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Le dernier tank américain a quitté l'Europe




Publié par Pierre-Marie Meunier le 14 Mai 2013

La nouvelle est passée quasiment inaperçue en France et en Europe et seuls quelques médias américains spécialisés s’en sont fait l’écho. Fin mars 2013 le dernier tank M1 Abrams américain a quitté le sol germanique pour les États-Unis, marquant la fin de 68 ans de présence en terre européenne.



Le dernier tank américain a quitté l'Europe
Le 18 mars 2013, 22 tanks M1 Abrams appartenant à la 172ème Brigade d’infanterie US furent expédiés par voie ferroviaire de Kaiserslautern vers le port allemand de Bremerhaven. Ils furent chargés à bord du cargo Ro/Ro The Honor of Arc et convoyés vers Charleston en Caroline du Sud. Ce mouvement logistique anodin représente un tournant symbolique, en mettant fin à la présence en Europe de ce qui fut le poing blindé de l’OTAN face aux forces de l’ex-Pacte de Varsovie. Pour les forces armées américaines, une page s’est assurément tournée. Mais il n’est pas évident que l’Europe saisisse à quel point. Ce choix américain est cohérent, compte tenu du tournant asiatique qu’à pris leur posture stratégique. Le désengagement irakien et afghan n’impose plus de disposer des immenses bases avancées allemandes, et comme nombre d’autres pays, ils cherchent à réduire les coûts d’une armée épuisée par 10 ans de campagnes au Moyen-Orient et en Afghanistan. La Russie n’est pas encore une menace suffisamment saillante pour laisser perdurer les vieux réflexes, et l’Afrique est clairement vue comme un terrain d’intervention européen, même si cela contrarie les dits européens. Rien ne justifiait plus ce que d’aucun considérerait comme une relique de la guerre froide.

L’arrivée des premiers chars américains en Allemagne le 7 mars 1945, après la célèbre prise du pont de Remagen, ne répondait pas aux mêmes objectifs que leur persistance en Allemagne de l’Ouest d’abord, puis en Allemagne tout court après 1991. Il s’agissait alors de défaire l’armée allemande sur son terrain, en s’affranchissant d’un des obstacles naturels les plus dimensionnants d’Europe occidentale : le Rhin. Après la victoire et la reconstruction d’une Allemagne en ruine, un nouvel ennemi est apparu. Patton prédisait dès 1945 qu’il fallait « poursuivre jusqu’à Moscou ». N’ayant pas été écouté, la suite de l’histoire fut un statu quo de près cinquante ans, qui ont vu se défier du regard, presque face-à-face, les plus imposantes forces mécanisées de l’histoire. Cette « guerre de cinquante ans », selon l’expression de l’historien Georges-Henri Soutou, a connu quelques moments plus chauds, mais jamais sans que l’une des parties ne décide finalement de reculer au dernier moment, généralement par peur d’une conflagration nucléaire globale. La guerre nucléaire est le seul jeu où pour gagner, il ne faut pas jouer (1).

Au plus fort de la présence américaine, selon le 21ème Commandement Logistique de Théâtre, plus de 6000 chars américains étaient présents sur le sol européen. Ajoutés aux quelques milliers de chars européens, cela représentait un peu moins de 20 000 chars occidentaux prêts à répondre immédiatement aux déferlantes de chars soviétiques et affiliés, le temps que les Etats-Unis amènent en Europe le reste de ses divisions blindées. La mission première de l’Europe était de tenir en attendant que ces renforts arrivent, mais il n’est pas dit qu’elle aurait pu attendre longtemps. En 1987, peu de temps avant l’effondrement de l’URSS, le Pacte de Varsovie alignait plus 52 000 chars, près de 60 000 véhicules de combat d’infanterie et environ 30 000 pièces d’artillerie de calibre supérieur à 100 mm. Ces matériels étainet répartis en 52 divisions blindées et 150 divisions d’infanterie mécanisée (auxquelles s’ajoutaient 7 divisions aéroportées et toutes les divisions spécialisées) pour les seules forces terrestres. Certes, seul un tiers de ces matériels était alors considéré comme moderne, le reste remontant majoritairement aux années 1950 et 1960, voire à la seconde guerre mondiale. Mais le rapport de force n’était pas à ce moment là en faveur de l’Europe, qui n’alignait au mieux qu’une grosse centaine de divisions. A l’exception des hélicoptères d’assaut, le Pacte de Varsovie dominait quantitativement l’OTAN dans tous les domaines, avec des rapports allant de un à deux jusqu'à un à trois. L’affrontement tant redouté n’aura pas lieu, mais la question de ces arsenaux considérables, désormais inutiles, est une autre problématique du monde post-guerre froide. Et si à l’époque, l’URSS n’avait pas les moyens de ses ambitions, rien ne dit qu’il en sera de même pour la Russie du 21ème siècle.

Le dernier char chargé à bord du cargo portait le nom de Casa Loca, « maison de fou » en espagnol. Peut-être un ultime pied-de-nez à cette terre européenne qui a vu se déchainer les forces les plus destructrices de la planète, avant de connaitre la plus longue période de paix de l’histoire entre les vieilles nations du vieux continent. Ou alors peut-être est-ce une allusion involontaire à une actualité militaire plus récente, à ce désarmement européen généralisé dans un monde qui réarme massivement. Les certitudes de paix des Etats européens ne sont pas partagées avec le même optimisme par le reste du monde. Il appartiendra aux générations futures de juger si cela relevait d’un « angélisme aveugle et coupable ».
 
(1) Conclusion du film WarGames, réalisé par John Badham en 1983, traitant de manière explicite des problématiques de piratage informatique sur l’outil de défense américain.



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