Depuis l’annonce du départ des troupes américaines de Syrie, la France a plusieurs fois affirmé qu’elle resterait présente dans le pays jusqu’à ce que la situation soit stabilisée. Mais quel que soit le choix retenu à terme, Paris fait face à une pénurie de moyens dans le domaine du transport stratégique aérien, ce qui limite autant ses capacités de déploiement de moyens supplémentaires que celles de rapatriement de l’existant.
Peu connue du grand public, la question du transport stratégique est pourtant constitutive du bon déroulement d’une opération extérieure. Il permet en effet d’acheminer sur la zone d’intervention le matériel militaire nécessaire à l’opération. Lorsque la France est appelée à se déployer rapidement sur des théâtres éloignés (Mali, Centrafrique, Iraq/Syrie), le transport du matériel militaire lourd se fait par voie aérienne. Or, Paris est contraint de louer des gros porteurs auprès d’acteurs étrangers car l’armée ne dispose pas de tels moyens. L’absence d’une flotte propre ainsi que la dépendance vis-à-vis de compagnies aériennes étrangères remettent de fait sérieusement en question l’autonomie stratégique de la France.
L’intervention des forces alliées en Afghanistan a mis en exergue le caractère essentiel du transport stratégique par voie aérienne. L’Afghanistan étant enclavée, les pays de la coalition menée par les Etats-Unis ont mis en place un système de pont aérien afin d’acheminer leurs matériels lourds comme les blindés ou les hélicoptères. Plus particulièrement, les Etats-Unis ont eu recours à leurs avions C5 Galaxy, avions capables de transporter jusqu’à 118 tonnes de charge utile. En revanche, les autres pays européens, ne disposant pas de ce type de transport, se sont retrouvés dépendants des Etats-Unis.
Il existe en effet peu d’avions gros porteurs. L’Américain C5 Galaxy, que l’oncle Sam préfère garder pour son usage exclusif, a été relégué au second rang des avions ayant la plus large charge utile avec l’apparition des Antonov 124 (An-124) dans les années 70. De fabrication soviétique, ces avions peuvent transporter jusqu’à 120 tonnes de charge utile. Sur les 47 exemplaires existants, l’armée russe en détient le plus grand nombre avec 26 exemplaires, suivi de la compagnie aérienne russe Volga Dniepr avec 12 exemplaires et la compagnie aérienne ukrainienne Antonov DB avec 7 exemplaires.
Face à la rareté de l’offre, la France a tenté de conserver un certain degré d’indépendance en développant une stratégie d’affrètement reposant sur deux systèmes : le contrat otanien SALIS et la publication de bons de commande.
Le contrat SALIS, mis en place par plusieurs membres de l’OTAN à la suite de l’intervention en Afghanistan, consiste en un « contrat-forfait ». Il s’agit d’un système de mutualisation entre les différents partenaires permettant d’acheter à l’avance des heures de vol d’An-124. Alors que l’objectif de ce système était de diviser les coûts d’accès aux Antonov entre les partenaires, ce contrat s’est en fait avéré être un gouffre financier. En effet, les compagnies aériennes partenaires, les Russes Volga Dniepr et les Ukrainiens Antonov DB, facturent, en plus des heures de vol réelles, les heures de mise en place et de retour des avions. En d’autres termes, ces entreprises monnaient le fait de faire venir les Antonov stationnés à Leipzig jusqu’à la zone de chargement de l’Etat client. Les 1000 heures de vol facturées ne correspondent ainsi pas à 1000 heures de transport vers les théâtres d’opération, rendant les comparaisons, avec d’autres contrats, hasardeuses. De plus, le départ de la société Volga Dniepr du contrat en janvier 2019 a entraîné de nouveaux surcoûts : l’entreprise Antonov DB, désormais en situation de monopole, en a profité pour revoir ses tarifs à la hausse. A noter que le départ de la société russe Volga Dnepr Airlines des marchés de transport militaire n’a pas forcément été vu d’un mauvais œil en France : celle-ci a notamment été exclue à vie des contrats des Nations-Unis en 2007 pour des faits de corruption.
Par ailleurs, alors que le mécanisme SALIS devait permettre de garantir l’accès à 6 appareils, le départ de Volga Dniepr rend cette clause caduque. La compagnie Antonov DB ayant 7 appareils, il est peu probable qu’elle puisse en mettre 6 rapidement à disposition des membres qui en auraient besoin. Dans les faits, elle ne peut garantir que 900 heures de vol sur les 2,300 heures de vol requises par les pays membres du contrat SALIS.
En parallèle de ce système, afin de négocier directement avec les prestataires et maîtriser davantage les prix et les délais, la France a instauré un système de bons de commande. Plus souple, il permet de répondre à des besoins urgents en louant les An-124 sans intermédiaire. Régulièrement remporté par l’entreprise française ICS, ce marché a finalement été gelé en 2017 à la suite de doutes sur la transparence des contrats. Bien que le ministre de la défense d’alors Jean-Yves Le Drian, ait insisté sur le fait que ces soupçons étaient « non consolidés » et fondés sur « des bases de comparaison différentes », ICS a finalement été écarté des appels d’offres. Depuis, aucune décision n’a été prise pour réattribuer ces contrats. Les sociétés restantes, comme Strategic Airlift Support (SAS), Pégase Airdrop ou le duo Dynami-Daher, ne disposent pas de l’expérience nécessaire dans le transport militaire stratégique et n’offrent pas de garantie suffisante quant à l’accès à des Antonov gros porteurs. Sans prestataire capable de répondre aux besoins de l’armée, l’avenir de ce système est désormais en suspens.
