C’est par l’accusation d’élections tronquées que la junte militaire ayant pris le pouvoir au Gabon le 30 août dernier justifie son coup d’État. Le Président Ali Bongo Ondimba venait d’être réélu avec 64,27 % des suffrages. Le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions dit en ce titre tout son programme. Ali Bongo aurait été selon eux un Président fantoche, homme lige de Paris.
« La France condamne le coup d’État militaire qui est en cours au Gabon », a déclaré le porte-parole du Gouvernement français, sans beaucoup plus commenter donc, une situation qui manifestement, le dépasse. La tenue de ces élections n’aurait pas respecté les règles d’un scrutin libre. Ce que l’on peut désormais appeler au Gabon l’ancien régime, celui de la dynastie Bongo, avait d’ailleurs imposé un couvre-feu et un blocage d’internet pour protéger les résultats du scrutin.
Peine perdue. Les élections du 26 août ont été annulées, de même pour l’ensemble des institutions du pays, toutes dissoutes dans la foulée. Les frontières sont également fermées pour permettre au pays de prendre le virage que la junte compte lui faire prendre sans autre intervention extérieure. Après un épisode de résidence surveillée avec sa famille et ses médecins, Ali Bongo est libre de ses mouvements.
Une liesse populaire incontestable a accompagné l’annonce du coup d’État en soutien aux militaires. Ils appartenaient à la Garde républicaine et à l’armée régulière, renforcés par des policiers. C’est dire l’étendue de la sédition au sein des forces de l’ordre. Le chef du CTRI, le général Brice Oligui Nguema est l’ancien chef de la Garde républicaine. Il est président de la Transition. À Port-Gentil des centaines de partisans ont chanté leur joie « Le Gabon est libéré », scandaient-ils. L’argument est de dire que malgré le multipartisme instauré dans les institutions en 1990, les Bongo demeuraient toujours les vainqueurs des élections. La démocratie n’aurait pas été possible par les urnes au Gabon.
La revendication de l’opposition, la Plateforme Alternance 2023, est la victoire face à Bongo, d’Albert Ondo Ossa. Une conférence de presse a été donnée pour informer des suites. Un recompte des voix, dont on annonce à l’avance le résultat : « L’intérêt supérieur de la nation et la défense de ses intérêts fondamentaux nous commande de reprendre le processus de centralisation des résultats de l’élection présidentielle qui a été interrompu. Au terme de ce processus qui devrait se poursuivre sous la supervision de nos forces armées, le Professeur Albert Ondo Ossa verra sa victoire officialisée. La voie que nous indiquons est la voie de la raison et de la sagesse, c’est la voie de la démocratie et de l’état de droit. C’est la voie qui permettra au Gabon de se reconstruire. »
De fait, Brice Oligui Nguema a nommé Premier ministre le 7 septembre dernier Raymond Ndong Sima, candidat malheureux en 2016 et membre d’Alternance 2023. L’homme est d’expérience ; il fut de l’équipe gouvernementale dans les années quatre-vingt, puis émissaire au FMI. La popularité du nouveau pouvoir est très forte. Mesure parmi d’autres, Nguema a annoncé que les frais de scolarité des jeunes seraient de nouveau à la charge de l’État.
En un contexte international où les mains de Moscou ou de Pékin sont suspectées d’agir partout en Afrique, notamment pour affaiblir l’influence française, les motivations profondes du CTRI sont-elles de refonder la démocratie ou bien s’agit-il d’un coup d’État soutenu par une puissance étrangère ?
Par ailleurs des accusations graves ont entaché les trois élections ayant porté et reconduit Ali Bongo au pouvoir en 2009, 2016, puis en août dernier. En 2009 l’opposition avait dénoncé des fraudes. En 2016, la population manifestait son sentiment de révolte d’avoir eu son élection volée pour la seconde fois depuis 2009. Qu’en est-il de ces accusations ?
