Ce matin rue de Trévise à Paris, dans le 9e arrondissement, les pompiers sont appelés pour une odeur de gaz dans un immeuble, avec en son rez-de-chaussée, une boulangerie. Les soldats du feu sont arrivés sur les lieux, un binôme effectue une reconnaissance pour connaître l’origine de cette odeur de gaz, c’est une intervention classique pour les pompiers, habituelle, banale. Dans ce type de situation, ce sont bien souvent de fausses alertes, des odeurs d’égout ou un voisin qui a trop utilisé une bombe désodorisante, ou bien encore un aliment laissé sur le feu, un cyclomoteur qui perd du carburant dans un hall d’immeuble et parfois, c’est une véritable fuite de gaz.
Ce matin, une terrible explosion viendra littéralement souffler l’immeuble, et en une fraction de seconde, c’est tout le quartier qui est ravagé par l’onde de choc. Le caporal-chef Simon CARTANNAZ et le sapeur de première classe Nathanaël JOSSELIN sont mortellement blessés, la République vient de perdre deux de ses protecteurs, deux de ces héros, un autre est dans un état critique, des dizaines d’autres sont blessés. Des centaines de soldats du feu, de policiers, de militaires de la sécurité civile vont agir pour sauver ces nombreux blessés, pour secourir les secouristes, faire-face, comme la République sait le faire, en mettant à la disposition de tous, des moyens considérables de secours. Mais cette fois, la situation est dramatique, car il n’y a rien de plus terrible pour un pompier, un militaire, un policier ou un gendarme que d’intervenir lors d’une opération où des frères d’armes sont tombés.
Quelques minutes plus tard, à quelques mètres de là, d’autres sentinelles de la nation se préparent, à faire face à une autre menace contre la République, celle de manifestants qui souhaitent déstabiliser le pouvoir politique en place. Le mouvement des gilets jaunes a pour objectif de créer aussi une onde de choc, devant gêner les principes de l’État, en occupant les villes et les lieux de circulation stratégiques, en attaquant des lieux symboliques, et en empêchant les commerces de centre-ville de travailler. Le mouvement perdure alors les Français le savent, ils ne sortent plus en masse le samedi, de peur de se retrouver bloqués sur les routes, ou pris dans les manifestations violentes. Là encore, des policiers et des gendarmes seront blessés et les pompiers vont intervenir des centaines de fois pour éteindre les incendies des manifestants, là encore, les sentinelles de la nation ont dû faire face.
On nous le demande souvent : « Mais comment vous faites ? À votre place je ne pourrais pas ».
Les sentinelles de la nation sont régulièrement confrontées à des situations extraordinaires. Le sang et les larmes, la mort et la maladie sont le quotidien des acteurs de notre sécurité. Rien de surhumain et rien de déshumanisé non plus, ils sont des êtres émotionnels à part entière. Mais émotionnels ne veut pas dire émotifs, si on admet que la définition de cet adjectif se réfère à une personne qui ressent rapidement, facilement des émotions, qui se laisse guider par ses émotions.
Les acteurs de l’urgence ne sont pas émotifs, ça ne serait pas tenable. La violence de la confrontation au quotidien des interventions ne laisse aucune place à la faiblesse émotive. Pourtant, comme le rappel le Général Emmanuel de Romémont, quel est le soldat qui n’a pas, avant d’agir, douté de la réussite ou de la justesse de son action ? Quel est le combattant qui n’a pas, comme en parlait en son temps Napoléon, éprouvé le besoin de se recentrer pour être plus performant soi-même, mais aussi pour être là, totalement présent, à l’écoute des autres, en phase avec l’équipe dont il fait partie, attentif aux événements qui arrivent, à l’écoute de l’imprévu qui finit toujours par surgir ?
Quel est le pilote ou navigateur qui n’a pas senti en situation de stress et notamment en opérations, ses limites, la perte d’une partie de ses moyens ? Qui n’a alors pas ressenti en lui-même les vertus d’une préparation soignée, d’une juste attention portée à lui-même, d’une mise en action anticipée ?
Assez généralement les pompiers les policiers les gendarmes aiment ce qu’ils font, aiment leurs métiers et pensent qu’ils sont « faits pour ça », sans pour autant être nécessairement à l’aise avec l’ensemble des aspects qui le compose. En effet, selon Christophe BAROCHE, psychologue au RAID nous ne sommes pas imperméables à toutes les difficultés rencontrées, le dénominateur commun de l’affection que nous portons à nos professions reste l’idée de servir, de s’engager pour les autres, de protéger.
