La manipulation permise grâce aux réseaux a-t-elle complexifié votre travail en menant l’endoctrinement à son paroxysme ?
Elle ne l’a pas complexifié, mais totalement bouleversée. Mohammed Merah fut le premier jusqu’au-boutiste en France, la négation a cru jusqu’au bout qu’il allait se rendre. Plus de 30 heures de négociation avec un collègue de la DGSI puis du RAID pour finir par un assaut sur un individu qui s’était préparé à mourir pour une idéologie mortifère. Depuis ce jour, la négociation n’a pas changé ses techniques pures, mais a inclus le fait que face à ce type de personne, l’issue finale est potentiellement la plus probable. Dès lors, elle négociera toujours, mais dans le but de communiquer avec l’individu et obtenir des informations potentiellement intéressantes pour d’autres services enquêteurs comme la DGSI. La filière djihadiste utilisée, comment s’est-il procuré de l’argent ? Où a-t-il acheté ses armes ? Comment et où a-t-il été formé ? Radicalisé, entraîné, etc. Ces individus ont toujours un besoin de communiquer, notamment sur leur foi et donc parlent beaucoup de leurs projets de futurs martyrs. Tous ces éléments obtenus grâce à la négociation peuvent également servir au groupe d’intervention sur place.
Faites-vous une différence entre djihadisme et terrorisme ?
Le djihadisme est une vision extrémiste qui prône la lutte armée et recourt au terrorisme en se servant de la notion du djihad.
Comme je l’explique dans mon livre, le vrai djihad est celui nommé par le prophète comme grand ou majeur et qui n’a rien à voir avec la lutte armée, mais qui serait un combat contre et avec soi-même pour être encore meilleur !!! Un combat spirituel bien loin du concept du djihad armé dont se réclament les islamistes radicaux pour combattre les infidèles. Mais l’interprétation de certains hadiths contenus dans le coran donne de la matière à des islamistes qui font autorité et qui influencent de jeunes adultes en ce sens.
De quoi se servent donc ces autorités pour arriver à radicaliser certains de nos jeunes ?
La quasi-totalité des jeunes partis en Syrie avait entre 15 et 20 ans un âge où l’on construit son identité, sexuelle, cultuelle, identitaire. Pour la plupart issu de famille monoparentale et donc avec un manque de repères affectifs et autoritaires. Cette fragilité va, servir le recruteur qui, en utilisant les techniques de communication d’influence de base, vont amener le jeune à entrer dans un groupe social duquel il est difficile de sortir. En utilisant également l’écoute active pour comprendre les problèmes du jeune, l’empathie, la création de liens forts dans un groupe social en lui expliquant pourquoi il se sent si mal et pourquoi il faut détester « l’autre » dans une vision binaire du monde. Il y a nous et eux, les autres qu’il faut détruire. Le recruteur devient son mentor, son gourou, son meilleur ami en qui il place sa confiance aveuglément. La différence avec le négociateur du Raid, qui utilise des techniques similaires, est que le recruteur va se servir dans son discours des supposés complots, de la propagande djihadiste. On peut noter que lui-même pense ne pas mentir puisqu’il est persuadé du bien-fondé de ses théories idéologiques et de ce qu’il dit. Vous rajoutez à cela une dimension chevaleresque de la lutte du bien et du mal et des hadiths qui parlent de l’eschatologie musulmane qui situerait la fin des temps, et le combat qui verra l’avènement de l’islam en lieu et place de l’actuelle Syrie et vous obtenez un cocktail explosif pour amener le jeune à vouloir rejoindre le nouveau califat et le combat armé contre les mécréants et les mauvais musulmans qui devient des apostats pires que des traîtres pour les membres de l’état islamique.