L’irréductible algérien
Né le 2 mars 1937 de parents algériens, il grandit dans la ville marocaine de Oujda.
Il intègre dès le début de la guerre d’Algérie, à l’âge de 19 ans, l’armée de libération nationale (ALN) branche militaire du Front de libération nationale (FLN). Il gravit rapidement les échelons au sein du mouvement. À l’indépendance, en 1962, il devient ministre de la Jeunesse et du Tourisme ce qui est son premier poste ministériel. Il sera, après cela, au poste clé de ministre des Affaires étrangères pendant plus de 15 ans entre 1963 et 1979.
Écarté du pouvoir dans les années 80, car suspecté de détournement de fonds, il va faire carrière à l’international dans le conseil.
Il revient définitivement en 1999 en Algérie où il est élu à la présidence de la république avec 73,8 % des voix. Son programme a pour but de faire cesser la « décennie noire », qui opposa le gouvernement militaire à des groupes terroristes faisant au moins 60 000 victimes selon les estimations les plus basses. En 2008 alors que son deuxième et dernier mandat se termine il fait voter une modification de la constitution qui lui autorise un nombre illimité de mandats successifs.
Bouteflika a souffert de plusieurs problèmes de santés. En 2005, il est officiellement opéré d’un ulcère à l’estomac, ce qui le force à rester plus d’un mois au Val de Grâce à Paris. En 2013, il est atteint par deux accidents vasculaires cérébraux qui le font s’absenter du pouvoir pendant 80 jours. Il sort de l’hôpital profondément affaibli en termes de mobilité et d’élocution. Bouteflika ne s’est pas adressé directement aux Algériens depuis mai 2012 et fait seulement de rares et brèves apparitions publiques.
Bouteflika clé de voûte du système au pouvoir
Longtemps, l’Algérie a été dirigée par un triumvirat officieux. Il consistait en un accord entre l’État major, les services de Renseignement et la haute administration. Bouteflika a en son temps essayé de combattre ce système annonçant lui-même ne pas vouloir être « un trois quarts de président ».
Du fait de ses problèmes de santé en 2005 et 2013 il a dû officieusement déléguer une partie de ses pouvoirs. Aujourd’hui, l’État algérien est en équilibre entre le président et son entourage. Notamment, on le suppose, son frère Saïd, le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’État major et les hommes d’affaires influents de l’économie algérienne.
Le politologue Tarek Alaouache décrivait en 2014 « un système de gouvernement complexe dont l’émergence, le fonctionnement et la survie ne dépendent ni d’un homme en particulier, ni d’un clan et encore moins d’une instance en tant que telle. »
Abdelaziz Bouteflika joue dans ce système, le rôle de pierre angulaire. Il est le lien avec la population grâce à son passé et il est le terrain d’entente des élites qui contrôlent le pays. Il est la clé de voûte de l’Algérie.
L’annonce de sa candidature n’est pas étonnante. Antoine Basbous, politologue, explique : « Toute l’opération du cinquième mandat a été préparée par une série de purges à la tête du Sénat, du FLN, de la police, pour installer des inconditionnels du clan présidentiel. » Le nouveau président du Conseil constitutionnel Tayeb Belaïz est un fidèle de Bouteflika. Sécuriser ce poste était d’autant plus important que c’est au Conseil constitutionnel de voter le possible déclenchement de la procédure d’empêchement du président selon l’article 88 de la constitution algérienne.
Revanche de la génération Bouteflika
Étant au pouvoir depuis presque 20 ans il est apparu ce qu’on pourrait appeler, la « génération Bouteflika ». D’après le recensement de 2017, 53,2 % de la population algérienne à 29 ans ou moins, le chômage chez les 16 à 24 ans serait de 26,2 %.
L’Algérie souffre aussi de sa dépendance aux hydrocarbures qui représentent 34 % des recettes fiscales et 95 % des exportations. Depuis 2014 le solde du budget algérien est négatif. L’Algérie dépend de l’export de gaz et de pétrole pour son apport en dollars. Le pouvoir achète la paix sociale grâce à des subventions importantes, mais cette politique a fait fondre sa réserve de change, elle a été divisée par plus de la moitié entre 2013 et 2018. Pour équilibrer le budget, la banque centrale utilise la planche à billets, une technique dangereuse qui peut finir en une fuite en avant et en une hyperinflation.