La plupart d’entre nous diront qu’ils sont incapables de se rappeler de l’ensemble des interventions d’une carrière, nous ne retenons que les plus marquantes, les plus tristes et les plus choquantes, les plus réjouissantes également. La question est souvent posée dans les rangs : « Et toi ? C’est quoi ton intervention la plus marquante ? »
Nous oublierons, certainement beaucoup de choses, mais ceux que l’on n’a pas réussi à sauver, on ne les oublie jamais.
C’est le jour de l’an, au petit matin, 6 h 30, le bip sonne pour l’ambulance. Le billet de départ indique : « arrêt cardio-respiratoire sur deux fillettes de un an et cinq ans, probable infanticide ».
La police, les pompiers sont là, la mère a attaché ses filles, les mains dans le dos et les a étouffées, elle a prévenu les secours une heure plus tard, trop tard, malgré les tentatives de réanimation, les deux fillettes sont décédées.
Dans la tête des équipages, c’est l’horreur absolue, dans les cœurs, c’est la déchirure. Un des membres de l’équipage m’a confié être ensuite rentré chez lui et être allé réveiller sa fille de un an également, pour la prendre dans ses bras.
Des êtres émotionnels qui font-face, qui gèrent leurs émotions et qui ne montrent rien. Les émotions n’ont pas leur place chez ceux qui nous protègent, elles sont retenues, contrôlées, refoulées.
Ce matin, une terrible explosion viendra littéralement souffler l’immeuble, et en une fraction de seconde, c’est tout le quartier qui est ravagé par l’onde de choc. Le caporal-chef Simon CARTANNAZ et le sapeur de première classe Nathanaël JOSSELIN sont mortellement blessés, la République vient de perdre deux de ses protecteurs, deux de ces héros, un autre est dans un état critique, des dizaines d’autres sont blessés. Des centaines de soldats du feu, de policiers, de militaires de la sécurité civile vont agir pour sauver ces nombreux blessés, pour secourir les secouristes, faire-face, comme la République sait le faire, en mettant à la disposition de tous, des moyens considérables de secours. Mais cette fois, la situation est dramatique, car il n’y a rien de plus terrible pour un pompier, un militaire, un policier ou un gendarme que d’intervenir lors d’une opération où des frères d’armes sont tombés.
Quelques minutes plus tard, à quelques mètres de là, d’autres sentinelles de la nation se préparent, à faire face à une autre menace contre la République, celle de manifestants qui souhaitent déstabiliser le pouvoir politique en place. Le mouvement des gilets jaunes a pour objectif de créer aussi une onde de choc, devant gêner les principes de l’État, en occupant les villes et les lieux de circulation stratégiques, en attaquant des lieux symboliques, et en empêchant les commerces de centre-ville de travailler. Le mouvement perdure alors les Français le savent, ils ne sortent plus en masse le samedi, de peur de se retrouver bloqués sur les routes, ou pris dans les manifestations violentes. Là encore, des policiers et des gendarmes seront blessés et les pompiers vont intervenir des centaines de fois pour éteindre les incendies des manifestants, là encore, les sentinelles de la nation ont dû faire face.
On nous le demande souvent : « Mais comment vous faites ? À votre place je ne pourrais pas ».
Les sentinelles de la nation sont régulièrement confrontées à des situations extraordinaires. Le sang et les larmes, la mort et la maladie sont le quotidien des acteurs de notre sécurité. Rien de surhumain et rien de déshumanisé non plus, ils sont des êtres émotionnels à part entière. Mais émotionnels ne veut pas dire émotifs, si on admet que la définition de cet adjectif se réfère à une personne qui ressent rapidement, facilement des émotions, qui se laisse guider par ses émotions.
Les acteurs de l’urgence ne sont pas émotifs, ça ne serait pas tenable. La violence de la confrontation au quotidien des interventions ne laisse aucune place à la faiblesse émotive. Pourtant, comme le rappel le Général Emmanuel de Romémont, quel est le soldat qui n’a pas, avant d’agir, douté de la réussite ou de la justesse de son action ? Quel est le combattant qui n’a pas, comme en parlait en son temps Napoléon, éprouvé le besoin de se recentrer pour être plus performant soi-même, mais aussi pour être là, totalement présent, à l’écoute des autres, en phase avec l’équipe dont il fait partie, attentif aux événements qui arrivent, à l’écoute de l’imprévu qui finit toujours par surgir ?
