(sous licence Creative Commons)
Opérer partout et tout le temps
Les armées se sont toujours affrontées à peu près partout, là où deux ou plusieurs groupes rivaux ou ennemis se rencontraient et se disputaient la possession de territoires, de ressources ou réglaient un différent quelconque. Mais il fut un temps lointain où l’on ne combattait pas l’hiver, ou pendant la saison des pluies en Asie, parce que la neige ou un terrain détrempé rendaient impraticable la manœuvre des grandes unités, à l’époque à pied et à cheval. Plus tard la mécanisation et à la motorisation sont venues permettre le combat en toute saison. Initialement cantonnée aux ravitaillements et à la logistique, la propulsion mécanique s’impose progressivement comme un outil de combat, des taxis de la Marne de marque Renault aux camions Berliet, en passant par les chars Schneider et Saint-Chamond. Motorisé par Panhard et Levassor, ce dernier sera l’occasion pour une autre grand nom industriel français de faire ses premières armes en tant qu’entreprise de défense.
Mais avant même d’être devenus tout-terrain en toutes saisons, les militaires se sont progressivement risqués au combat de nuit, un peu à l’aveugle au début, puis à l’aide d’artifices éclairant et enfin de dispositifs de vision nocturne. Le combat moderne ne connait désormais aucun répit : des villes yougoslaves au désert malien, des cols afghans enneigés aux jungles guyanaises, le soldat français est partout, tout le temps. Et ses matériels avec lui. Si l’armée ne produit rien, à l’exception du service qu’est la protection et la sauvegarde de la Nation, par contre elle consomme. L’autonomie est à ce prix, l’efficacité opérationnelle aussi.
Les consommables
Une armée ou même un simple groupement tactique en mission consomme une incroyable quantité de « consommables » justement : eau, nourriture, carburant, pneumatiques et pièces détachées, munitions, piles et batteries… Le soldat contemporain est suréquipé en matériels gourmands en énergie : si un char Leclerc consomme 100 litres de carburant à l’heure, le simple soldat doit pouvoir, lui, faire fonctionner sa radio, son optronique de visée, les intensificateurs de lumière, les aides à la navigation terrestre et au positionnement… L’autonomie des soldats s’entend désormais comme l’autonomie énergétique. Dans les milieux désertiques, les armées ont d’ores et déjà testé la recharge par panneau solaire, via le « Module adapté de recharge solaire » (MARS). Mais les rendements sont encore insuffisants pour se passer des piles lithium, qui en dépit de leur âge, restent la solution la plus efficiente. En collaboration avec Ineo Support Global, filiale de Cofely Ineo, la société française Saft a ainsi remporté début 2014 un appel d’offres pour la fourniture de « dizaines de milliers d’éléments et de batteries primaires et rechargeables au lithium de quelque 70 modèles différents », précise Thomas Alcide, le directeur général de la division Specialty Battery Group de Saft. Pour s’affranchir de la contrainte logistique considérable représentée par la production, le stockage et la distribution de piles et batteries très spécifiques, les armées externalisent désormais ces prestations vers des entreprises chargées au besoin d’approvisionner jusqu’aux théâtres d’opérations. C’est tout l’objet du contrat remporté par Ineo Support Global en 2012. « L’ambition des parties prenantes de ce marché est de garantir une disponibilité totale des matériels tout en maîtrisant le coût global du soutien », explique l’entreprise.
Le temps et l’espace
Cofely Ineo n’est pas une entreprise de défense nouvelle venue puisqu’une autre de ses filiales, Ineo Defense, propose elle aussi des solutions de piles et de batteries à base de technologies hydrogènes et des systèmes autonomes de contrôle aérien projetable. Ces derniers, destinés à faire office de tours de contrôle sur des théâtres dépourvus d’infrastructures aéroportuaires, contribuent à répondre à une autre problématique des armées : s’affranchir physiquement des contraintes du terrain, et du recours à des infrastructures préexistantes, pour permettre la projection et le déploiement des forces.
Sur ce sujet spécifique, ce sont Airbus st DCNS qui sont à la manœuvre, le premier sur la question des avions ravitailleurs et du transport tactique et stratégiques, le second sur celle des opérations amphibies. L’armée de l’air et la Marine semblent a priori moins concernées par les aléas géographiques, mais elles n’en nécessitent pas moins de disposer des moyens pour se projeter en un point donné du globe en autonomie. Pour la Marine, la contrainte réside dans la capacité à débarquer troupes et matériels en dehors de toutes infrastructures portuaires. Les moyens dédiés prennent la forme des BPC Mistral, construit sur les chantiers navals STX à Brest et Saint-Nazaire, mais faisant intervenir DCNS (donneur d’ordre et système de combat), Alstom (design) et Thales (communication et radars). Pour l’Armée de l’Air, le manque de moyens de projection cruellement mis en lumière lors des opérations en Libye commence à se résorber : alors que les premières livraisons d’A-400M sont en cours, les aviateurs vont bientôt recevoir 12 avions ravitailleurs A-330 MRTT, après le contrat signé en novembre 2014.
