Lorsqu’au mois d’août 1968, les armées de l’Union soviétique et de quatre pays du Pacte de Varsovie : Bulgarie, Pologne, Hongrie et RDA ont envahi la Tchécoslovaquie, pour s’assurer que les pays de l’OTAN ne soient pas tentés de lui porter secours, l’URSS déploie en direction de l’Ouest ses missiles nucléaire à portée intermédiaire.
Aujourd’hui un tel déploiement n’est plus possible car à la suite de la signature, le 8 décembre 1987, du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, ces missiles ont été démantelés. Sans doute, d’autres ressources atomiques demeurent et pour s’assurer de sa liberté d’action en Ukraine, Vladimir Poutine, au quatrième jour de l’attaque, après avoir demandé à l’Occident de rester à l’écart du conflit et l’avoir menacé « de conséquences jamais encore vues dans toute son histoire », a pu annoncer le 27 février qu’il avait mis en alerte renforcée ses forces nucléaires. Dernière mise en garde, le 18 mars, le tir sur des cibles ukrainiennes à proximité de la frontière avec l’OTAN d’un missile hypersonique manœuvrant Kh-47M2 Kinjal pouvant être doté aussi bien d’une tête conventionnelle que nucléaire.
À l’inverse des États-Unis et de l’OTAN qui se sont terrés, la France seule fait face. Le 1er mars, le Télégramme de Brest faisait savoir que les sous-mariniers de l’Ile-Longue étaient en alerte maximale, et le 17, Air et Cosmos confirmait que la France avait relevé son niveau d’alerte nucléaire, la Marine nationale ayant déployé la quasi-totalité de ses sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, les SNLE. Il n’avait suffi que de quelques petites semaines, pour que l’Europe que nous imaginions durablement en paix, se retrouve déchirée par la guerre, menacée d’anéantissement.
L’atome est dégainé, mais ce n’est pas là une situation aussi exceptionnellement dramatique que l’on pourrait croire. Récemment des forces nucléaires ont été également mises en alerte, il est vrai que c’était loin de nous et que nous pouvions l’ignorer. Cependant, à deux reprises, se sentant menacé par les États-Unis, Pékin s’est engagé sur les chemins de la dissuasion :
Le 26 août 2020, c’est un missile tactique DF-26 (porteur d’une charge conventionnelle toutefois) qui a été lancé à proximité d’une flotte qui se serait trop aventurée selon Pékin dans la mer de Chine du Sud. En fin de mandat, le comportement irrationnel de Donald Trump est aberrant au point que les autorités chinoises ont pu croire que les États-Unis se préparaient à lancer une attaque. Elles mettent donc leurs forces de dissuasion en alerte. Pour faire retomber la tension, la plus haute autorité militaire américaine, le président du Comité des chefs d’états-majors a dû appeler son homologue, le général Li Zuocheng pour apaiser la situation. Déclarant, selon les médias chinois : « Général, je veux vous assurer que le gouvernement américain est stable et que tout sera OK. », ajoutant : « Nous n'allons pas attaquer ou mener de quelconques frappes contre vous. Si nous devions attaquer, je vous en préviendrais. Ce ne serait pas une frappe surprise. » L’actualité a donc été là pour nous le rappeler, la Chine tout comme les États-Unis, la Russie et la France distinguent trois stades dans l’engagement des forces nucléaires.
Les frappes stratégiques : elles ont pour objectif des villes des belligérants. Par le jeu de représailles impliquent déjà quelques centaines de milliers, sinon des millions de morts, des deux côtés en cas de frappes contenues. De ce fait, elles se révèlent inenvisageables, même si tous les États nucléaire s’y préparent pour être à même de riposter. Des frappes tactiques restent possibles. Elles portent sur des objectifs militaires hors des territoires des puissances nucléaires. Les avertissements : des mesures contraignantes, qui démontrent que le passage au stade nucléaire est envisagé ou que le pays se met en état d’y répondre. C’est d’abord et surtout ainsi que la Chine entend contraindre les États-Unis, par des mesures déstabilisantes qui feront reculer les présidents américains. C’est ainsi qu’il en a été et l’inconscience des politiques a pu être contenue par le sang-froid et la prudence des états-majors. En fin d’année 2020, la dissuasion a trouvé des champions inattendus et s’en est trouvée renforcée.
Il n’empêche, la Chine a eu peur et il faut porter attention aux leçons que le quotidien chinois, l’officieux Global Times a tiré de l’attitude des armées des États-Unis, allant jusqu’à faire sienne la déclaration que lui a faite un expert américain : « L’armée américaine n'a pas cessé de s'engager dans des guerres, même après la Seconde Guerre mondiale. Elle connaissait les conséquences des conflits mieux que les politiciens et les diplomates. Contrairement aux conflits politiques et commerciaux, il y a peu de marge de manœuvre en cas d'affrontement militaire. Une fois qu'une guerre éclate, il y a toujours un résultat perdant-perdant. »
Pékin le sait et tient à nous faire connaître que seules des situations extrêmes qui ne sont pas de son fait justifieraient son passage au nucléaire et quelles sont les procédures qui la mettent à l’abri d’un accident. C’est indirectement, comme cela est toujours la règle en Chine sur les sujets militaires sensibles qu’elle s’y emploie. Ici en rappelant les procédures russes dont elle s’inspire. Ce faisant, Pékin va nous rassurer.
Deux dispositions rendent tout passage accidentel au nucléaire impossible, aussi bien pour la Russie que pour la Chine
La transition vers une situation de crise et un état où l'utilisation d'armes nucléaires ne peut être envisagé que si elle résulte de la constatation d’une des situations suivantes : la confirmation par des données fiables du lancement de missiles balistiques attaquant le territoire national et/ou de ses alliés ; l’utilisation d'armes nucléaires ou d'autres types d'armes de destruction massive par un adversaire contre le pays et/ou ses alliés ; l’attaque par un adversaire contre des sites gouvernementaux ou militaires critiques dont l'interruption compromettrait l'efficacité de l'action de l'État ou qui compromettrait les actions de réaction des forces nucléaires ; l’agression avec l’utilisation d'armes conventionnelles lorsque l'existence même de l’État est menacée. Cette situation avérée, la décision d'utiliser des armes nucléaires est une décision collégiale. L’ordre de tir est donné par le président. Mais il faut que le dispositif de communication crypté destiné à transmettre l’ordre de tir soit activé, ce qui ne peut se faire qu’avec l’aval du ministre de la Défense, et du chef d'état-major des armées. Pas plus que la Russie, la Chine ne peut être à l’origine d’une guerre nucléaire accidentelle.
Un désastre qui n’est pas à redouter nonobstant les combats qui font rage en Ukraine et malgré les rodomontades de Vladimir Poutine. La guerre nucléaire n’aura pas lieu.
Edouard Valensi est l'auteur de "Chine, La longue marche vers le futur" (VA Éditions).