Vers un Prism à la française ?
Les professionnels et les utilisateurs spécialisés du numériques semblent unanimes : pour le MEDEF, « Il s'agit d'une grave atteinte à la confiance que l'ensemble des acteurs doivent avoir dans l'Internet », tandis que divers autres syndicats et associations ont publiquement avoué leur scepticisme. D’après eux, les conséquences d’une telle loi pourraient alimenter la défiance du public vis-à-vis du web, déjà marquée par les révélations consécutives aux révélations sur le programme de la NSA. Concrètement, quelles prérogatives supplémentaires accorde aux autorités ce projet de loi ? L’accès des autorités aux données détenues par les hébergeurs ainsi que par les fournisseurs d’accès à internet est élargi. En outre, le ministère de l’économie et des Finances, la police ainsi que la gendarmerie pourront accéder à ces données directement, sans avoir à recourir à un juge, au titre de la lutte contre la délinquance organisée et la préservation du patrimoine scientifique et économique de la France. Se dirige-t-on donc vers une mainmise totale du pouvoir sur le numérique ? C’est ce que les acteurs concernés semblent penser : non seulement ils déplorent l’absence de garde-fou face à de possibles dérives, mais ils dénoncent de surcroit les retombées économiques néfastes de la mise en place d’un tel système, notamment en termes d’obligations d’infrastructures à fournir de la part des opérateurs.
Un mal nécessaire ?
De son côté, le président de la Commission des Lois du Sénat, Jean Pierre Sueur, se félicite des nouvelles possibilités accordées aux autorités : loin d’un simple contrôle policier, il s’agit pour lui, au contraire, de limiter les dérives en termes « d’accès aux fadettes et aux opérations de géolocalisation ». Cette loi serait donc un mal pour un bien. La quasi-unanimité des professionnels du secteur sont pourtant farouchement opposés à ce texte. La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés s’est de son côté plainte d’avoir été court-circuitée dans ce processus. Du moins en ce qui concerne l’article 13 de ce projet de loi, qui représente pourtant l’essentiel des mesures controversées. L’ASIC, qui représente les principaux acteurs d’internet en France, y compris Facebook, Google ou encore Dailymotion, a demandé quant à elle un moratoire sur la question. Ce projet de loi, si contesté, va surtout acter une modification de la perception du rôle de l’Etat vis-à-vis d’internet. L’autorité politique passe désormais au mieux pour un législateur cherchant à officialiser un état de fait et faisant prévaloir l’impératif de sécurité, au pire comme une entité liberticide aux velléités totalitaires selon le point de vue. Ceci étant, cette loi, aussi attentatoire à la liberté soit elle, ne fait sans doute qu’officialiser ce que l’affaire « Prism » a révélé : non, pour ceux qui en doutaient, internet n’est pas un lieu de liberté totale et ne l’a vraisemblablement jamais été. C’est un espace politisé, dans lequel se jouent des rapports de forces considérables.