Une affaire hallucinante
Tout commence le 17 août 2010, lorsque la direction de Renault reçoit une lettre anonyme indiquant que des salariés de Renault travaillant notamment sur le projet stratégique du véhicule électrique Zoe, auraient perçus des pots de vin et auraient livré des informations sensibles. Après une enquête interne menée par l’unité en charge de la protection chez Renault composée d’anciens policiers et agents de renseignement, trois cadres sont rapidement mis à pied début 2011 ; Michel Balthazard, son adjoint Bertrand Rochette, et Matthieu Tenenbaum, tous occupant des fonctions importantes et depuis de longues années au sein de l’entreprise. Le groupe Renault porte rapidement plainte contre X, et la direction centrale du renseignement intérieur s’empare de l’enquête.
Les médias s’approprient rapidement l’affaire, et le PDG de Renault, Carlos Ghosn, intervient le 22 janvier 2011 au 20h de TF1 pour dénoncer les trois licenciés en mettant en avant sa "certitude" de leur culpabilité. Pourtant la presse d’investigation et une enquête de la sécurité intérieure de l’Etat (DCRI) vont venir démentir ces accusations et révéler la mascarade de cette affaire d’espionnage présumé. En effet, les accusations de la direction de Renault ne reposent sur rien, Renault aurait même versé plusieurs dizaines puis centaines de milliers d’euros à des informateurs secrets et des sources pour qu’ils diffusent des informations accusant les prétendus coupables : l’affaire d’espionnage se mue en affaire d’escroquerie. La classe politique française est aussi montrée du doigt, notamment le ministre chargé de l’Industrie Eric Besson qui avait soupçonné la Chine d’être à l’origine de cet espionnage. Finalement, certains collaborateurs de Renault, notamment Dominique Gevrey qui travaillait dans la sécurité du groupe, sont renvoyés pour escroquerie, accusés d’avoir produit des factures pour des services jamais rendus.
Des traces indélébiles au sein de l’entreprise
Une telle affaire qui conduit au licenciement injustifié de collaborateurs stratégiques, exemplaires et appréciés de l’entreprise ne fut pas sans conséquence sur le climat au sein de Renault. Bien entendu à court terme : lors des premiers mois de l’année 2011 régnait au technocentre de Renault une ambiance délétère et d’incertitudes d’autant que la communication interne était quasi inexistante sur cette affaire. Mais c’est davantage sur les conséquences à long terme que nous souhaitons nous attarder. En effet, des contacts dans l’entreprise nous ont révélé l’ampleur du traumatisme provoqué par cette affaire des faux espions. L’idée d’une famille Renault a été fragilisée par la mise en évidence d’un management quasi dictatorial qui n’a pas laissé la place à la présomption d’innocence « il a fallu faire attention en passant dans le hall que quelqu’un ne vous tombe pas dessus » : la confiance a été rompue entre le top management et le reste des employés.
Pour autant les cadres licenciés étaient respectés et aimés. Des anciens collègues regrettaient encore l’absence de Michel Balthazard, considéré comme un ingénieur hors-pair, preuve d’une solidarité et d’un amour de l’entreprise historique qui demeure. Dès lors, même si Renault a tenté de clore le sujet, le top management ne peut s’empêcher d’y penser à chaque fois qu’une nouvelle affaire ébranle l’entreprise. Ainsi lorsqu’un employé subit une attaque cardiaque lors d’une réunion de parcours ou au moment de l’affaire Ghosn l’heure était à la remise en question généralisée, donc parfois improductive résultant du traumatisme de cette affaire des faux espions.
Quelles causes se cachent derrière un tel fiasco ?
On peut, dans un premier temps, regarder le contexte global dans lequel se trouve Renault au moment de l’affaire. Plusieurs très grandes entreprises françaises ont déjà été victimes d’espionnage industriel avéré, comme ce fut le cas pour Veolia, Michelin ou le groupe Bolloré. Le danger existe donc bel et bien et crée un climat de méfiance qui peut partiellement expliquer la peur développée par les dirigeants de Renault. Le numéro 2 de Renault, Patrick Pélata, insiste lui sur l’idée d’un travail de « professionnel » et d’une « filière organisée internationale ». C’est donc bien dans un contexte troublé, où les pays en développement usent parfois des ressources gouvernementales pour obtenir le leadership dans leur domaine d’activité, que le scandale s’inscrit.