Moins gourmandes en ressource de haute technologie et en matériels emblématiques (même si le fossé se comble), l’armée de terre apprécie aussi que les ingénieurs se mettent au service du tempo opérationnel. L’entreprise Deschamps s’est notamment faite une spécialité des moyens de franchissement hors normes, du Libris aux moyens d’aide à la traficabilité des sols : tapis de débarquement BAM et CEM, route provisoire en aluminium FCR ou encore les tapis de désenlisement Traction-Mat. Dans tous les cas, le but est identique : améliorer la mobilité des troupes et les affranchir des contraintes inhérentes au terrain (fleuves ou fossés) ou à l’adversaire (destruction des ponts et des infrastructures).
« L’intendance suivra »… ou précèdera
L’expression est attribuée au Général de Gaulle. Inspirée de son expérience militaire, elle signifiait que les considérations stratégiques doivent l’emporter sur les détails pratiques et les considérations matérielles. Des principes vraisemblablement applicables aujourd’hui en politique, à une époque où nos hommes politiques manquent singulièrement de visions, mais assez peu adaptés aux réalités militaires contemporaines.
Aujourd’hui, la logistique ne suit plus la manœuvre, elle la précède et la dimensionne. Nos armées sont devenues des outils d’une telle technicité, qu’il faut en permanence adapter les ambitions opérationnelles aux réalités matérielles : comment projeter des hommes en Afrique en 48 heures lorsqu’on ne dispose pas d’avions de transport, de véhicules capables de les transporter au sol, d’unités en mesure de les soutenir en vivres et carburants ? Par principe, les armées fonctionnent et se préparent aux pires scénarii, incluant naturellement des déploiements dans des zones désertiques, sans eau, ni infrastructures. Les armées doivent conserver en permanence leurs capacités de manœuvres et l’effet de surprise : elles ne doivent donc dépendre d’aucunes contingences matérielles susceptibles de les rendre prévisibles. Même si ce n’est pas toujours faisable, nombre d’innovations techniques permettent de s’affranchir de l’environnement physique. L’autonomie stratégique est à ce prix, la souveraineté politique aussi.
Les armées se sont toujours affrontées à peu près partout, là où deux ou plusieurs groupes rivaux ou ennemis se rencontraient et se disputaient la possession de territoires, de ressources ou réglaient un différent quelconque. Mais il fut un temps lointain où l’on ne combattait pas l’hiver, ou pendant la saison des pluies en Asie, parce que la neige ou un terrain détrempé rendaient impraticable la manœuvre des grandes unités, à l’époque à pied et à cheval. Plus tard la mécanisation et à la motorisation sont venues permettre le combat en toute saison. Initialement cantonnée aux ravitaillements et à la logistique, la propulsion mécanique s’impose progressivement comme un outil de combat, des taxis de la Marne de marque Renault aux camions Berliet, en passant par les chars Schneider et Saint-Chamond. Motorisé par Panhard et Levassor, ce dernier sera l’occasion pour une autre grand nom industriel français de faire ses premières armes en tant qu’entreprise de défense.
Mais avant même d’être devenus tout-terrain en toutes saisons, les militaires se sont progressivement risqués au combat de nuit, un peu à l’aveugle au début, puis à l’aide d’artifices éclairant et enfin de dispositifs de vision nocturne. Le combat moderne ne connait désormais aucun répit : des villes yougoslaves au désert malien, des cols afghans enneigés aux jungles guyanaises, le soldat français est partout, tout le temps. Et ses matériels avec lui. Si l’armée ne produit rien, à l’exception du service qu’est la protection et la sauvegarde de la Nation, par contre elle consomme. L’autonomie est à ce prix, l’efficacité opérationnelle aussi.
