane du Castel et Julie Monfort, Géo-énergie, entre nouveaux enjeux et nouvelles perspectives géostratégiques, Géoéconomie, Paris, 2015.
(2) Claude Revel - « Développer une influence normative stratégique internationale pour la France », Janvier 2013.
(3) Viviane du Castel et Julie Monfort, Géo-énergie, entre nouveaux enjeux et nouvelles perspectives géostratégiques, Géoéconomie, Paris, 2015.
(4) Claude Revel, Entretiens avec Jean-François Fiorina, « La Géopolitique du smart power (notre CLES – Les entretiens du directeur, juillet 2012 – http://notes-geopolitiques.com/) ».
(5) Viviane du Castel et Julie Monfort, Géo-énergie, entre nouveaux enjeux et nouvelles perspectives géostratégiques, Géoéconomie, Paris, 2015.
(6) Viviane du Castel et Gabriel Trouvé, Urgence pour la France : vers un leadership maritime, Hufington Post, Paris, 2015.
(7) La zone économique exclusive (ZEE) est une bande de mer au-delà de la mer territoriale et adjacente à cette dernière, pouvant s’étendre jusqu’à 200 milles marins au large des lignes de base. Dans cette zone, l’État côtier a pleine souveraineté et juridiction aux fins d’exploration et de gestion ainsi qu’aux fins d’exploitation économique des ressources naturelles (biologiques ou non biologiques) des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol. Dans la ZEE, les États autres que l’État côtier jouissent de certaines libertés, en particulier celles de navigation et de survol. Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, 10 décembre 1982.
(8) Philippe Folliot, Xavier Luy, France sur mer, un Empire oubli, éd. du Rocher, Paris, 2009 ; et Viviane du Castel et Gabriel Trouvé, Urgence pour la France : vers un leadership maritime, Hufington Post, Paris, 2015.
(9) Zones économiques exclusives (ZEE) ultramarines : le moment de vérité, Rapport d’information du Sénat, 9 avril 2014.
(10) Article collectif : La croissance bleue- Puissances publiques versus puissances privées, Diploweb, 20 janvier 2016.
(11) Exemples : projet de pont entre la Fédération de Russie et la Crimée (2014-2015) ; projet d’infrastructures de transport à Belgrade (Serbie) (décembre 2014) ; inauguration (22 décembre 2014) de la construction d’un canal interocéanique au Nicaragua, etc. Viviane du Castel et Gabriel Trouvé, Urgence pour la France : vers un leadership maritime, Hufington Post, Paris, 2015.
(12) Livre vert Vers une politique maritime de l’Union : une vision européenne des océans et des mers, Union européenne, juin 2006.
(13) An initial long-term vision for European defense capability and capacity needs, Agence Européenne de Défense, 3 octobre 2006.
(14) www.ec.europa.eu
(15) S. Revet, Vivre dans un monde plus sûr. Catastrophes « naturelles » et sécurité « globale », Cultures & conflits n°75, Paris, 2009.
(16) Exemples : projet de pont entre la Fédération de Russie et la Crimée (2014-2015) ; projet d’infrastructures de transport à Belgrade (Serbie) (décembre 2014) ; inauguration (22 décembre 2014) de la construction d’un canal interocéanique au Nicaragua, etc. Viviane du Castel et Gabriel Trouvé, Urgence pour la France : vers un leadership maritime, Hufington Post, Paris, 2015.
(17) Livre blanc de la Défense et de la sécurité nationale, 2013 ; et Jean-Etienne Antoinette, Joël Guerriau, Richard Tuheiava, Les zones économiques exclusives ultramarines : le moment de vérité », Sénat, Paris, 9 avril 2014.
(18) Privatisation des océans, Maison de la mer, Lorient, 9 décembre 2014.
(19) Exemples : projet de pont entre la Fédération de Russie et la Crimée (2014-2015) ; projet d’infrastructures de transport à Belgrade (Serbie) (décembre 2014) ; inauguration (22 décembre 2014) de la construction d’un canal interocéanique au Nicaragua, etc. Viviane du Castel et Gabriel Trouvé, Urgence pour la France : vers un leadership maritime, Hufington Post, Paris, 2015.
(20) Délimitation des AMP : Eaux sous juridiction et droit souverain ; Eaux sous souveraineté ; Autorités compétentes ; Espaces maritimes internationaux : Haute mer, Zone internationales des fonds marins. Forum des gestionnaires d’AMP, 27 novembre 2014 ; et Viviane du Castel et Gabriel Trouvé, Urgence pour la France : vers un leadership maritime, Hufington Post, Paris, 2015.