L’annonce de la candidature de Bouteflika aux prochaines élections, le 10 février dernier, a déclenché de vives réactions négatives. La jeunesse avait accepté le mandat 2014-2019 en pensant soit à une amélioration de sa santé, soit à son départ. À la vision de ce président affaibli et usé par le pouvoir, les jeunes se sentent floués.
Les premières manifestations se sont déroulées le vendredi 22 février à l’appel du collectif Mouwatana. Mouwatana qui est un abrégé de « citoyenneté et démocratie » en arabe et un mouvement d’opposition créé le 10 juin 2018 qui vise à un renouveau plus démocratique en Algérie.
Les protestations sont apparues dans de nombreuses wilayas (départements) et ont surpris le pouvoir. Les démonstrations se sont succédé samedi et dimanche. La police d’abord très pacifique le vendredi, semble avoir largement durci son action avec des arrestations (41 personnes) et une plus grande utilisation de moyens de dispersion (lacrymogènes, balles en caoutchouc).
Le pouvoir semble en grande majorité ignorer ces manifestations pour éviter de leur donner un crédit politique. Bouteflika a envoyé une lettre aux travailleurs algériens le samedi 24. Il y parle simplement de la nécessité d’une « continuité ». C’est aussi le silence dans les médias publics, Meriam Abdou rédactrice en chef de la radio publique Chaîne 3 a présenté sa démission. D’autres journalistes ont écrit à leur direction pour manifester leur mécontentement du « traitement exceptionnel » réservé au clan Bouteflika.
Quelles alternatives ?
Le système algérien étant centré sur la personnalité du président, le pays manque d’options. L’opposition y est inexistante et le très médiatique Rachid Nekkaz semble ne pas pouvoir remplir les critères pour être candidat. C’est aussi au Conseil constitutionnel de valider les candidatures, un conseil aux mains du pouvoir.
L’Algérie semble n’avoir pour choix que de pousser la candidature de Bouteflika, ou le remplacer par un homme de paille. Aucune de ces décisions ne satisfera totalement les manifestants, mais le départ du président est pour eux prioritaire.
Certains proches du pouvoir, comme le Premier ministre, visent plus pour le moment à effrayer les manifestants en mettant en avant le danger des extrémismes et de la guerre civile. Un puissant et douloureux souvenir en Algérie.
Né le 2 mars 1937 de parents algériens, il grandit dans la ville marocaine de Oujda.
Il intègre dès le début de la guerre d’Algérie, à l’âge de 19 ans, l’armée de libération nationale (ALN) branche militaire du Front de libération nationale (FLN). Il gravit rapidement les échelons au sein du mouvement. À l’indépendance, en 1962, il devient ministre de la Jeunesse et du Tourisme ce qui est son premier poste ministériel. Il sera, après cela, au poste clé de ministre des Affaires étrangères pendant plus de 15 ans entre 1963 et 1979.
Écarté du pouvoir dans les années 80, car suspecté de détournement de fonds, il va faire carrière à l’international dans le conseil.
Il revient définitivement en 1999 en Algérie où il est élu à la présidence de la république avec 73,8 % des voix. Son programme a pour but de faire cesser la « décennie noire », qui opposa le gouvernement militaire à des groupes terroristes faisant au moins 60 000 victimes selon les estimations les plus basses. En 2008 alors que son deuxième et dernier mandat se termine il fait voter une modification de la constitution qui lui autorise un nombre illimité de mandats successifs.
Bouteflika a souffert de plusieurs problèmes de santés. En 2005, il est officiellement opéré d’un ulcère à l’estomac, ce qui le force à rester plus d’un mois au Val de Grâce à Paris. En 2013, il est atteint par deux accidents vasculaires cérébraux qui le font s’absenter du pouvoir pendant 80 jours. Il sort de l’hôpital profondément affaibli en termes de mobilité et d’élocution. Bouteflika ne s’est pas adressé directement aux Algériens depuis mai 2012 et fait seulement de rares et brèves apparitions publiques.
Bouteflika clé de voûte du système au pouvoir
Longtemps, l’Algérie a été dirigée par un triumvirat officieux. Il consistait en un accord entre l’État major, les services de Renseignement et la haute administration. Bouteflika a en son temps essayé de combattre ce système annonçant lui-même ne pas vouloir être « un trois quarts de président ».
Du fait de ses problèmes de santé en 2005 et 2013 il a dû officieusement déléguer une partie de ses pouvoirs. Aujourd’hui, l’État algérien est en équilibre entre le président et son entourage. Notamment, on le suppose, son frère Saïd, le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’État major et les hommes d’affaires influents de l’économie algérienne.
