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Haut-Karabakh : vers une résolution du conflit? (2/2)




Publié par La Rédaction le 24 Janvier 2020

Début décembre 2019 se tenait à Brastislava une nouvelle réunion de négociations relative au conflit du Haut-Karabakh. Depuis bientôt trente ans, celui-ci oppose, d’une part, la république d’Azerbaïdjan, et d’autre part, la république d’Arménie et les séparatistes du territoire susnommé, qu’eux-mêmes désignent sous l’appellation arménienne d’Artsakh. Cette réunion était placée, comme à l’accoutumée, sous les auspices de l’OSCE , et plus spécifiquement de la troïka dite « groupe de Minsk », réunissant les États-Unis, la France et la Russie, chaque pays étant représenté par un ambassadeur. Les deux belligérants étaient quant à eux représentés par leur ministre des Affaires étrangères respectif, Zohrab Mnatsakanian pour l’Arménie, et Elmar Mammadyarov pour l’Azerbaïdjan.




Village Karintak/Dashalty (Haut-Karabagh)
Village Karintak/Dashalty (Haut-Karabagh)
Des positions irréconciliables ?
 
Pour sa part, le parti « arménien » s’en tient d’abord et avant tout au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. C’est au nom de ce principe qu’il considère comme légitime le mouvement séparatiste et la guerre de 1992-1993 contre les autorités azerbaïdjanaises, qui venaient de supprimer l’autonomie dont jouissait le territoire du Haut-Karabakh dans l’Union soviétique. C’est dans cette logique que l’Arménie refuse, encore aujourd’hui, de retirer les troupes arméniennes de la zone contestée, pour, officiellement, protéger les Arméniens du Haut-Karabakh d’une reprise de vive force du territoire, sans que la question de l’autodétermination ait été réglée.
 
De son côté, l’Azerbaïdjan met en avant la nécessité de respecter le droit international à commencer par les décisions du Conseil de sécurité des nations unies (CSNU), le fait que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne pouvant s’exprimer au préjudice non négocié d’États existants (résolution 2625 du CSNU, 1970). Il met en avant le fait que l’auto-proclamation des sécessionistes se soit accompagnée d’une double épuration ethnique de la population : au sein du Haut-Karabakh lui-même, mais également dans les sept districts voisins envahis par l’armée arménienne en 1992-1993, et encore occupés par elle. Il réclame, au nom du droit international, des droits de l’homme et de l’élémentaire humanité, le droit pour ces familles de retourner vivre sur la terre de leurs ancêtres. Enfin, il demande de respecter le principe d’égalité des droits entre les deux communautés du Haut-Karabakh, reconnu par l’OSCE.
Illustration paroxystique de ces positions inconciliables, les deux protagonistes médiatisent les exactions dont les leurs ont été victimes de la part de l’autre camp : au massacre de Khodjaly, en 1992, où plus de six cents civils azéris ont péri, sous les tirs arméniens selon les autorités azerbaïdjanaises, font échos les pogroms dont les arméniens ont été l’objet notamment à Bakou, selon les autorités arméniennes.
 