Ali Bongo a eu des ennuis de santé qui ont terminé d’anéantir une légitimité de chef d’État déjà bien fragile. Un AVC en 2018 l’avait beaucoup affaibli. Ce qui renforçait dans l’opinion gabonaise le sentiment que l’on n’en aurait jamais fini avec la dynastie Bongo est qu’après le père Omar depuis 1967, un mandat crépusculaire du fils Ali allait être le temps de préparation au pouvoir du petit-fils, Noureddin Bongo Valentin. Lequel est maintenant en prison. Lui sont reprochés des faits extrêmement graves, tels que haute trahison, détournements de fonds publics, malversations financières en bande organisée, falsification de signature du président de la République, corruption active et trafic de stupéfiants. De fait, ce coup d’État met fin à un pouvoir de type dynastique.
Le Président Omar Bongo avait de son vivant préparé sa succession. De tous ses fils, Ali était le mieux formé au pouvoir. Il avait été député et ministre, ce qui ne faisait pas de lui un novice en politique. C’est tout naturellement qu’il se présente à la suite de son père après son décès. Ali Bongo est soutenu par l’appareil d’État, mais aussi par Paris. Nicolas Sarkozy se précipite pour reconnaître, dès l’annonce des résultats et avant la décision de la Cour constitutionnelle, l’élection de celui qu’il appelle son ami. Les manifestations de protestation furent violemment réprimées. Dans les chancelleries occidentales, on sait depuis 2009 au moins que les élections gabonaises sont une farce – peut-être l’étaient-elles aussi du temps du père. Car à cette époque, la cour constitutionnelle créée avec les changements institutionnels de 1990 et 1991 a été présidée pendant vingt ans par une des maîtresses d’Omar Bongo.
L’ancien conseiller de Jacques Chirac Michel de Bonnecorse confirme que la démocratie n’existe pas à Libreville, la mal nommée. Mais on ne dit rien. C’est que la présidence Bongo facilite les intérêts de la France. On savait aussi aux États-Unis puisque l’ambassadeur Charles Rivkin écrivit à Hilary Clinton qu’Ali Bongo avait tout bonnement inversé les résultats des élections. Alors Secrétaire d’État, Clinton suggéra au Président américain de ne pas reconnaître ces résultats, mais ce dernier ne suivit pas le conseil. Il était plus avisé de concéder à la France le contrôle du Gabon pour s’assurer du silence, voir de l’appui français sur d’autres dossiers. Obama ambitionne alors de soutenir quelques révolutions de palais en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. L’appui de Paris n’est pas négligeable pour ce dessein. Washington et l’ensemble de la communauté internationale félicitent Ali Bongo pour sa réélection et certaines chancelleries, dont la première du monde, le reçoivent avec les honneurs.
La chute par les urnes de Nicolas Sarkozy, grand ami de Bongo, donne espoir aux Gabonais en 2012. La France passée à gauche se targue de porter plus haut que la droite le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais Paris sait que les élections gabonaises en 2016 vont très vraisemblablement rejouer le drame tragi-comique habituel, la parodie démocratique. L’appel officiel de Paris à la transparence du scrutin demeure très timide. C’est au détour d’une conversation de plateau de télévision que le Premier ministre Manuel Valls lâche que la première fois en 2009, Ali Bongo n’a pas été élu « comme on l’entend. » Tout est dit de ce que sera la complaisance française.
Pour cette réélection d’Ali Bongo, une mission d’observation de l’Union européenne est déployée sur les différents sites du vote. Quel pouvoir détient cette commission ? Assez peu, celui de faire état dans son rapport des irrégularités constatées. Par sa publication un avertissement est donné au Président mal élu. Mais aucune instance internationale ingérant ne viendra dénoncer et invalider les résultats. Il y a un deux poids deux mesures évidentes dans la dénonciation des régimes antidémocratiques. La bonne démocrature est celle avec qui la France fait des affaires, la mauvaise celle avec qui Washington nous demande gentiment de prendre des distances.
