"Nos ambassadeurs ont renoncé à l'exercice permanent de la tasse de thé et du petit gâteau et commencent à se dire que des crédits, des traités commerciaux et des prêts financiers, ce sont des sujets qui ne les déshonorent pas"1. Par cette déclaration, le Président Pompidou se réjouissait de la conversion du Quai d'Orsay aux impératifs d'accroissement du commerce extérieur. Quarante cinq ans plus tard, au moment où le dernier remaniement donne à faire le bilan de la diplomatie économique de Laurent Fabius, force est de constater que la modernisation vantée tantôt par Pompidou aura pris du temps à être réalisée2. Ces quatre dernières années, sous la coupe de l'architecte Fabius, le soutien aux entreprises désireuses de s'implanter sur les marchés étrangers fut "enfin" mis au cœur des priorités du Quai d'Orsay. Le plan d'action instaurant "le reflexe économique" aurait finalement eu raison des rivalités administratives, tout comme de la réserve historique des petits entrepreneurs à viser l'exportation. Si le bilan de ces quatre dernières années pointe indéniablement dans ce sens, attention à ce que naturel et suffisance ne resurgissent pas une fois l'attention de l'architecte détournée.
Un plan d'action pour une diplomatie économique globale
Dès son arrivée aux fonctions en 2012, l'ancien chef du Quai d'Orsay a immédiatement posé les bases d'une action économique ambitieuse. Les tentatives infructueuses de réformes dans ce domaine sont nombreuses, il s'agit désormais de bouleverser les usages grâce à un réel travail de conversion des esprits. Attentif aux évolutions de structure qui orientent les relations internationales, le théoricien de la "dépolarisation" a su établir comme principe d'action l'idée qu'en matière de diplomatie, "l'influence politique ne pouvait plus être durablement déconnectée du poids économique"4. Or, sans être alarmiste, les données des quinze dernières années font état d'un déficit structurel préoccupant de la balance commerciale. Certes la France n'a jamais eu un solde durablement excédentaire mais les années Chirac avaient fait figure d'embellie. Depuis cette période, le rapport entre les exportations et les importations n'a fait que se dégrader au détriment des entreprises françaises (le taux de couverture est tombé à 91% en 2011 quand il était à 106% en 20025). Signe du manque de compétitivité de l'économie et de l'inadaptation de la stratégie des pouvoirs publics au contexte post-crise, le volume d'exportations, après avoir dégringolé en 2009 sous la barre des 350 milliards d'euros, a mis plus de trois ans avant de retrouver le niveau de 2007, soit un peu plus de 400 milliards6.
Conscient des défis que représente l'évolution du contexte économique international pour les entreprises françaises, Laurent Fabius a souhaité mettre le troisième réseau diplomatique mondial en ordre de bataille, et sur le papier le pari est plutôt réussi. Après avoir réaffirmé les objectifs d'une diplomatie économique globale, soutien des entreprises à l'export, attraction des investissements étrangers (IDE), et meilleure adaptation du cadre règlementaire européen aux intérêts nationaux, il a fallu refondre le dispositif institutionnel partagé jusqu'alors entre Bercy et le Quai d’Orsay. Pour la 1ère fois sous la Vème République, le ministère des affaires étrangères gère le portefeuille du commerce extérieur. Désormais, les ambassadeurs coordonnent l'ensemble des agents de la fonction publique à l'étranger, y compris les conseillers économiques qui dépendent du trésor. Cette évolution permet d'accroitre la performance des services. L'information circule plus facilement entre les diplomates et les conseillers économiques. Les premiers activent les réseaux politiques et commerciaux, les seconds traitent les questions relatives au financement.
Cette évolution s'est accompagnée d'un travail de rapprochement significatif avec les entreprises. La création d'une direction qui leur est destinée au Quai, l'instauration d'opérateurs tels que Business France et la mise à leur disposition de matière grise avec l'élargissement du Volontariat Internationale en Entreprises (VIE) offrent un panel de services cohérents qui visent à les accompagner dans leurs démarches. Ces dispositifs permettent notamment l'élaboration de diagnostics transversaux agrégeant au cas par cas l'expertise de tous les ministères concernés. Ils sont des instruments indispensables si la France nourrie l'ambition de ne pas se laisser distancer sur la scène économique mondiale.
