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La souveraineté retrouvée de la France en matière de transport stratégique




Publié par François Moreno le 15 Avril 2021

Grâce à la montée en puissance de sa flotte d’A400M et d’A330 MRTT, l’armée française dispose désormais de moyens patrimoniaux de transport stratégique, pour se projeter sur des théâtres d’opérations extérieurs. De la sorte, elle entend se libérer progressivement de sa dépendance aux gros-porteurs de l’Est.



Grâce à la montée en puissance de sa flotte d’A400M et d’A330 MRTT, l’armée française dispose désormais de moyens patrimoniaux de transport stratégique, pour se projeter sur des théâtres d’opérations extérieurs. De la sorte, elle entend se libérer progressivement de sa dépendance aux gros-porteurs de l’Est.
 
Afghanistan, Irak, Centrafrique, Sahel… Les engagements des armées françaises sur les théâtres extérieurs se sont intensifiés au cours des dernières années. Avec, à la clé, une augmentation de ses besoins logistiques. D’autant que les équipements militaires, et notamment les chars, sont de plus en plus lourds. La capacité de transport aérien stratégique est donc plus que jamais capitale pour la projection des forces. Objectif : acheminer rapidement, sur de longues distances, et à grande échelle, des hommes, mais aussi des blindés, des hélicoptères, des munitions… Un fret « exceptionnel », « hors gabarit », qui nécessite le recours à de gros-porteurs.
 
Hier, une forte dépendance aux Antonov 124 russes et ukrainiens
 
Or ce type d’avions reste une denrée rare dans le monde. D’autant que les Américains ont décidé, depuis le début des années 1990, de garder leur C5 Galaxy exclusivement pour eux, en les retirant du giron de l’OTAN. Reste l’Antonov 124, le gros-porteur russo-ukrainien, champion de sa catégorie avec une capacité d’emport de 120 tonnes. Capable de transporter les matériels les plus lourds et notamment les chars, l’An124 a été largement utilisé par la France au cours des années 2010. Pour le lancement de l’opération Serval au Mali en 2013, l’armée de l’air a ainsi affrété 115 vols d’An124 en à peine deux mois.
 
Aujourd’hui, au-delà des appareils de l’armée de l’air russe, il n’existe plus qu’une vingtaine d’An124 disponibles dans le monde, auprès de trois compagnies. Ces dernières années, la France a eu accès à ces gros-porteurs en recourant à la Solution intérimaire pour le transport aérien stratégique (Salis) dans le cadre de l’Otan, ou en passant par des marchés « à bons de commande » notifiés à des affréteurs privés. Regroupant dix pays, l’accord Salis permet, via un système d’heures de vol prépayées, un accès aux flottes d’An124 de la compagnie russe privée Volga Dnepr et de l’ukrainien Antonov Airlines, filiale du constructeur des Antonov. Peu souple, ce système n’a pas donné entièrement satisfaction à la France, qui, compte tenu de son rythme d’engagement opérationnel, a besoin de plus que ce que Salis peut lui fournir. A ces considérations pratiques s’ajoute le fait que le contrat Salis est facturé par une société basée au Luxembourg, paradis fiscal notoire. Par ailleurs, jusqu’en 2018, ce contrat était « armé » essentiellement par le compagnie Volga Dnepr, black-listée par l’ONU en 2007 pour corruption.
 
Compte tenu de ses besoins logistiques, l’armée française a également dû faire appel à des affréteurs privés, et tout particulièrement à la société ICS (International Chartering Systems), entre 2011 et 2017. Grâce aux relations entretenues cette PME française en Russie et en Ukraine, ce contrat a permis d’accéder à des An124, mais aussi à d’autres appareils de transport stratégique (Iliouchine 76, etc.). De l’opération Sangaris en Centrafrique à Barkhane au Sahel, en passant par l’Irak et l’Afghanistan, ICS s’est ainsi imposé comme le principal acteur des ponts aériens de l’armée française, loin devant le contrat Salis. Rien de mystérieux à cela : en dépit d’un rapport parlementaire à charge contre la société ICS, le ministère des armées a depuis confirmé que cette société s’est avérée à la fois moins et mieux-disante que ses concurrent et que le contrat Salis. C’est le prix politique de cette dépendance aux avions russes et ukrainiens qui a depuis été jugé trop élevé, à l’aune de l’évolution de nos rapports géopolitiques avec le Russie poutinienne notamment.
 