Autre accusation très grave de l’opposition gabonaise, la corruption massive. Qu’en est-il ? Il s’agit d’un peu plus que des soupçons, lorsque le nom d’Ali Bongo figure en bonne place dans la liste des Pandora papers rendus publics en 2021. Après sa chute, quatre milliards de francs CFA auraient été retrouvés en son palais, en espèces. Le Président faisait bien partie de ces dirigeants africains qui détournent les richesses de leur pays. Laissant aux seuls travailleurs la charge d’alimenter les recettes fiscales. Rendant par ce détournement de recettes le développement économique plus difficile.
Car les ressources sont nombreuses. Suffisantes pour faire du Gabon un pays prospère. Les forêts recouvrent plus des trois quarts du territoire, différents minerais font l’objet d’extraction, dont les précieux manganèse et uranium. Le pétrole à lui tout seul pourrait suffire à entretenir les besoins de la population. Les rentes de ce commerce ne sont toutefois pas réinvesties dans l’Économie. Le capitalisme gabonais est une cigale qui chante haut et fort tant que l’argent rentre et les Gabonais d’en bas sont condamnés à n’être que petites fourmis ouvrières pour le temps d’après.
Entretenir un partenariat économique avec un pays peu respectueux de la démocratie n’est pas condamnable en soi, si l’on veut bien considérer que personne, pas même Paris, n’a à donner de leçon de démocratie aux autres peuples du monde. Cependant, le système de la Françafrique – qui lorsque les anciennes colonies sont devenues suffisamment indépendantes pour choisir souverainement leurs orientations n’est plus qu’une amitié un peu plus rapprochée que les autres, une culture commune liée à la francophonie – demeure une relation privilégiée en laquelle la France garde et tire des intérêts importants.
Ces intérêts sont économiques et stratégiques. La France est coupable d’entretenir la cigale du clan Bongo dès lors qu’elle a intérêt au maintien de ce système de corruption.
Paris a renoncé à l’extraction de l’uranium de son propre sol après le pic de 1988, réduite ensuite à peau de chagrin. Les générations passées de nos élites ont eu pour cette raison la sagesse de multiplier les fournisseurs. Cependant, depuis que le Niger a exprimé quelques réserves quant à son amitié avec nous, le dernier grand fournisseur à être censément fiable est l’Australie avec un cinquième de nos besoins seulement. Les autres appartiennent plutôt à la sphère d’influence russe. Dans ces conditions proposer à Libreville de relancer l’extraction des sites gabonais de Mounana et de Moanda comptait parmi les solutions. Ce qui conditionne de garder une relation amicale avec ce pays.
Énergie primaire d’extrême importance elle aussi, le pétrole gabonais est l’une de nos sources historiques d’approvisionnement. C’est la France qui construisit le terminal pétrolier de Cap Lopez dans les années cinquante et le groupe Total énergie demeure avec l’anglo-néerlandais Shell le principal acteur du secteur. Le Gabon n’est pas pour autant dans le peloton de tête de nos fournisseurs, mais son recours présente un intérêt accru depuis 2022, du fait de notre hostilité à la Russie d’une part, et d’un partenariat économique qui s’est considérablement développé dans les deux sens ces dernières années. Notre balance commerciale avec le Gabon est redevenue très fortement excédentaire après une période de déclin pendant le quinquennat de François Hollande. Moins critique envers Bongo que son prédécesseur, le Président Macron était parvenu à relancer nos exportations vers l’ancienne colonie. On ne peut plus parler pour autant de Françafrique comme durant les décennies passées. Pour la simple raison que dans le même temps que ce bon résultat économique se déroulait, c’est la Chine, et non pas la France, qui devenait le premier partenaire économique du Gabon.
