Oshkosh Light Combat Tactical All-Terrain Vehicle (L-ATV), vainqueur de l'appel d'offres JLTV (CC Licence)
Considérations techniques et logistiques
Le prédécesseur du JTLV, le « Humvee » (surnom du M998 HMMWV, High Mobility Multipurpose Wheeled Vehicle), a longtemps constitué l’un des véhicules de référence de l’Armée américaine. Cependant, sa conception remontant à la fin des années 1970 faisait de cet engin un véhicule avec une marge d’évolution réduite. L’absence de blindage sur l’immense majorité des véhicules en service, était un défaut considérable qui a entrainé de lourdes pertes humaines lors de déploiements en zone de conflits, notamment en Irak et en Afghanistan (1). Utilisées en masse et pendant de nombreuses années, des « versions bricolées » du Humvee ont vu le jour pour tenter de pallier ces défauts de conceptions. Mais comme le souligne Omar Lamrani, analyste militaire à Stratfor, « avec les guerres en Irak et en Afghanistan, on s'est rendu compte que le Humvee résistait mal aux mines improvisées. On a ajouté un blindage, mais ça a augmenté le poids et le moteur a commencé à avoir des problèmes de fiabilité. » (2) Dans l’urgence, les Etats-Unis ont lancé simultanément un programme de recherche pour son remplacement définitif et un certain nombre d’appels d’offre pour des achats sur étagère de véhicules fortement protégés. Ces derniers ont permis la naissance de l’immense marché des MRAP (Mine Resistant Ambush Protected), véhicules fortement blindés, reconnaissables à leur silhouette haut perchée. Mais les MRAP n’ont constitué qu’une solution transitoire, en attendant le choix d’un véhicule définitif.
Ce programme de remplacement du prototype Humvee est un événement symbolique dans le milieu militaire puisque ce n’est pas tous les jours que l’armée américaine se fournit d’un nouveau type de véhicule. Cette commande en faveur du L-ATV d’Oshkosh traduit par contre une tendance générale à l’alourdissement des armées. Avec 6 tonnes à vide et 2,5 tonnes de charge utile, le JLTV sera plus de deux fois plus lourd que le Humvee. Cela pose la question des coûts de projection et de MCO (maintien en conditions opérationnelles). En effet, un tel alourdissement des matériels influe nécessairement sur la mobilité et l’empreinte logistique d’une armée en campagne. Au-delà de la rhétorique commerciale du fabricant, on peut s’interroger sur les capacités de franchissement et de manœuvre réelles d’un véhicule qui, à pleine charge et en ordre de combat, va presque atteindre les neuf tonnes.
Par ailleurs, les Etats-Unis ne remplacent pas leur flotte de Humvee nombre pour nombre : 100 000 Humvee environ seront remplacés par 55 000 JLTV. Cela aura forcément des conséquences opérationnelles. Néanmoins, il ne s’agit que d’une première commande, et rien ne dit que l’armée américaine s’arrêtera à ce chiffre et ne considérera pas l’achat d’un autre véhicule. Les 55 500 véhicules prévus ne seront d’ailleurs peut-être pas tous identiques.
Des inquiétudes pour le marché des blindés légers ?
Grâce à cette commande, on imagine aisément que le véhicule d’Oshkosh va avoir de sérieux arguments à l’export. D’autant plus que le JLTV est une version dérivée d’un véhicule déjà éprouvé en Afghanistan : le M-ATV (2). Il est aisé d’imaginer que ce véhicule arrivera sans peine à trouver sa place sur un marché des blindés légers qui retrouve quelques couleurs, notamment du fait des demandes des secteurs police et sécurité intérieure.
Une question reste également en suspens. Celle des nombreux Humvee qui vont être sortis du service actif et l’utilisation que projettent d’en faire les Etats Unis… Seront-ils ferraillés ? Vendus ou même donnés ? Les Américains ont démontré par le passé avec les MRAP qu’ils n’éprouvaient pas tant de scrupules à détruire un marché qu’ils initialement avaient créé : suite au retrait des troupes US d’Irak et d’Afghanistan, l’armée américaine se retrouva avec un stock considérable de véhicules très spécifiques, dont le rapatriement vers les Etats-Unis coûtait au final bien plus cher que l’abandon pur et simple. Beaucoup furent ainsi laissés sur place et un certain nombre furent donnés aux pays qui le souhaitaient. Cette situation post-guerre a bouleversé un marché alors jeune qui s’est écroulé aussi vite qu’il s’est développé.