Le politologue Tarek Alaouache décrivait en 2014 « un système de gouvernement complexe dont l’émergence, le fonctionnement et la survie ne dépendent ni d’un homme en particulier, ni d’un clan et encore moins d’une instance en tant que telle. »
Abdelaziz Bouteflika joue dans ce système, le rôle de pierre angulaire. Il est le lien avec la population grâce à son passé et il est le terrain d’entente des élites qui contrôlent le pays. Il est la clé de voûte de l’Algérie.
L’annonce de sa candidature n’est pas étonnante. Antoine Basbous, politologue, explique : « Toute l’opération du cinquième mandat a été préparée par une série de purges à la tête du Sénat, du FLN, de la police, pour installer des inconditionnels du clan présidentiel. » Le nouveau président du Conseil constitutionnel Tayeb Belaïz est un fidèle de Bouteflika. Sécuriser ce poste était d’autant plus important que c’est au Conseil constitutionnel de voter le possible déclenchement de la procédure d’empêchement du président selon l’article 88 de la constitution algérienne.
Revanche de la génération Bouteflika
Étant au pouvoir depuis presque 20 ans il est apparu ce qu’on pourrait appeler, la « génération Bouteflika ». D’après le recensement de 2017, 53,2 % de la population algérienne à 29 ans ou moins, le chômage chez les 16 à 24 ans serait de 26,2 %.
L’Algérie souffre aussi de sa dépendance aux hydrocarbures qui représentent 34 % des recettes fiscales et 95 % des exportations. Depuis 2014 le solde du budget algérien est négatif. L’Algérie dépend de l’export de gaz et de pétrole pour son apport en dollars. Le pouvoir achète la paix sociale grâce à des subventions importantes, mais cette politique a fait fondre sa réserve de change, elle a été divisée par plus de la moitié entre 2013 et 2018. Pour équilibrer le budget, la banque centrale utilise la planche à billets, une technique dangereuse qui peut finir en une fuite en avant et en une hyperinflation.
L’annonce de la candidature de Bouteflika aux prochaines élections, le 10 février dernier, a déclenché de vives réactions négatives. La jeunesse avait accepté le mandat 2014-2019 en pensant soit à une amélioration de sa santé, soit à son départ. À la vision de ce président affaibli et usé par le pouvoir, les jeunes se sentent floués.
Les premières manifestations se sont déroulées le vendredi 22 février à l’appel du collectif Mouwatana. Mouwatana qui est un abrégé de « citoyenneté et démocratie » en arabe et un mouvement d’opposition créé le 10 juin 2018 qui vise à un renouveau plus démocratique en Algérie.
Les protestations sont apparues dans de nombreuses wilayas (départements) et ont surpris le pouvoir. Les démonstrations se sont succédé samedi et dimanche. La police d’abord très pacifique le vendredi, semble avoir largement durci son action avec des arrestations (41 personnes) et une plus grande utilisation de moyens de dispersion (lacrymogènes, balles en caoutchouc).
Le pouvoir semble en grande majorité ignorer ces manifestations pour éviter de leur donner un crédit politique. Bouteflika a envoyé une lettre aux travailleurs algériens le samedi 24. Il y parle simplement de la nécessité d’une « continuité ». C’est aussi le silence dans les médias publics, Meriam Abdou rédactrice en chef de la radio publique Chaîne 3 a présenté sa démission. D’autres journalistes ont écrit à leur direction pour manifester leur mécontentement du « traitement exceptionnel » réservé au clan Bouteflika.
Quelles alternatives ?
Le système algérien étant centré sur la personnalité du président, le pays manque d’options. L’opposition y est inexistante et le très médiatique Rachid Nekkaz semble ne pas pouvoir remplir les critères pour être candidat. C’est aussi au Conseil constitutionnel de valider les candidatures, un conseil aux mains du pouvoir.
L’Algérie semble n’avoir pour choix que de pousser la candidature de Bouteflika, ou le remplacer par un homme de paille. Aucune de ces décisions ne satisfera totalement les manifestants, mais le départ du président est pour eux prioritaire.
Certains proches du pouvoir, comme le Premier ministre, visent plus pour le moment à effrayer les manifestants en mettant en avant le danger des extrémismes et de la guerre civile. Un puissant et douloureux souvenir en Algérie.