Dernier point, la présence militaire française est un enjeu puisque toujours un moyen de pression politique sur un secteur géographique donné. Les accords de Défense entre les deux pays datent de l’indépendance en 1960. Le putsch gabonais parut comme une provocation puisque survenu quelques heures seulement après le discours du Président Macron devant les ambassadeurs français à Paris, en lequel il mettait en garde les putschistes du Niger. Puis le lendemain de ce coup, son ministre des armées annonçait une diminution du nombre des affectations. Deux bases militaires, l’infanterie au camp de Gaulle, et la base aérienne Guy Pidoux, pour un total de trois cent quatre-vingts soldats. Ce nombre devrait descendre à deux cents courant 2024. La décision de ce retrait partiel date néanmoins d’avant les événements. Il est indéniablement un renoncement face à une compétition accrue en Afrique.
À l’extérieur, les réactions comme toujours après un coup d’État, rappellent quels étaient les soutiens de Bongo, révèlent quels sont ceux des putschistes. L’Union africaine condamne fermement, parlant de « violation flagrante » de ses propres principes. À l’ONU, Antonio Guterres est plus mesuré dans sa condamnation puisqu’il est surtout question de son « inquiétude à l’annonce des résultats des élections dans le contexte d’informations concernant des violations graves des libertés fondamentales. » À Moscou, on ne condamne pas un coup d’État qui affaiblit l’influence de Paris quand celle-ci se montre si pugnace à son endroit. On se dit simplement préoccupé. À Pékin, on joue comme toujours la carte de la neutralité et de l’apaisement, en appelant simplement à garantir la sécurité du Président déchu.
Réaction significative, celle des États-Unis est particulièrement claire. Il n’y a pas eu de ce côté de félicitations officielles pour la seconde réélection d’Ali Bongo le 26 août. Par contre à l’annonce du putsch, le porte-parole américain du département de la Défense, John Kirby, a déclaré « rester concentré sur le travail à faire avec nos partenaires en Afrique et toute la population du continent pour aider à soutenir la démocratie. »
Pour conclure, le recul français ne se fait pas ici comme au Niger, dans les conditions d’une porte qui se referme à soi avec fracas. Le CTRI garde sa porte ouverte à la France, mais dans le même temps qu’il l’a entrouverte à la Chine, et plus encore, aux États-Unis.
« La France condamne le coup d’État militaire qui est en cours au Gabon », a déclaré le porte-parole du Gouvernement français, sans beaucoup plus commenter donc, une situation qui manifestement, le dépasse. La tenue de ces élections n’aurait pas respecté les règles d’un scrutin libre. Ce que l’on peut désormais appeler au Gabon l’ancien régime, celui de la dynastie Bongo, avait d’ailleurs imposé un couvre-feu et un blocage d’internet pour protéger les résultats du scrutin.
Peine perdue. Les élections du 26 août ont été annulées, de même pour l’ensemble des institutions du pays, toutes dissoutes dans la foulée. Les frontières sont également fermées pour permettre au pays de prendre le virage que la junte compte lui faire prendre sans autre intervention extérieure. Après un épisode de résidence surveillée avec sa famille et ses médecins, Ali Bongo est libre de ses mouvements.
Une liesse populaire incontestable a accompagné l’annonce du coup d’État en soutien aux militaires. Ils appartenaient à la Garde républicaine et à l’armée régulière, renforcés par des policiers. C’est dire l’étendue de la sédition au sein des forces de l’ordre. Le chef du CTRI, le général Brice Oligui Nguema est l’ancien chef de la Garde républicaine. Il est président de la Transition. À Port-Gentil des centaines de partisans ont chanté leur joie « Le Gabon est libéré », scandaient-ils. L’argument est de dire que malgré le multipartisme instauré dans les institutions en 1990, les Bongo demeuraient toujours les vainqueurs des élections. La démocratie n’aurait pas été possible par les urnes au Gabon.