L’histoire va-t-elle donc se répéter avec cette nouvelle commande ? Car en effet, si les entreprises américaines sont quelque peu « protégées » par ce nouveau contrat, qu’en est-il du reste du monde ? Les Etats-Unis ont en effet plusieurs cartes à jouer. Même si le remplacement progressif des Humvee va prendre des années, ils ont tout intérêt à se délester de ces véhicules en surnombre et éviter un stockage coûteux. D’autre part, faire « don » de ces véhicules ou les placer sur le marché à des coûts très faibles aurait pour effet de donner un réel coup à la concurrence mondiale, et éventuellement d’affaiblir des entreprises surtout européennes. Car si les pays développés ne seront pas demandeurs de Humvee de seconde main, nombre de pays d’Amérique Latine, d’Afrique ou d’Asie seront ravis de récupérer à peu de frais ces stocks. Or ces pays sont également des prospects des entreprises européennes, qu’il s’agisse de Renault Truck Defense-Panhard, de Nexter Systems, d’Iveco, de KMW, de RheinMetall ou encore de Mercedes Benz.
A moyen terme, ce contrat passé par l’armée américaine risque donc de perturber sérieusement un marché qui se remet à peine de l’épisode MRAP. Cette perspective doit inciter les entreprises européennes concurrentes à la plus grande vigilance et à innover toujours plus, pour proposer des produits faisant réellement la différence. D’un point de vue plus politique, cela doit nous inciter à poursuivre les efforts de concentration sur un marché européen de l’armement encore trop fragmenté pour résister à des entreprises américaines travaillant sur des volumes bien plus considérables que ce à quoi nous sommes habitués en Europe.
Le prédécesseur du JTLV, le « Humvee » (surnom du M998 HMMWV, High Mobility Multipurpose Wheeled Vehicle), a longtemps constitué l’un des véhicules de référence de l’Armée américaine. Cependant, sa conception remontant à la fin des années 1970 faisait de cet engin un véhicule avec une marge d’évolution réduite. L’absence de blindage sur l’immense majorité des véhicules en service, était un défaut considérable qui a entrainé de lourdes pertes humaines lors de déploiements en zone de conflits, notamment en Irak et en Afghanistan (1). Utilisées en masse et pendant de nombreuses années, des « versions bricolées » du Humvee ont vu le jour pour tenter de pallier ces défauts de conceptions. Mais comme le souligne Omar Lamrani, analyste militaire à Stratfor, « avec les guerres en Irak et en Afghanistan, on s'est rendu compte que le Humvee résistait mal aux mines improvisées. On a ajouté un blindage, mais ça a augmenté le poids et le moteur a commencé à avoir des problèmes de fiabilité. » (2) Dans l’urgence, les Etats-Unis ont lancé simultanément un programme de recherche pour son remplacement définitif et un certain nombre d’appels d’offre pour des achats sur étagère de véhicules fortement protégés. Ces derniers ont permis la naissance de l’immense marché des MRAP (Mine Resistant Ambush Protected), véhicules fortement blindés, reconnaissables à leur silhouette haut perchée. Mais les MRAP n’ont constitué qu’une solution transitoire, en attendant le choix d’un véhicule définitif.
Ce programme de remplacement du prototype Humvee est un événement symbolique dans le milieu militaire puisque ce n’est pas tous les jours que l’armée américaine se fournit d’un nouveau type de véhicule. Cette commande en faveur du L-ATV d’Oshkosh traduit par contre une tendance générale à l’alourdissement des armées. Avec 6 tonnes à vide et 2,5 tonnes de charge utile, le JLTV sera plus de deux fois plus lourd que le Humvee. Cela pose la question des coûts de projection et de MCO (maintien en conditions opérationnelles). En effet, un tel alourdissement des matériels influe nécessairement sur la mobilité et l’empreinte logistique d’une armée en campagne. Au-delà de la rhétorique commerciale du fabricant, on peut s’interroger sur les capacités de franchissement et de manœuvre réelles d’un véhicule qui, à pleine charge et en ordre de combat, va presque atteindre les neuf tonnes.