Les consommables
Une armée ou même un simple groupement tactique en mission consomme une incroyable quantité de « consommables » justement : eau, nourriture, carburant, pneumatiques et pièces détachées, munitions, piles et batteries… Le soldat contemporain est suréquipé en matériels gourmands en énergie : si un char Leclerc consomme 100 litres de carburant à l’heure, le simple soldat doit pouvoir, lui, faire fonctionner sa radio, son optronique de visée, les intensificateurs de lumière, les aides à la navigation terrestre et au positionnement… L’autonomie des soldats s’entend désormais comme l’autonomie énergétique. Dans les milieux désertiques, les armées ont d’ores et déjà testé la recharge par panneau solaire, via le « Module adapté de recharge solaire » (MARS). Mais les rendements sont encore insuffisants pour se passer des piles lithium, qui en dépit de leur âge, restent la solution la plus efficiente. En collaboration avec Ineo Support Global, filiale de Cofely Ineo, la société française Saft a ainsi remporté début 2014 un appel d’offres pour la fourniture de « dizaines de milliers d’éléments et de batteries primaires et rechargeables au lithium de quelque 70 modèles différents », précise Thomas Alcide, le directeur général de la division Specialty Battery Group de Saft. Pour s’affranchir de la contrainte logistique considérable représentée par la production, le stockage et la distribution de piles et batteries très spécifiques, les armées externalisent désormais ces prestations vers des entreprises chargées au besoin d’approvisionner jusqu’aux théâtres d’opérations. C’est tout l’objet du contrat remporté par Ineo Support Global en 2012. « L’ambition des parties prenantes de ce marché est de garantir une disponibilité totale des matériels tout en maîtrisant le coût global du soutien », explique l’entreprise.
Le temps et l’espace
Cofely Ineo n’est pas une entreprise de défense nouvelle venue puisqu’une autre de ses filiales, Ineo Defense, propose elle aussi des solutions de piles et de batteries à base de technologies hydrogènes et des systèmes autonomes de contrôle aérien projetable. Ces derniers, destinés à faire office de tours de contrôle sur des théâtres dépourvus d’infrastructures aéroportuaires, contribuent à répondre à une autre problématique des armées : s’affranchir physiquement des contraintes du terrain, et du recours à des infrastructures préexistantes, pour permettre la projection et le déploiement des forces.
Sur ce sujet spécifique, ce sont Airbus st DCNS qui sont à la manœuvre, le premier sur la question des avions ravitailleurs et du transport tactique et stratégiques, le second sur celle des opérations amphibies. L’armée de l’air et la Marine semblent a priori moins concernées par les aléas géographiques, mais elles n’en nécessitent pas moins de disposer des moyens pour se projeter en un point donné du globe en autonomie. Pour la Marine, la contrainte réside dans la capacité à débarquer troupes et matériels en dehors de toutes infrastructures portuaires. Les moyens dédiés prennent la forme des BPC Mistral, construit sur les chantiers navals STX à Brest et Saint-Nazaire, mais faisant intervenir DCNS (donneur d’ordre et système de combat), Alstom (design) et Thales (communication et radars). Pour l’Armée de l’Air, le manque de moyens de projection cruellement mis en lumière lors des opérations en Libye commence à se résorber : alors que les premières livraisons d’A-400M sont en cours, les aviateurs vont bientôt recevoir 12 avions ravitailleurs A-330 MRTT, après le contrat signé en novembre 2014.
Moins gourmandes en ressource de haute technologie et en matériels emblématiques (même si le fossé se comble), l’armée de terre apprécie aussi que les ingénieurs se mettent au service du tempo opérationnel. L’entreprise Deschamps s’est notamment faite une spécialité des moyens de franchissement hors normes, du Libris aux moyens d’aide à la traficabilité des sols : tapis de débarquement BAM et CEM, route provisoire en aluminium FCR ou encore les tapis de désenlisement Traction-Mat. Dans tous les cas, le but est identique : améliorer la mobilité des troupes et les affranchir des contraintes inhérentes au terrain (fleuves ou fossés) ou à l’adversaire (destruction des ponts et des infrastructures).
« L’intendance suivra »… ou précèdera
L’expression est attribuée au Général de Gaulle. Inspirée de son expérience militaire, elle signifiait que les considérations stratégiques doivent l’emporter sur les détails pratiques et les considérations matérielles. Des principes vraisemblablement applicables aujourd’hui en politique, à une époque où nos hommes politiques manquent singulièrement de visions, mais assez peu adaptés aux réalités militaires contemporaines.
Aujourd’hui, la logistique ne suit plus la manœuvre, elle la précède et la dimensionne. Nos armées sont devenues des outils d’une telle technicité, qu’il faut en permanence adapter les ambitions opérationnelles aux réalités matérielles : comment projeter des hommes en Afrique en 48 heures lorsqu’on ne dispose pas d’avions de transport, de véhicules capables de les transporter au sol, d’unités en mesure de les soutenir en vivres et carburants ? Par principe, les armées fonctionnent et se préparent aux pires scénarii, incluant naturellement des déploiements dans des zones désertiques, sans eau, ni infrastructures. Les armées doivent conserver en permanence leurs capacités de manœuvres et l’effet de surprise : elles ne doivent donc dépendre d’aucunes contingences matérielles susceptibles de les rendre prévisibles. Même si ce n’est pas toujours faisable, nombre d’innovations techniques permettent de s’affranchir de l’environnement physique. L’autonomie stratégique est à ce prix, la souveraineté politique aussi.