Aujourd’hui, des moyens patrimoniaux de transport stratégique
 
Cette époque semble donc désormais révolue. La France veut en finir avec sa dépendance vis-à-vis de la Russie et de l’Ukraine. Et pour retrouver sa souveraineté en matière de transport stratégique et la maîtrise de sa capacité de projection, l’armée française mise avant tout sur ses moyens patrimoniaux et sur la montée en puissance de ses flottes d’avions de transport A400M Atlas et de ravitailleurs multi-fonctions A330 MRTT Phénix.
 
Mis en service en 2013, l’A400M Atlas est en effet un véritable game changer pour la capacité française de transport stratégique et tactique. Capable d’acheminer 37 tonnes de fret sur 4.500 km, cet avion de transport militaire est désormais un pilier de la capacité de projection de l’armée de l’Air et de l’Espace (aAE). Il permet de projeter « plus vite et plus loin ». Aujourd’hui, la France dispose d’une flotte de 17 appareils, située sur la base aérienne 123 d’Orléans, et prévoit d’y ajouter huit unités supplémentaires d’ici 2025.
 
Parallèlement, l’armée a réceptionné en 2020, son troisième A330 MRTT Phénix... Et attend la livraison de neuf autres MRTT d’ici 2023, puis de trois autres ensuite. Capable de ravitailler deux chasseurs simultanément, cet avion a pour mission principale de ravitailler la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire. Mais il est également doté d’un module de réanimation pour le transport médicalisé d’urgence, et permet aussi d’accroître les capacités de transport stratégique des armées françaises. Un seul appareil permet de projeter, par exemple, un plot de deux à quatre chasseurs, avec ses mécaniciens et leur lot de maintenance.
 
Le ministère des Armées s’en félicite : « le déficit » français en matière de capacité patrimoniale de transport stratégique est donc en passe d’être comblé avec l’arrivée des A400M Atlas et des A330 MRTT Phénix. Ces deux appareils constituent désormais « le cœur de la capacité en avions de transport stratégique, qui comprendra en 2028 un ensemble complémentaire et cohérent de 35 A400M et 15 MRTT  ». L’armée multiplie d’ailleurs les exercices grandeur nature pour prouver et éprouver cette nouvelle capacité patrimoniale de transport stratégique.
 
En janvier 2021, l’aAE a ainsi déployé quatre Rafale, deux A400M Atlas et un A330 MRTT Phénix en Inde, aux Émirats arabes unis et en Égypte. En 2018, un dispositif similaire a été envoyé dans la région Indo-Pacifique. Une nouvelle mission, visant à dépêcher en Polynésie trois Rafale, deux A330 MRTT et un A400M, est également prévue. Et en 2023, l’ambition est de « projeter vingt Rafale et dix avions ravitailleurs en 48 heures, jusqu’à 20.000 kilomètres ». « Cette capacité de projection, qui était jusqu’ici le pré-carré des Etats-Unis, est aujourd’hui à la portée de la France », souligne le général Philippe Lavigne, chef d’état-major de l’aAE.
 
Pour compléter ces moyens patrimoniaux, l’armée française continuera de faire appel au contrat Salis, ainsi qu’aux appareils de forces alliées, comme les C-17 Globemaster canadiens engagés en soutien de Barkhane, au Sahel. Mais l’ère du recours à des affréteurs privés, utilisant leur réseau de relations en Russie et en Ukraine pour fournir à l’armée française des Antonov 124, semble désormais appartenir au passé. La fin de la dépendance aux gros-porteurs russes et ukrainiens signe également la fin des contrats signés avec des affréteurs privés.
 
ICS en a d’ailleurs tiré les conséquences en se retirant du marché et en procédant à la liquidation amiable de sa société. Quant au contrat signé avec son « remplaçant » Avico, il ne serait toujours pas opérationnel… Et le marché sur l’affrètement des troupes françaises en Afrique de l'Ouest, détenu par Bolloré, n’a pas encore été attribué. Autant de signes qui montrent bien que la donne a changé.
 


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