Par ailleurs, les Etats-Unis ne remplacent pas leur flotte de Humvee nombre pour nombre : 100 000 Humvee environ seront remplacés par 55 000 JLTV. Cela aura forcément des conséquences opérationnelles. Néanmoins, il ne s’agit que d’une première commande, et rien ne dit que l’armée américaine s’arrêtera à ce chiffre et ne considérera pas l’achat d’un autre véhicule. Les 55 500 véhicules prévus ne seront d’ailleurs peut-être pas tous identiques.
Des inquiétudes pour le marché des blindés légers ?
Grâce à cette commande, on imagine aisément que le véhicule d’Oshkosh va avoir de sérieux arguments à l’export. D’autant plus que le JLTV est une version dérivée d’un véhicule déjà éprouvé en Afghanistan : le M-ATV (2). Il est aisé d’imaginer que ce véhicule arrivera sans peine à trouver sa place sur un marché des blindés légers qui retrouve quelques couleurs, notamment du fait des demandes des secteurs police et sécurité intérieure.
Une question reste également en suspens. Celle des nombreux Humvee qui vont être sortis du service actif et l’utilisation que projettent d’en faire les Etats Unis… Seront-ils ferraillés ? Vendus ou même donnés ? Les Américains ont démontré par le passé avec les MRAP qu’ils n’éprouvaient pas tant de scrupules à détruire un marché qu’ils initialement avaient créé : suite au retrait des troupes US d’Irak et d’Afghanistan, l’armée américaine se retrouva avec un stock considérable de véhicules très spécifiques, dont le rapatriement vers les Etats-Unis coûtait au final bien plus cher que l’abandon pur et simple. Beaucoup furent ainsi laissés sur place et un certain nombre furent donnés aux pays qui le souhaitaient. Cette situation post-guerre a bouleversé un marché alors jeune qui s’est écroulé aussi vite qu’il s’est développé.
L’histoire va-t-elle donc se répéter avec cette nouvelle commande ? Car en effet, si les entreprises américaines sont quelque peu « protégées » par ce nouveau contrat, qu’en est-il du reste du monde ? Les Etats-Unis ont en effet plusieurs cartes à jouer. Même si le remplacement progressif des Humvee va prendre des années, ils ont tout intérêt à se délester de ces véhicules en surnombre et éviter un stockage coûteux. D’autre part, faire « don » de ces véhicules ou les placer sur le marché à des coûts très faibles aurait pour effet de donner un réel coup à la concurrence mondiale, et éventuellement d’affaiblir des entreprises surtout européennes. Car si les pays développés ne seront pas demandeurs de Humvee de seconde main, nombre de pays d’Amérique Latine, d’Afrique ou d’Asie seront ravis de récupérer à peu de frais ces stocks. Or ces pays sont également des prospects des entreprises européennes, qu’il s’agisse de Renault Truck Defense-Panhard, de Nexter Systems, d’Iveco, de KMW, de RheinMetall ou encore de Mercedes Benz.
A moyen terme, ce contrat passé par l’armée américaine risque donc de perturber sérieusement un marché qui se remet à peine de l’épisode MRAP. Cette perspective doit inciter les entreprises européennes concurrentes à la plus grande vigilance et à innover toujours plus, pour proposer des produits faisant réellement la différence. D’un point de vue plus politique, cela doit nous inciter à poursuivre les efforts de concentration sur un marché européen de l’armement encore trop fragmenté pour résister à des entreprises américaines travaillant sur des volumes bien plus considérables que ce à quoi nous sommes habitués en Europe.
- http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2015/08/26/le-humvee-vehicule-militaire-americain-emblematique-a-trouve-son-successeur_4737149_3222.html
- http://www.lapresse.ca/international/etats-unis/201209/05/01-4571329-un-successeur-pour-le-humvee.php
- http://www.lesechos.fr/journal20150827/lec2_entreprise_et_marches/021282693624-premier-contrat-record-pour-le-successeur-du-humvee-de-lus-army-1148084.php