Mais au-delà de ce contexte, c’est sur sa gestion de crise que Renault a fauté, ne parvenant pas à garder son sang-froid et à agir de manière rationnelle. En effet comme l’expliquent Hervé Laroche et Christelle Théron [1] dans un article de recherche, les cadres de Renault ont cédé à la paranoïa et dès la révélation de cette affaire en interne il y eut un dysfonctionnement dans le partage d’informations liées aux prétendus pots-de-vins. En outre, ils ont été victime de ce que l’on appelle un biais de confirmation et ont fait fi d’éléments objectifs pour ne pas admettre ou envisager leurs fautes ; Carlos Ghosn allant même jusqu’à mentir publiquement au 20H de TF1 expliquant qu’il n’allait quand même pas dire qu’il n’avait pas de preuves au risque de “passer pour un con”. En effet les salariés visés n’avaient aucun motif clair pour se livrer à de telles trahisons, Matthieu Tenenbaum ayant d’ailleurs effectué toute sa carrière au sein du groupe lui ayant permis d’accéder à une fonction de responsabilité, extrêmement bien payée et ce en raison de son seul mérite et non de ses antécédents académiques. En outre, ils s’étaient déjà fait soutirer de l’argent pour recevoir des informations qui ne furent pas entièrement satisfaisantes dans les années qui ont précédé cette affaire et n’ont pas su tirer les leçons des risques liés à ce type de méthode en raison de leur paranoïa. Enfin, ils ont préféré garder le silence lorsqu’ils ont compris qu’ils s’étaient fourvoyés, peu de temps après avoir mobilisé la sécurité intérieure pour enquêter sur cette affaire.
Tout commence le 17 août 2010, lorsque la direction de Renault reçoit une lettre anonyme indiquant que des salariés de Renault travaillant notamment sur le projet stratégique du véhicule électrique Zoe, auraient perçus des pots de vin et auraient livré des informations sensibles. Après une enquête interne menée par l’unité en charge de la protection chez Renault composée d’anciens policiers et agents de renseignement, trois cadres sont rapidement mis à pied début 2011 ; Michel Balthazard, son adjoint Bertrand Rochette, et Matthieu Tenenbaum, tous occupant des fonctions importantes et depuis de longues années au sein de l’entreprise. Le groupe Renault porte rapidement plainte contre X, et la direction centrale du renseignement intérieur s’empare de l’enquête.
Les médias s’approprient rapidement l’affaire, et le PDG de Renault, Carlos Ghosn, intervient le 22 janvier 2011 au 20h de TF1 pour dénoncer les trois licenciés en mettant en avant sa "certitude" de leur culpabilité. Pourtant la presse d’investigation et une enquête de la sécurité intérieure de l’Etat (DCRI) vont venir démentir ces accusations et révéler la mascarade de cette affaire d’espionnage présumé. En effet, les accusations de la direction de Renault ne reposent sur rien, Renault aurait même versé plusieurs dizaines puis centaines de milliers d’euros à des informateurs secrets et des sources pour qu’ils diffusent des informations accusant les prétendus coupables : l’affaire d’espionnage se mue en affaire d’escroquerie. La classe politique française est aussi montrée du doigt, notamment le ministre chargé de l’Industrie Eric Besson qui avait soupçonné la Chine d’être à l’origine de cet espionnage. Finalement, certains collaborateurs de Renault, notamment Dominique Gevrey qui travaillait dans la sécurité du groupe, sont renvoyés pour escroquerie, accusés d’avoir produit des factures pour des services jamais rendus.