Continuer la convertir les esprits sans perdre de vu les objectifs
Les dispositifs développés sous l'ère Fabius sont porteurs d'optimisme mais il est encore trop tôt pour déterminer leur efficacité. Les chiffres du commerce extérieur montrent certes une amélioration depuis 2012 (le volume d'exportation a atteint 455 milliards en 2015 et le déficit du solde commerciale s'est réduit pour la quatrième année consécutive remontant à -45,7 milliards d'euros), cependant, il serait malaisé d'imputer cette éclaircie à la diplomatie économique nouvellement mise sur pied. La variation du solde commercial dépend encore trop des gros contrats remportés par les grands groupes. Les performances à l'export des secteurs de l'aéronautique et de l'industrie d'équipements civils expliquent la grande majorité de l'augmentation du volume annuel d'exportations ces quatre dernières années. Pour autant, c'est l'internationalisation des PME et ETI qui demeure la variable de performance la plus significative. Là encore, si les impulsions récentes invitent à l'optimisme7, les entreprises exportatrices représentait toujours moins de 5% des entreprises françaises en 2015, contre 13,6% en Allemagne.
Au regard des données sur l'internationalisation des PME françaises, il faut donc tempérer toute velléité de satisfaction et poursuivre les efforts afin de convertir les atouts de la marque France en véritable facteur de succès économique. Il s'agit tout en regardant ce qui se fait chez nos voisins de continuer à développer la présence des PME à l'étranger. L'information doit circuler grâce à un travail de prospective et de mise en relation entre petites industries et acheteurs internationaux. Par ailleurs, une politique de relations publiques digne de ce nom est nécessaire. Les contrats se gagnent bien souvent sur des détails comme la pratique de l'anglais ou le nom de l'Université fréquentée par l'offreur, or dans ces domaines les Anglo-saxons conservent un coup d'avance.
Il est donc plus que jamais impératif de continuer à "internationaliser les esprits" pour enfin donner le contre-pied à l'analyse de l'illustre Fernand Braudel qui décrivait dans son histoire du capitalisme les deux France qui s'opposent depuis toujours : celle "maritime, vivante, souple, prise de plein fouet par l'essor économique (...), et l'autre continentale, terrienne, habituée aux horizons locaux, inconsciente des avantages économiques d'un capitalisme international."8
1 Extrait de la conférence de presse à l'Élysée du 21 septembre 1972
2 Voir sur cette question les travaux réalisés par Laurence Badel, directrice du centre d'histoire des relations internationales de l'Université Paris 1, notamment Diplomatie et grands contrats: l'État français et les marchés extérieurs au XXème siècle (Broché, 2010)
3 Plusieurs reformes ont déjà été mise en œuvre pour favoriser un rapprochement avec les entreprises, notamment suite au rapport de Jean Picq sur la modernisation de l'État (1994) et la création de la DGTPE dix ans plus tard.
4 Citation tirée du discours de Laurent Fabius à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) prononcé en mai 2015
5 Source: Banque mondiale
6 Source: Direction générale des douanes et droits indirects
7 Après 10 ans de baisse, le nombre de PME exportatrices augmente depuis 2011 - plus de 5000 exportateurs supplémentaires entre 2011 et 2015 (source: BPI France - chiffres de mars 2015)
8 Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Paris, Arthaud, 1985, p. 105
Un plan d'action pour une diplomatie économique globale
Dès son arrivée aux fonctions en 2012, l'ancien chef du Quai d'Orsay a immédiatement posé les bases d'une action économique ambitieuse. Les tentatives infructueuses de réformes dans ce domaine sont nombreuses, il s'agit désormais de bouleverser les usages grâce à un réel travail de conversion des esprits. Attentif aux évolutions de structure qui orientent les relations internationales, le théoricien de la "dépolarisation" a su établir comme principe d'action l'idée qu'en matière de diplomatie, "l'influence politique ne pouvait plus être durablement déconnectée du poids économique"4. Or, sans être alarmiste, les données des quinze dernières années font état d'un déficit structurel préoccupant de la balance commerciale. Certes la France n'a jamais eu un solde durablement excédentaire mais les années Chirac avaient fait figure d'embellie. Depuis cette période, le rapport entre les exportations et les importations n'a fait que se dégrader au détriment des entreprises françaises (le taux de couverture est tombé à 91% en 2011 quand il était à 106% en 20025). Signe du manque de compétitivité de l'économie et de l'inadaptation de la stratégie des pouvoirs publics au contexte post-crise, le volume d'exportations, après avoir dégringolé en 2009 sous la barre des 350 milliards d'euros, a mis plus de trois ans avant de retrouver le niveau de 2007, soit un peu plus de 400 milliards6.