Alors que la France ne peut aujourd’hui accéder aux Antonov 124 que par le biais du contrat SALIS, et donc via l’entreprise Antonov DB, son indépendance stratégique se voit extrêmement réduite. A la merci des évolutions géopolitiques, la France pourrait ne pas être en mesure de monter en puissance sur certains théâtres, comme en Syrie, faute de moyens de transport.
Peu connue du grand public, la question du transport stratégique est pourtant constitutive du bon déroulement d’une opération extérieure. Il permet en effet d’acheminer sur la zone d’intervention le matériel militaire nécessaire à l’opération. Lorsque la France est appelée à se déployer rapidement sur des théâtres éloignés (Mali, Centrafrique, Iraq/Syrie), le transport du matériel militaire lourd se fait par voie aérienne. Or, Paris est contraint de louer des gros porteurs auprès d’acteurs étrangers car l’armée ne dispose pas de tels moyens. L’absence d’une flotte propre ainsi que la dépendance vis-à-vis de compagnies aériennes étrangères remettent de fait sérieusement en question l’autonomie stratégique de la France.
L’intervention des forces alliées en Afghanistan a mis en exergue le caractère essentiel du transport stratégique par voie aérienne. L’Afghanistan étant enclavée, les pays de la coalition menée par les Etats-Unis ont mis en place un système de pont aérien afin d’acheminer leurs matériels lourds comme les blindés ou les hélicoptères. Plus particulièrement, les Etats-Unis ont eu recours à leurs avions C5 Galaxy, avions capables de transporter jusqu’à 118 tonnes de charge utile. En revanche, les autres pays européens, ne disposant pas de ce type de transport, se sont retrouvés dépendants des Etats-Unis.
Il existe en effet peu d’avions gros porteurs. L’Américain C5 Galaxy, que l’oncle Sam préfère garder pour son usage exclusif, a été relégué au second rang des avions ayant la plus large charge utile avec l’apparition des Antonov 124 (An-124) dans les années 70. De fabrication soviétique, ces avions peuvent transporter jusqu’à 120 tonnes de charge utile. Sur les 47 exemplaires existants, l’armée russe en détient le plus grand nombre avec 26 exemplaires, suivi de la compagnie aérienne russe Volga Dniepr avec 12 exemplaires et la compagnie aérienne ukrainienne Antonov DB avec 7 exemplaires.
Face à la rareté de l’offre, la France a tenté de conserver un certain degré d’indépendance en développant une stratégie d’affrètement reposant sur deux systèmes : le contrat otanien SALIS et la publication de bons de commande.
Le contrat SALIS, mis en place par plusieurs membres de l’OTAN à la suite de l’intervention en Afghanistan, consiste en un « contrat-forfait ». Il s’agit d’un système de mutualisation entre les différents partenaires permettant d’acheter à l’avance des heures de vol d’An-124. Alors que l’objectif de ce système était de diviser les coûts d’accès aux Antonov entre les partenaires, ce contrat s’est en fait avéré être un gouffre financier. En effet, les compagnies aériennes partenaires, les Russes Volga Dniepr et les Ukrainiens Antonov DB, facturent, en plus des heures de vol réelles, les heures de mise en place et de retour des avions. En d’autres termes, ces entreprises monnaient le fait de faire venir les Antonov stationnés à Leipzig jusqu’à la zone de chargement de l’Etat client. Les 1000 heures de vol facturées ne correspondent ainsi pas à 1000 heures de transport vers les théâtres d’opération, rendant les comparaisons, avec d’autres contrats, hasardeuses. De plus, le départ de la société Volga Dniepr du contrat en janvier 2019 a entraîné de nouveaux surcoûts : l’entreprise Antonov DB, désormais en situation de monopole, en a profité pour revoir ses tarifs à la hausse. A noter que le départ de la société russe Volga Dnepr Airlines des marchés de transport militaire n’a pas forcément été vu d’un mauvais œil en France : celle-ci a notamment été exclue à vie des contrats des Nations-Unis en 2007 pour des faits de corruption.
Par ailleurs, alors que le mécanisme SALIS devait permettre de garantir l’accès à 6 appareils, le départ de Volga Dniepr rend cette clause caduque. La compagnie Antonov DB ayant 7 appareils, il est peu probable qu’elle puisse en mettre 6 rapidement à disposition des membres qui en auraient besoin. Dans les faits, elle ne peut garantir que 900 heures de vol sur les 2,300 heures de vol requises par les pays membres du contrat SALIS.
En parallèle de ce système, afin de négocier directement avec les prestataires et maîtriser davantage les prix et les délais, la France a instauré un système de bons de commande. Plus souple, il permet de répondre à des besoins urgents en louant les An-124 sans intermédiaire. Régulièrement remporté par l’entreprise française ICS, ce marché a finalement été gelé en 2017 à la suite de doutes sur la transparence des contrats. Bien que le ministre de la défense d’alors Jean-Yves Le Drian, ait insisté sur le fait que ces soupçons étaient « non consolidés » et fondés sur « des bases de comparaison différentes », ICS a finalement été écarté des appels d’offres. Depuis, aucune décision n’a été prise pour réattribuer ces contrats. Les sociétés restantes, comme Strategic Airlift Support (SAS), Pégase Airdrop ou le duo Dynami-Daher, ne disposent pas de l’expérience nécessaire dans le transport militaire stratégique et n’offrent pas de garantie suffisante quant à l’accès à des Antonov gros porteurs. Sans prestataire capable de répondre aux besoins de l’armée, l’avenir de ce système est désormais en suspens.
Alors que la France ne peut aujourd’hui accéder aux Antonov 124 que par le biais du contrat SALIS, et donc via l’entreprise Antonov DB, son indépendance stratégique se voit extrêmement réduite. A la merci des évolutions géopolitiques, la France pourrait ne pas être en mesure de monter en puissance sur certains théâtres, comme en Syrie, faute de moyens de transport.