Cet essai intervient deux mois exactement après le lancement réussi de la fusée Nord-coréenne Unha-3, dérivée des missiles Taepodong-2, dont on ne connait toujours pas avec exactitude la charge transportée et si celle-ci fonctionne sur son orbite (quelle que soit sa fonction). L’association des deux événements inciterait à croire que la Corée du Nord vient d’entrer dans le club très fermé (mais de moins en moins) des puissances nucléaires balistiques, c’est-à-dire celles capables d’envoyer une charge nucléaire à très longue distance sans réelle possibilité d’interception.
En théorie, seuls les Etats-Unis auraient une capacité d’interception, via les 30 missiles Ground Based Interceptor déployés en Alaska. Mais comme l’Alaska constituerait un point d’impact possible du missile Nord-coréen (6700 km de portée) ce système extrêmement coûteux (50 millions de $ le tir pour une probabilité d’atteinte au premier coup de 50%...) serait inefficace. En effet il est conçu pour intercepter les missiles à mi-course, en trajectoire exo-atmosphérique, et non en phase finale. En fait, seuls les six destroyers Aegis japonais de classe Kongô, et leurs missiles RIM-161 Standard Missile 3, serait en mesure de neutraliser cette menace lors de la phase initiale de tir (dite "boost phase").
Mais la Corée du Nord n’en est peut être pas encore là. Disposer d’armes nucléaires est une chose, mais encore faut-il qu’elle soit militarisable, c’est-à-dire suffisamment petite et résistante pour supporter l’installation et l’accélération d’une utilisation dans un missile balistique. Etant très certainement sous haute surveillance satellitaire, il faudrait qu’elle améliore grandement la vitesse d’exécution de ses tirs : les préparatifs des tirs sont visibles des jours avant le lancement. L’arsenal balistique nord-coréen est probablement loin d’être opérationnel, mais devons-nous attendre qu’il le soit ? Et comment agir contre cela ? N’oublions pas que Séoul est à portée d’artillerie de la Corée du Nord : nul besoin d’armes nucléaires pour y faire des dégâts catastrophiques.
Au delà des seules considérations techniques se pose naturellement la question de l’existence ou non d’une doctrine de dissuasion nord-coréenne : pourquoi veut-elle ces armes ? Quelles sont ses intentions ? Se protéger uniquement de l’ingérence extérieure ? Il faudrait pour cela qu’elle dispose d’une capacité de seconde frappe. Et comme la Corée du Nord est encore très loin de disposer de SNLE, il s’agirait de développer une artillerie nucléaire mobile, sur le modèle des DF-21 chinois ou des missiles Topol russes. Les puissances évoquées pour l'instant rendent cet arsenal impropre à la frappe anti-cités, même si une ogive de 5 kT équivalent TNT ferait naturellement des dégâts considérables. Dans l'hypothèse d'une force dite de décapitation, visant les centres de décision politiques et militaires, il faudrait une précision terminale (aussi appelée Erreur Circulaire Probable ou ECP) de quelques centaine de mètres. Il faudrait que la Corée du Nord maitrise les technologies de guidage les plus pointues pour assurer une crédibilité à cette posture. France, Etats-Unis et Russie ont mis quarante ans et des moyens considérables pour en arriver là. Et comme il s'agit des technologies les plus avancées du domaine militaire, il est peu probable que des transferts de technologie aient eu lieu vers la Corée du Nord, même s'il existe désormais un commerce Sud-Sud des savoir-faire nucléaires. Autant de technologies clés (comme les carburants solides) que la Corée du Nord n’est pas prête de maitriser…sauf à être aidée massivement par des pays tiers (Chine ? Iran ?).
Envisage-t-elle un usage en premier ? Il va de soi qu’un tir nucléaire Nord-coréen sur un pays quelconque, même de faible puissance (pour l’instant les essais n’atteignent pas la moitié de la puissance de la bombe larguée sur Hiroshima) entrainerait immanquablement des représailles massives sur le pays, nucléaires ou non. Dans un tel scénario, il n’est pas évident d’ailleurs que nous répondrions immédiatement par l’arme nucléaire. Mais « l’impunité » de l’usage du feu nucléaire serait un très mauvais message adressé à d’autres pays comme l’Iran.
Compte tenu des capacités Nord-coréenne et du peu d’informations disponibles sur leur évolution, on peut gager que les prochains tirs vont mettre les nerfs de la région à rude épreuve, car la rationalité des dirigeants de Pyongyang est sujette à caution. La question de la charge utile des futurs lancements Nord-coréens restera très certainement un mystère. Allons-nous alors décider d’abattre systématiquement toutes les fusées lancées, par principe de précaution ?
La doctrine nucléaire nord-coréenne
Publié par Pierre-Marie Meunier le 12 Février 2013
La Corée du Nord aurait procédé ce matin à 2h58 UTC à son troisième essai nucléaire dans la région de Punggye-ri (41°16’41.52” Nord, 129°05’14.94” Est). L’explosion souterraine, d’une puissance estimée de 6 à 7 kilotonnes, a été détectée grâce aux secousses sismiques de magnitude 5.1 qu’elle n’a pas manqué de provoquer. Cette secousse très brève (moins d’une minute) n’a apparemment fait ni dégât ni victime, mais il est vrai que son épicentre se situe dans une région reculée du Nord-est de la Corée du Nord.
Epicentre estimé du séisme provoqué par l'essai nucléaire Nord-coréen. Au centre en bas de l'image, les installations d'essais supposées (source : Google Earth)
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