Force est de constater que les dispositions pratiques du droit international appliquées à ce conflit légitiment globalement la posture de l’Azerbaïdjan. Quatre principales résolutions du Conseil de sécurité traitent du sujet : la 822, du 30 avril, la 853, du 29 juillet, la 874, du 14 octobre, et la 884, du 12 novembre, toutes votées en 1993 [1]. Au-delà d’attendus et de dispositions s’appliquant à parité aux deux belligérants, les invitant notamment au respect des cessez-le-feu, à permettre la libre circulation de l’aide humanitaire, à négocier une solution durable, ces textes soulignent la nécessité pour l’Arménie de se retirer en dehors des frontières internationalement reconnues de la République d’Azerbaïdjan :
  • la résolution 822 évoque le « retrait immédiat de toutes les forces occupant le district de Kelbadjar et les autres régions de l’Azerbaïdjan récemment occupées » ;
  • la résolution 853, « réaffirmant la souveraineté et l’intégrité territoriale de la république azerbaïdjanaise et de tous les autres États de la région (…), condamne la prise du district d’Agdam et de toutes les autres zones récemment occupées de la république azerbaïdjanaise (…), exige (…) que les forces d’occupation (…) se retirent immédiatement, complètement et inconditionnellement … » ;
  • la résolution 884, « réaffirmant également l’inviolabilité des frontières internationales et l’inadmissibilité de l’emploi de la force pour l’acquisition de territoire, (…) exige des parties concernées qu’elles cessent immédiatement les hostilités armées et les actes d’hostilité, que les forces d’occupation soient retirées unilatéralement du district de Zanguelan et de la ville de Goradiz et que les forces d’occupation soient retirées des autres zones récemment occupées de la République azerbaïdjanaise, conformément au "calendrier modifié" de mesures urgentes en vue d’appliquer les résolutions 822 (1993) et 853 (1993) du Conseil de sécurité (S/26522, appendice), tel qu’il a été modifié lors de la réunion du Groupe de Minsk de la CSCE tenue à Vienne du 2 au 8 novembre 1993 » ;
 
À ces décisions au contenu incontestable fait écho, le 14 mars 2008, une déclaration de l’assemblée générale de l’ONU exigeant derechef le retrait des forces arméniennes des territoires occupés de l’Azerbaïdjan [2].
 
Outre la question, fondamentale pour la résolution de tout conflit militaire, du retour à l’intégrité territoriale des parties, les décisions du CSNU évoquent par ailleurs des points essentiels, comme le droit des populations expulsées à retourner vivre dans leurs localités d’origine.
 
Pomme de discorde entre les deux nationalités, le statut du Haut-Karabakh, pour devenir pérenne, doit lui-même faire l’objet d’une solution qui respecte le droit à la sécurité et au développement des deux communautés.
 
Toute la difficulté de l’exercice réside dans l’élaboration d’une solution qui tienne compte de deux dispositions fondamentales, présidant depuis plus d’un siècle aux relations internationales : celle du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et celle de l’intangibilité des frontières. Concernant cette dernière, la résolution 2625 prise par l’AG de l’ONU le 24 octobre 1970 [3] énonce notamment que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes « ne doit pas autoriser ou encourager une action (…), qui démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement, l’intégrité territoriale ou l’unité politique de tout État souverain et indépendant… ». Elle dispose aussi que « rien (…) ne sera interprété comme autorisant ou encourageant une action, quelle qu’elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement, l’intégrité territoriale ou l’unité politique de tout État souverain et indépendant se conduisant conformément au principe de l’égalité de droits et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes… ».
 
Au plan européen, et dans la droite ligne de ce qui vient d’être rappelé, plusieurs résolutions du Parlement européen ont condamné l’occupation des territoires azerbaïdjanais, et appelé toutes les parties à une implication plus honnête et plus dynamique, sur la base des résolutions du CSNU. Le récent rapport annuel du Parlement Européen sur la mise en œuvre de la politique étrangère et de sécurité commune [4] vient encore de confirmer cette position. De fait, à ce jour, aucun État n’a reconnu la république auto-proclamée du Haut-Karabakh.
 
Quel rôle pour le groupe de Minsk ?
 
Ce tour d’horizon, qui se veut synthétique et allant à l’essentiel, ne serait pas complet s’il n’évoquait pas le groupe de Minsk, mentionné plus haut. Celui-ci est la cheville ouvrière de la communauté internationale dans la recherche d’une solution au conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Lancée en 1992 par ce qui était encore à l’époque le « Conseil pour la sécurité et la coopération en Europe » (CSCE), l’idée d’un groupe permanent consacrant ses efforts au règlement de ce conflit par le pilotage et la modération des négociations a été officialisée en 1994 lors du sommet de l’OSCE à Budapest [5]. Outre la troïka qui en assure la direction, les membres permanents du groupe sont la Biélorussie, l'Allemagne, l'Italie, la Suède, la Finlande et la Turquie, ainsi bien sûr que les deux belligérants. Sa démarche s’inscrit en totale conformité et cohérence avec les résolutions du CSNU.
 