La revendication de l’opposition, la Plateforme Alternance 2023, est la victoire face à Bongo, d’Albert Ondo Ossa. Une conférence de presse a été donnée pour informer des suites. Un recompte des voix, dont on annonce à l’avance le résultat : « L’intérêt supérieur de la nation et la défense de ses intérêts fondamentaux nous commande de reprendre le processus de centralisation des résultats de l’élection présidentielle qui a été interrompu. Au terme de ce processus qui devrait se poursuivre sous la supervision de nos forces armées, le Professeur Albert Ondo Ossa verra sa victoire officialisée. La voie que nous indiquons est la voie de la raison et de la sagesse, c’est la voie de la démocratie et de l’état de droit. C’est la voie qui permettra au Gabon de se reconstruire. »
De fait, Brice Oligui Nguema a nommé Premier ministre le 7 septembre dernier Raymond Ndong Sima, candidat malheureux en 2016 et membre d’Alternance 2023. L’homme est d’expérience ; il fut de l’équipe gouvernementale dans les années quatre-vingt, puis émissaire au FMI. La popularité du nouveau pouvoir est très forte. Mesure parmi d’autres, Nguema a annoncé que les frais de scolarité des jeunes seraient de nouveau à la charge de l’État.
En un contexte international où les mains de Moscou ou de Pékin sont suspectées d’agir partout en Afrique, notamment pour affaiblir l’influence française, les motivations profondes du CTRI sont-elles de refonder la démocratie ou bien s’agit-il d’un coup d’État soutenu par une puissance étrangère ?
Par ailleurs des accusations graves ont entaché les trois élections ayant porté et reconduit Ali Bongo au pouvoir en 2009, 2016, puis en août dernier. En 2009 l’opposition avait dénoncé des fraudes. En 2016, la population manifestait son sentiment de révolte d’avoir eu son élection volée pour la seconde fois depuis 2009. Qu’en est-il de ces accusations ?
Ali Bongo a eu des ennuis de santé qui ont terminé d’anéantir une légitimité de chef d’État déjà bien fragile. Un AVC en 2018 l’avait beaucoup affaibli. Ce qui renforçait dans l’opinion gabonaise le sentiment que l’on n’en aurait jamais fini avec la dynastie Bongo est qu’après le père Omar depuis 1967, un mandat crépusculaire du fils Ali allait être le temps de préparation au pouvoir du petit-fils, Noureddin Bongo Valentin. Lequel est maintenant en prison. Lui sont reprochés des faits extrêmement graves, tels que haute trahison, détournements de fonds publics, malversations financières en bande organisée, falsification de signature du président de la République, corruption active et trafic de stupéfiants. De fait, ce coup d’État met fin à un pouvoir de type dynastique.
Le Président Omar Bongo avait de son vivant préparé sa succession. De tous ses fils, Ali était le mieux formé au pouvoir. Il avait été député et ministre, ce qui ne faisait pas de lui un novice en politique. C’est tout naturellement qu’il se présente à la suite de son père après son décès. Ali Bongo est soutenu par l’appareil d’État, mais aussi par Paris. Nicolas Sarkozy se précipite pour reconnaître, dès l’annonce des résultats et avant la décision de la Cour constitutionnelle, l’élection de celui qu’il appelle son ami. Les manifestations de protestation furent violemment réprimées. Dans les chancelleries occidentales, on sait depuis 2009 au moins que les élections gabonaises sont une farce – peut-être l’étaient-elles aussi du temps du père. Car à cette époque, la cour constitutionnelle créée avec les changements institutionnels de 1990 et 1991 a été présidée pendant vingt ans par une des maîtresses d’Omar Bongo.