Des traces indélébiles au sein de l’entreprise
Une telle affaire qui conduit au licenciement injustifié de collaborateurs stratégiques, exemplaires et appréciés de l’entreprise ne fut pas sans conséquence sur le climat au sein de Renault. Bien entendu à court terme : lors des premiers mois de l’année 2011 régnait au technocentre de Renault une ambiance délétère et d’incertitudes d’autant que la communication interne était quasi inexistante sur cette affaire. Mais c’est davantage sur les conséquences à long terme que nous souhaitons nous attarder. En effet, des contacts dans l’entreprise nous ont révélé l’ampleur du traumatisme provoqué par cette affaire des faux espions. L’idée d’une famille Renault a été fragilisée par la mise en évidence d’un management quasi dictatorial qui n’a pas laissé la place à la présomption d’innocence « il a fallu faire attention en passant dans le hall que quelqu’un ne vous tombe pas dessus » : la confiance a été rompue entre le top management et le reste des employés.
Pour autant les cadres licenciés étaient respectés et aimés. Des anciens collègues regrettaient encore l’absence de Michel Balthazard, considéré comme un ingénieur hors-pair, preuve d’une solidarité et d’un amour de l’entreprise historique qui demeure. Dès lors, même si Renault a tenté de clore le sujet, le top management ne peut s’empêcher d’y penser à chaque fois qu’une nouvelle affaire ébranle l’entreprise. Ainsi lorsqu’un employé subit une attaque cardiaque lors d’une réunion de parcours ou au moment de l’affaire Ghosn l’heure était à la remise en question généralisée, donc parfois improductive résultant du traumatisme de cette affaire des faux espions.
Quelles causes se cachent derrière un tel fiasco ?
On peut, dans un premier temps, regarder le contexte global dans lequel se trouve Renault au moment de l’affaire. Plusieurs très grandes entreprises françaises ont déjà été victimes d’espionnage industriel avéré, comme ce fut le cas pour Veolia, Michelin ou le groupe Bolloré. Le danger existe donc bel et bien et crée un climat de méfiance qui peut partiellement expliquer la peur développée par les dirigeants de Renault. Le numéro 2 de Renault, Patrick Pélata, insiste lui sur l’idée d’un travail de « professionnel » et d’une « filière organisée internationale ». C’est donc bien dans un contexte troublé, où les pays en développement usent parfois des ressources gouvernementales pour obtenir le leadership dans leur domaine d’activité, que le scandale s’inscrit.
Mais au-delà de ce contexte, c’est sur sa gestion de crise que Renault a fauté, ne parvenant pas à garder son sang-froid et à agir de manière rationnelle. En effet comme l’expliquent Hervé Laroche et Christelle Théron [1] dans un article de recherche, les cadres de Renault ont cédé à la paranoïa et dès la révélation de cette affaire en interne il y eut un dysfonctionnement dans le partage d’informations liées aux prétendus pots-de-vins. En outre, ils ont été victime de ce que l’on appelle un biais de confirmation et ont fait fi d’éléments objectifs pour ne pas admettre ou envisager leurs fautes ; Carlos Ghosn allant même jusqu’à mentir publiquement au 20H de TF1 expliquant qu’il n’allait quand même pas dire qu’il n’avait pas de preuves au risque de “passer pour un con”. En effet les salariés visés n’avaient aucun motif clair pour se livrer à de telles trahisons, Matthieu Tenenbaum ayant d’ailleurs effectué toute sa carrière au sein du groupe lui ayant permis d’accéder à une fonction de responsabilité, extrêmement bien payée et ce en raison de son seul mérite et non de ses antécédents académiques. En outre, ils s’étaient déjà fait soutirer de l’argent pour recevoir des informations qui ne furent pas entièrement satisfaisantes dans les années qui ont précédé cette affaire et n’ont pas su tirer les leçons des risques liés à ce type de méthode en raison de leur paranoïa. Enfin, ils ont préféré garder le silence lorsqu’ils ont compris qu’ils s’étaient fourvoyés, peu de temps après avoir mobilisé la sécurité intérieure pour enquêter sur cette affaire.
[1] LAROCHE, H., C.THERON, Managers et espions. L'affaire Renault, REVUE FRANCAISE DE GESTION, n° 254, pp 37-51 (15)