Cette instance de résolution du conflit a parfois été l’objet de critiques stigmatisant une relative passivité et un manque d’implication pour, en quelque sorte, « tordre le bras » à l’une ou l’autre partie en les contraignant à faire des ouvertures qui les sortent de leurs positions inexpugnables. Ces dernières années pourtant, après la guerre-éclair de 2016, les trois ambassadeurs n’ont pas ménagé leur peine pour obtenir des mesures d’apaisement concrètes, base indispensable au traitement de la question de fond. Ces progrès, certes modérés, se sont accomplis alors que les relations entre les pays de la troïka n’étaient pas au beau fixe, les présidents Poutine, Trump et Macron étant tous très présents sur la scène internationale, soucieux de leurs intérêts nationaux respectifs, dans des visions du monde souvent diamétralement opposées.
 
Dans sa déclaration la plus récente, commentant les derniers pourparlers du 4 décembre 2019, « les chefs de délégation des pays coprésidents réaffirment qu'un règlement juste et durable doit être fondé, en particulier, sur les principes de l'Acte final de Helsinki de non-recours à la menace ou à l'emploi de la force, d'intégrité territoriale et d'égalité des droits et d'autodétermination des peuples, rappelant la déclaration commune des chefs de délégation des pays coprésidents et des ministres azerbaïdjanais et arménien des Affaires étrangères à la réunion du Conseil ministériel de l'OSCE à Athènes en 2009, qui a ensuite été approuvée par le Conseil ministériel de l'OSCE [6]. »
 
Une fois posé ce principe, qu’aucun des protagonistes ne conteste, on entre dans l’art de la diplomatie, du compromis savamment négocié, qui conjugue patience, expérience, sens du long terme et bonne volonté de la part de chacun des acteurs. Ce que Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères et sans conteste l’un des diplomates les plus expérimentés au monde commentait [7] récemment de la manière suivante : « Les principes de l'intégrité territoriale, de l'autodétermination et du règlement exclusivement pacifique des différends sont inscrits dans toutes les versions des documents qui sont discutés entre les parties. Et dans tous les cas, la décision finale devrait tenir compte de tous ces principes. Ni Erevan ni Bakou ne sont en désaccord avec cela. Mais plus loin, c'est l'art de la diplomatie. Tout traité, surtout sur une question aussi complexe, est un compromis. Et nous, en tant que coprésidents, nous essayons de rendre le compromis équitable, de refléter un équilibre réel et juste des intérêts. »
 
Les prochains entretiens auront lieu dès le début de l’année 2020, au niveau des ministres des Affaires étrangères des deux pays. Gageons que la sagesse, et cet art du compromis savamment évoqué ici, présideront à l’élaboration d’une solution qui permette enfin à ces peuples de vivre, si ce n’est dans une harmonie béate, à tout le moins en bonne intelligence.
 
Il n’est pas inutile d’ajouter que la France, dans sa double tradition séculaire, d’une part de promotion du droit international et des principes d’égalité et de fraternité entre les peuples, d’autre part d’amitié constante avec tous les peuples du Caucase, ne peut pas ne pas jouer un rôle essentiel. Elle peut, elle doit établir des ponts entre les deux rives du conflit, y emmener les acteurs concernés, et contribuer finalement à ce que triomphe cet esprit de concorde qui caractérise son action sur la scène internationale, et qui semble jusqu’ici avoir fait défaut.
 
 
[1] Les résolutions du CSNU en 1993 peuvent être consultées à cette page : https://www.un.org/securitycouncil/fr/node/65992
[3] Les résolutions de l’AG de l’ONU en 1970 peuvent être consultées à cette page : https://www.un.org/french/documents/ga/res/25/fres25.shtml
[4] http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-8-2018-0392_FR.html
 



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