Conscient des défis que représente l'évolution du contexte économique international pour les entreprises françaises, Laurent Fabius a souhaité mettre le troisième réseau diplomatique mondial en ordre de bataille, et sur le papier le pari est plutôt réussi. Après avoir réaffirmé les objectifs d'une diplomatie économique globale, soutien des entreprises à l'export, attraction des investissements étrangers (IDE), et meilleure adaptation du cadre règlementaire européen aux intérêts nationaux, il a fallu refondre le dispositif institutionnel partagé jusqu'alors entre Bercy et le Quai d’Orsay. Pour la 1ère fois sous la Vème République, le ministère des affaires étrangères gère le portefeuille du commerce extérieur. Désormais, les ambassadeurs coordonnent l'ensemble des agents de la fonction publique à l'étranger, y compris les conseillers économiques qui dépendent du trésor. Cette évolution permet d'accroitre la performance des services. L'information circule plus facilement entre les diplomates et les conseillers économiques. Les premiers activent les réseaux politiques et commerciaux, les seconds traitent les questions relatives au financement.
Cette évolution s'est accompagnée d'un travail de rapprochement significatif avec les entreprises. La création d'une direction qui leur est destinée au Quai, l'instauration d'opérateurs tels que Business France et la mise à leur disposition de matière grise avec l'élargissement du Volontariat Internationale en Entreprises (VIE) offrent un panel de services cohérents qui visent à les accompagner dans leurs démarches. Ces dispositifs permettent notamment l'élaboration de diagnostics transversaux agrégeant au cas par cas l'expertise de tous les ministères concernés. Ils sont des instruments indispensables si la France nourrie l'ambition de ne pas se laisser distancer sur la scène économique mondiale.
Continuer la convertir les esprits sans perdre de vu les objectifs
Les dispositifs développés sous l'ère Fabius sont porteurs d'optimisme mais il est encore trop tôt pour déterminer leur efficacité. Les chiffres du commerce extérieur montrent certes une amélioration depuis 2012 (le volume d'exportation a atteint 455 milliards en 2015 et le déficit du solde commerciale s'est réduit pour la quatrième année consécutive remontant à -45,7 milliards d'euros), cependant, il serait malaisé d'imputer cette éclaircie à la diplomatie économique nouvellement mise sur pied. La variation du solde commercial dépend encore trop des gros contrats remportés par les grands groupes. Les performances à l'export des secteurs de l'aéronautique et de l'industrie d'équipements civils expliquent la grande majorité de l'augmentation du volume annuel d'exportations ces quatre dernières années. Pour autant, c'est l'internationalisation des PME et ETI qui demeure la variable de performance la plus significative. Là encore, si les impulsions récentes invitent à l'optimisme7, les entreprises exportatrices représentait toujours moins de 5% des entreprises françaises en 2015, contre 13,6% en Allemagne.
Au regard des données sur l'internationalisation des PME françaises, il faut donc tempérer toute velléité de satisfaction et poursuivre les efforts afin de convertir les atouts de la marque France en véritable facteur de succès économique. Il s'agit tout en regardant ce qui se fait chez nos voisins de continuer à développer la présence des PME à l'étranger. L'information doit circuler grâce à un travail de prospective et de mise en relation entre petites industries et acheteurs internationaux. Par ailleurs, une politique de relations publiques digne de ce nom est nécessaire. Les contrats se gagnent bien souvent sur des détails comme la pratique de l'anglais ou le nom de l'Université fréquentée par l'offreur, or dans ces domaines les Anglo-saxons conservent un coup d'avance.
Il est donc plus que jamais impératif de continuer à "internationaliser les esprits" pour enfin donner le contre-pied à l'analyse de l'illustre Fernand Braudel qui décrivait dans son histoire du capitalisme les deux France qui s'opposent depuis toujours : celle "maritime, vivante, souple, prise de plein fouet par l'essor économique (...), et l'autre continentale, terrienne, habituée aux horizons locaux, inconsciente des avantages économiques d'un capitalisme international."8
1 Extrait de la conférence de presse à l'Élysée du 21 septembre 1972
2 Voir sur cette question les travaux réalisés par Laurence Badel, directrice du centre d'histoire des relations internationales de l'Université Paris 1, notamment Diplomatie et grands contrats: l'État français et les marchés extérieurs au XXème siècle (Broché, 2010)
3 Plusieurs reformes ont déjà été mise en œuvre pour favoriser un rapprochement avec les entreprises, notamment suite au rapport de Jean Picq sur la modernisation de l'État (1994) et la création de la DGTPE dix ans plus tard.
4 Citation tirée du discours de Laurent Fabius à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) prononcé en mai 2015
5 Source: Banque mondiale
6 Source: Direction générale des douanes et droits indirects
7 Après 10 ans de baisse, le nombre de PME exportatrices augmente depuis 2011 - plus de 5000 exportateurs supplémentaires entre 2011 et 2015 (source: BPI France - chiffres de mars 2015)
8 Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Paris, Arthaud, 1985, p. 105