L’ancien conseiller de Jacques Chirac Michel de Bonnecorse confirme que la démocratie n’existe pas à Libreville, la mal nommée. Mais on ne dit rien. C’est que la présidence Bongo facilite les intérêts de la France. On savait aussi aux États-Unis puisque l’ambassadeur Charles Rivkin écrivit à Hilary Clinton qu’Ali Bongo avait tout bonnement inversé les résultats des élections. Alors Secrétaire d’État, Clinton suggéra au Président américain de ne pas reconnaître ces résultats, mais ce dernier ne suivit pas le conseil. Il était plus avisé de concéder à la France le contrôle du Gabon pour s’assurer du silence, voir de l’appui français sur d’autres dossiers. Obama ambitionne alors de soutenir quelques révolutions de palais en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. L’appui de Paris n’est pas négligeable pour ce dessein. Washington et l’ensemble de la communauté internationale félicitent Ali Bongo pour sa réélection et certaines chancelleries, dont la première du monde, le reçoivent avec les honneurs.
La chute par les urnes de Nicolas Sarkozy, grand ami de Bongo, donne espoir aux Gabonais en 2012. La France passée à gauche se targue de porter plus haut que la droite le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais Paris sait que les élections gabonaises en 2016 vont très vraisemblablement rejouer le drame tragi-comique habituel, la parodie démocratique. L’appel officiel de Paris à la transparence du scrutin demeure très timide. C’est au détour d’une conversation de plateau de télévision que le Premier ministre Manuel Valls lâche que la première fois en 2009, Ali Bongo n’a pas été élu « comme on l’entend. » Tout est dit de ce que sera la complaisance française.
Pour cette réélection d’Ali Bongo, une mission d’observation de l’Union européenne est déployée sur les différents sites du vote. Quel pouvoir détient cette commission ? Assez peu, celui de faire état dans son rapport des irrégularités constatées. Par sa publication un avertissement est donné au Président mal élu. Mais aucune instance internationale ingérant ne viendra dénoncer et invalider les résultats. Il y a un deux poids deux mesures évidentes dans la dénonciation des régimes antidémocratiques. La bonne démocrature est celle avec qui la France fait des affaires, la mauvaise celle avec qui Washington nous demande gentiment de prendre des distances.
Autre accusation très grave de l’opposition gabonaise, la corruption massive. Qu’en est-il ? Il s’agit d’un peu plus que des soupçons, lorsque le nom d’Ali Bongo figure en bonne place dans la liste des Pandora papers rendus publics en 2021. Après sa chute, quatre milliards de francs CFA auraient été retrouvés en son palais, en espèces. Le Président faisait bien partie de ces dirigeants africains qui détournent les richesses de leur pays. Laissant aux seuls travailleurs la charge d’alimenter les recettes fiscales. Rendant par ce détournement de recettes le développement économique plus difficile.
Car les ressources sont nombreuses. Suffisantes pour faire du Gabon un pays prospère. Les forêts recouvrent plus des trois quarts du territoire, différents minerais font l’objet d’extraction, dont les précieux manganèse et uranium. Le pétrole à lui tout seul pourrait suffire à entretenir les besoins de la population. Les rentes de ce commerce ne sont toutefois pas réinvesties dans l’Économie. Le capitalisme gabonais est une cigale qui chante haut et fort tant que l’argent rentre et les Gabonais d’en bas sont condamnés à n’être que petites fourmis ouvrières pour le temps d’après.
Entretenir un partenariat économique avec un pays peu respectueux de la démocratie n’est pas condamnable en soi, si l’on veut bien considérer que personne, pas même Paris, n’a à donner de leçon de démocratie aux autres peuples du monde. Cependant, le système de la Françafrique – qui lorsque les anciennes colonies sont devenues suffisamment indépendantes pour choisir souverainement leurs orientations n’est plus qu’une amitié un peu plus rapprochée que les autres, une culture commune liée à la francophonie – demeure une relation privilégiée en laquelle la France garde et tire des intérêts importants.
Ces intérêts sont économiques et stratégiques. La France est coupable d’entretenir la cigale du clan Bongo dès lors qu’elle a intérêt au maintien de ce système de corruption.