Quel est le pilote ou navigateur qui n’a pas senti en situation de stress et notamment en opérations, ses limites, la perte d’une partie de ses moyens ? Qui n’a alors pas ressenti en lui-même les vertus d’une préparation soignée, d’une juste attention portée à lui-même, d’une mise en action anticipée ?
Assez généralement les pompiers les policiers les gendarmes aiment ce qu’ils font, aiment leurs métiers et pensent qu’ils sont « faits pour ça », sans pour autant être nécessairement à l’aise avec l’ensemble des aspects qui le compose. En effet, selon Christophe BAROCHE, psychologue au RAID nous ne sommes pas imperméables à toutes les difficultés rencontrées, le dénominateur commun de l’affection que nous portons à nos professions reste l’idée de servir, de s’engager pour les autres, de protéger.
La plupart d’entre nous diront qu’ils sont incapables de se rappeler de l’ensemble des interventions d’une carrière, nous ne retenons que les plus marquantes, les plus tristes et les plus choquantes, les plus réjouissantes également. La question est souvent posée dans les rangs : « Et toi ? C’est quoi ton intervention la plus marquante ? »
Nous oublierons, certainement beaucoup de choses, mais ceux que l’on n’a pas réussi à sauver, on ne les oublie jamais.
C’est le jour de l’an, au petit matin, 6 h 30, le bip sonne pour l’ambulance. Le billet de départ indique : « arrêt cardio-respiratoire sur deux fillettes de un an et cinq ans, probable infanticide ».
La police, les pompiers sont là, la mère a attaché ses filles, les mains dans le dos et les a étouffées, elle a prévenu les secours une heure plus tard, trop tard, malgré les tentatives de réanimation, les deux fillettes sont décédées.
Dans la tête des équipages, c’est l’horreur absolue, dans les cœurs, c’est la déchirure. Un des membres de l’équipage m’a confié être ensuite rentré chez lui et être allé réveiller sa fille de un an également, pour la prendre dans ses bras.
Des êtres émotionnels qui font-face, qui gèrent leurs émotions et qui ne montrent rien. Les émotions n’ont pas leur place chez ceux qui nous protègent, elles sont retenues, contrôlées, refoulées.
Les émotions, l’expression d’un besoin vital
Refouler ses larmes ou ses élans, fuir une trop grande intimité affective ou physique, se méfier de son désir… Le contrôle émotionnel implique toujours rétention, rationalisation et auto conditionnement. Cette économie psychique est comparable à l’apnée du plongeur. Fatale lorsqu’elle dure trop longtemps. « Le contrôleur ignore que l’on ne peut pas contrôler une émotion, il ne peut pas agir pour qu’elle n’arrive pas ; en la refoulant, il n’a pas d’autres choix que de garder à l’intérieur le désordre qu’elle provoque au lieu de l’expulser — en exprimant sa colère ou sa joie, par exemple. »
Le prix de ce refoulement ? Exorbitant, selon la psychothérapeute Catherine Aimelet Périssol, puisqu’on le paye en « tension intérieure permanente, en solitude affective réelle ou ressentie, en absence de relations authentiques avec les autres et en méconnaissance de soi. Car toute émotion exprime un besoin vital, c’est une clé pour comprendre ce qui se joue en nous ». C’est en lâchant progressivement du lest, conclut Catherine Aimelet Périssol, que les contrôleurs vont non seulement se rendre compte qu’ils ne risquent rien, mais aussi qu’ils vont se débarrasser d’une partie de leur sentiment d’insécurité.
Ainsi, pour faire face, il est indispensable de se préparer certes, mais également de disposer de certaines qualités intrinsèques. Il faut savoir se rassembler, s’unir, se retrouver pour mieux trouver les autres ensuite, surmonter les doutes, gérer la complexité, anticiper.
