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Les armes chimiques syriennes




Publié par Pierre-Marie Meunier le 20 Janvier 2013

L’utilisation possible d’armements chimiques par la Syrie vient de faire l’objet de plusieurs articles et reportages dans la presse nationale. Conjugués à la décision de plusieurs nations occidentales de voir dans cette utilisation une « ligne rouge », au-delà de laquelle serait décidée une intervention militaire, ces articles prêchent pour une intervention de manière assez inattendue. Les journalistes vont jusqu’à sous-entendre, de façon explicite, que les services de renseignement et les gouvernements concernés ont volontairement étouffé cette affaire pour éviter de faire face à leur responsabilité.



Soldat syrien en tenue NBC (crédit : Wikimedia commons.org)
Soldat syrien en tenue NBC (crédit : Wikimedia commons.org)

Bien que nous soyons depuis maintenant près de deux ans les victimes complices d’un intense story-telling sur le conflit syrien, le propos de ce post n’est pas de prendre parti pour un camp ou l’autre, sachant que les deux sont accusés de crimes de guerre. Mais il est toujours surprenant de constater avec quelle promptitude certains journalistes veulent nous embarquer dans un nouveau conflit. Il est tout à fait concevable qu’un journaliste ne soit pas un spécialiste des armements chimiques. Par contre, il est choquant de voir la légèreté de certains dans le choix des mots, ce qui est tout de même au cœur de leur profession. Du fait de comparaisons avec le gazage des Kurdes par le pouvoir irakien en 1988, une lecture un peu rapide nous ferait croire que le Syrie à commencer à gazer massivement sa population dans une logique d’extermination. Or c’est tout de même très loin de la vérité.

En premier lieu, la fameuse « ligne rouge », fixée par les capitales occidentales, concerne sans aucun doute l’utilisation d’armes chimiques létales (voir article : "Les armes chimiques : qu'est ce que c'est ? Comment en parler dans la presse ?"). Cela signifie que les pays occidentaux ne vont pas déclencher une intervention armée en Syrie suite à l'utilisation de ce qui n'est peut-être rien d'autre que du gaz lacrymogène. On pourrait discuter de la létalité réelle ou supposée des produits considérés comme non-létaux : lors de la prise d’otages dans un théâtre moscovite en 2002, l’utilisation d’un gaz incapacitant (non létal en théorie mais dont la composition est toujours inconnue) a fait au final plus de 120 morts. Comme pour tout produit chimique, tout est affaire de concentration et de durée d’exposition (et aussi de condition physique de la victime). La Syrie dispose très certainement d'armes chimiques létales, la "bombe atomique du pauvre", mais pour l'instant, nous n'avons aucune preuve de leur utilisation.

Vient ensuite naturellement le deuxième point nécessaire à la compréhension de ce qui se passe en Syrie : de quelles armes chimiques disposent Bachar el-Assad ? Rien n’est certain sur ce point car la Syrie n’a pas signé la Convention sur l’interdiction des armes chimiques. Elle n’a donc pas déclaré son arsenal. Mais les spécialistes s’accordent sur le fait qu’elle détient très probablement de l’ypérite (le « gaz moutarde ») et des neurotoxiques. On sait au moins qu’elle a la capacité industrielle de les produire. Personne n’a d’idée précise sur ses stocks d’armements chimiques non-létaux. L’usage d’ypérite ou de neurotoxiques sur sa population dans le cadre de conflits urbains serait sans aucun doute une abomination. Mais cela ne pourrait pas se faire dans la discrétion : l’ypérite est utilisée principalement via des obus ou des roquettes d’artillerie qui, à l’impact, libère le produit sous forme de gaz. De plus, les blessures issues des gazages à l’ypérite sont bien connues et seraient rapidement identifiées. Concernant les neurotoxiques, à la méthode artillerie s’ajoute l’épandage aérien, pour une diffusion sous forme de gouttelettes. De la même façon, cela passerait difficilement inaperçu, d’autant plus que cela impliquerait automatiquement une armée syrienne combattant avec tenues de protection et masques à gaz.

Pour ce qui est des armes non-létales, on imagine mal la police syrienne ne pas disposer de gaz lacrymogènes. Mais les attaques récentes font allusion à un autre produit. Les sources les plus précises évoquent l’usage d’une arme chimique non-létale, un incapacitant psychique appelé BZ ou agent 15. Le BZ a été développé par les Etats-Unis dans les années 1950, puis abandonné dans les années 1970. Le BZ est un hallucinogène qui agit également sur les fonctions cognitives (confusion, perte de volonté, apathie ou au contraire hyper-agressivité). C’est un produit décrit comme imprévisible dans ses effets, car il peut déclencher chez la victime un sentiment d’invulnérabilité et une hyper-agressivité contraires à l’effet recherché en maintien de l’ordre. Mais les symptômes relevés sur les victimes en Syrie ne correspondent pas. Ils ne correspondent d’ailleurs à aucune arme chimique répertoriée pour l’instant. L’échantillon de personnes touchées est trop faible pour se faire une idée : il peut aussi bien s’agir d’une nouvelle arme chimique (bien que très improbable compte tenu de l’état de la recherche syrienne) ou de réactions iimprévisibles à l’usage d’incapacitants classiques (lacrymogènes ?) par l’un des deux camps. A noter que certains des pays qui fournissent des armes aux insurgés syriens (comme l’Egypte et l’Arabie Saoudite) sont des pays détenteurs d’arsenaux chimiques variés. Il n’est pas totalement exclu que certains gaz soient relâchés par les insurgés eux-mêmes. Le fait que l’armée syrienne ne combatte pas avec ses masques à gaz pourrait aller dans le sens de cette hypothèse.

Le peu d’informations fiables en provenance de Syrie ne peut que nous encourager à une certaine prudence. La manipulation existe dans les deux camps. Et sommes-nous prêts à déclarer aujourd’hui la guerre à la Syrie, pour nous apercevoir demain qu’elle n’a jamais utilisé ses armes chimiques ? N’avons-nous retenu aucune leçon de la guerre d’Irak de 2003 ? Ce qui se passe en Syrie est un drame incommensurable, mais si nous devons agir, ne le faisons pas sur la base d’informations douteuses, partielles et peut-être partiales.




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