Paris a renoncé à l’extraction de l’uranium de son propre sol après le pic de 1988, réduite ensuite à peau de chagrin. Les générations passées de nos élites ont eu pour cette raison la sagesse de multiplier les fournisseurs. Cependant, depuis que le Niger a exprimé quelques réserves quant à son amitié avec nous, le dernier grand fournisseur à être censément fiable est l’Australie avec un cinquième de nos besoins seulement. Les autres appartiennent plutôt à la sphère d’influence russe. Dans ces conditions proposer à Libreville de relancer l’extraction des sites gabonais de Mounana et de Moanda comptait parmi les solutions. Ce qui conditionne de garder une relation amicale avec ce pays.
Énergie primaire d’extrême importance elle aussi, le pétrole gabonais est l’une de nos sources historiques d’approvisionnement. C’est la France qui construisit le terminal pétrolier de Cap Lopez dans les années cinquante et le groupe Total énergie demeure avec l’anglo-néerlandais Shell le principal acteur du secteur. Le Gabon n’est pas pour autant dans le peloton de tête de nos fournisseurs, mais son recours présente un intérêt accru depuis 2022, du fait de notre hostilité à la Russie d’une part, et d’un partenariat économique qui s’est considérablement développé dans les deux sens ces dernières années. Notre balance commerciale avec le Gabon est redevenue très fortement excédentaire après une période de déclin pendant le quinquennat de François Hollande. Moins critique envers Bongo que son prédécesseur, le Président Macron était parvenu à relancer nos exportations vers l’ancienne colonie. On ne peut plus parler pour autant de Françafrique comme durant les décennies passées. Pour la simple raison que dans le même temps que ce bon résultat économique se déroulait, c’est la Chine, et non pas la France, qui devenait le premier partenaire économique du Gabon.
Dernier point, la présence militaire française est un enjeu puisque toujours un moyen de pression politique sur un secteur géographique donné. Les accords de Défense entre les deux pays datent de l’indépendance en 1960. Le putsch gabonais parut comme une provocation puisque survenu quelques heures seulement après le discours du Président Macron devant les ambassadeurs français à Paris, en lequel il mettait en garde les putschistes du Niger. Puis le lendemain de ce coup, son ministre des armées annonçait une diminution du nombre des affectations. Deux bases militaires, l’infanterie au camp de Gaulle, et la base aérienne Guy Pidoux, pour un total de trois cent quatre-vingts soldats. Ce nombre devrait descendre à deux cents courant 2024. La décision de ce retrait partiel date néanmoins d’avant les événements. Il est indéniablement un renoncement face à une compétition accrue en Afrique.
À l’extérieur, les réactions comme toujours après un coup d’État, rappellent quels étaient les soutiens de Bongo, révèlent quels sont ceux des putschistes. L’Union africaine condamne fermement, parlant de « violation flagrante » de ses propres principes. À l’ONU, Antonio Guterres est plus mesuré dans sa condamnation puisqu’il est surtout question de son « inquiétude à l’annonce des résultats des élections dans le contexte d’informations concernant des violations graves des libertés fondamentales. » À Moscou, on ne condamne pas un coup d’État qui affaiblit l’influence de Paris quand celle-ci se montre si pugnace à son endroit. On se dit simplement préoccupé. À Pékin, on joue comme toujours la carte de la neutralité et de l’apaisement, en appelant simplement à garantir la sécurité du Président déchu.
Réaction significative, celle des États-Unis est particulièrement claire. Il n’y a pas eu de ce côté de félicitations officielles pour la seconde réélection d’Ali Bongo le 26 août. Par contre à l’annonce du putsch, le porte-parole américain du département de la Défense, John Kirby, a déclaré « rester concentré sur le travail à faire avec nos partenaires en Afrique et toute la population du continent pour aider à soutenir la démocratie. »
Pour conclure, le recul français ne se fait pas ici comme au Niger, dans les conditions d’une porte qui se referme à soi avec fracas. Le CTRI garde sa porte ouverte à la France, mais dans le même temps qu’il l’a entrouverte à la Chine, et plus encore, aux États-Unis.