D’après Christophe DAMOUR, ancien négociateur du GIGN, les trois qualités indispensables pour réussir dans un tel environnement sont :
– L’humilité
– Le potentiel d’intégration
– Le potentiel d’adaptation
La prise en compte de l’environnement personnel extérieur est également nécessaire comme par exemple le sommeil. De récentes études montrent que les intervenants éprouvant des troubles du sommeil auront beaucoup plus de difficultés à utiliser à leur profit la régulation de leurs émotions, en particulier lorsqu’ils se sentiront irrités ou contrariés. Alors moins « stables au feu », cette difficulté aura un impact direct sur leur activité opérationnelle, mais également dans leurs relations sociales quotidiennes, que ce soit en situation administrative ou privée.
L’impact émotionnel peut « épuiser » énergétiquement les pompiers, les policiers, les gendarmes ou les militaires. Il peut également être le « booster », le dynamiseur. Cette charge émotionnelle est également vertueuse dans la mesure où, mêlée aux valeurs, elle devient génératrice des attitudes et des comportements positifs, dans un état d’esprit combattant.
En réponse à la question « comment faites-vous pour faire ce que vous faites ? », une partie de la réponse se situe dans cette capacité que nous avons d’absorbation des émotions. Nous allons au combat en nous disant « nous n’avons pas le choix », pourtant nous l’avons le choix, de faire ou de ne plus faire ces métiers. Métiers sacerdoces, mais quand le billet de départ indique infanticide ou fusillade, nous y allons, nous faisons face et parfois, les larmes coulent et aujourd’hui elles coulent à flots.
Paradoxe sacerdotal aujourd’hui quand des pompiers sont intervenus, dans une même journée de garde, les larmes plein les yeux rue de Trévise le matin, des larmes plein le cœur pour éteindre avec difficulté les incendies des gilets jaunes l’après-midi.
Landry RICHARD
Le prix de ce refoulement ? Exorbitant, selon la psychothérapeute Catherine Aimelet Périssol, puisqu’on le paye en « tension intérieure permanente, en solitude affective réelle ou ressentie, en absence de relations authentiques avec les autres et en méconnaissance de soi. Car toute émotion exprime un besoin vital, c’est une clé pour comprendre ce qui se joue en nous ». C’est en lâchant progressivement du lest, conclut Catherine Aimelet Périssol, que les contrôleurs vont non seulement se rendre compte qu’ils ne risquent rien, mais aussi qu’ils vont se débarrasser d’une partie de leur sentiment d’insécurité.
Ainsi, pour faire face, il est indispensable de se préparer certes, mais également de disposer de certaines qualités intrinsèques. Il faut savoir se rassembler, s’unir, se retrouver pour mieux trouver les autres ensuite, surmonter les doutes, gérer la complexité, anticiper.
D’après Christophe DAMOUR, ancien négociateur du GIGN, les trois qualités indispensables pour réussir dans un tel environnement sont :
– L’humilité
– Le potentiel d’intégration
– Le potentiel d’adaptation
La prise en compte de l’environnement personnel extérieur est également nécessaire comme par exemple le sommeil. De récentes études montrent que les intervenants éprouvant des troubles du sommeil auront beaucoup plus de difficultés à utiliser à leur profit la régulation de leurs émotions, en particulier lorsqu’ils se sentiront irrités ou contrariés. Alors moins « stables au feu », cette difficulté aura un impact direct sur leur activité opérationnelle, mais également dans leurs relations sociales quotidiennes, que ce soit en situation administrative ou privée.
L’impact émotionnel peut « épuiser » énergétiquement les pompiers, les policiers, les gendarmes ou les militaires. Il peut également être le « booster », le dynamiseur. Cette charge émotionnelle est également vertueuse dans la mesure où, mêlée aux valeurs, elle devient génératrice des attitudes et des comportements positifs, dans un état d’esprit combattant.
En réponse à la question « comment faites-vous pour faire ce que vous faites ? », une partie de la réponse se situe dans cette capacité que nous avons d’absorbation des émotions. Nous allons au combat en nous disant « nous n’avons pas le choix », pourtant nous l’avons le choix, de faire ou de ne plus faire ces métiers. Métiers sacerdoces, mais quand le billet de départ indique infanticide ou fusillade, nous y allons, nous faisons face et parfois, les larmes coulent et aujourd’hui elles coulent à flots.
Paradoxe sacerdotal aujourd’hui quand des pompiers sont intervenus, dans une même journée de garde, les larmes plein les yeux rue de Trévise le matin, des larmes plein le cœur pour éteindre avec difficulté les incendies des gilets jaunes l’après-midi.
Landry RICHARD