Terres Rares : Comment la Chine a-t-elle pu assoir un tel monopole dans un secteur si stratégique ?



Publié par Timothée Dufresne de Saint Léon le 26 Mai 2023

Parmi les 94 éléments chimiques présents sur terre, 17 font l’objet d’un enjeu stratégique particulier, leurs propriétés magnétiques et électrochimiques les rendent indispensables à la production de composants dont dépendent toutes les hautes technologies et l’innovation. Si ces terres rares sont si précieuses, comment se fait-il que la Chine ait presque mis seule la main dessus ? Ce monopole chinois est le fruit d’une stratégie de longue date bien rôdée, utilisant influence et protectionnisme d’état pour atteindre un objectif stratégique.



Les terres rares, un enjeu majeur pour les économies contemporaines :

Le téléphone mobile, la télévision à écran LCD, le moteur hybride, les éoliennes ont un point commun ; ils ne fonctionneraient pas sans certains composants forgés à partir de terres rares.

Ces objets essentiels à la France d’aujourd’hui et de demain sont construits à partir de matériaux que l’on importe depuis la Chine, et dans un contexte de division du monde en deux Grands Blocs, l’indépendance Européenne et plus particulièrement Française de ce point de vue est un véritable enjeu. En effet, si les objets de consommation courante sont fortement dépendants de l’étranger, ce ne sont pas les seuls, et dépendre des terres rares chinoises devient plus grave lorsqu’il s’agit de s’assurer de sa souveraineté aérienne, de son système de défense antimissile, ou de la protection de ses réseaux de communication.

Dans un contexte de guerre et de progrès technologique constant, les terres rares deviennent un enjeu stratégique fondamental. Dès 2010-2011, à l’heure de la hausse de la demande de ces matériaux, l’Europe avait fait les frais du quasi-monopole chinois, lors de ce que l’on avait appelé la crise des terres rares. La Chine avait subitement baissé de 40% ses quotas d’exportations sur ces matières, et créé un phénomène de pénurie en Europe, les fournisseurs avaient dû avoir recourus à une hiérarchisation de la clientèle. La Chine détenait alors 97% des sites d’extraction de terres rares, dont une grande partie hors de son territoire, et ce n’était en rien un hasard.
 

La construction progressive et réfléchie d’un empire des terres rares par la Chine :

Un processus stratégique mis en place de longue date a conduit à l’aveuglement américain et mondial face à ce monopole émergent de la Chine dans l’exportation de terres rares. La logique de fond semble simple, les Etats-Unis et autres économies libérales, dans une logique de marché, auraient délaissé l’extraction de terres rares pour privilégier l’import, moins couteux.

Si une logique économique objective semble être à l’origine de cette nouvelles répartition des parts de marché, la réalité nous montre que les acteurs Chinois poursuivaient implicitement un objectif stratégique de taille, rendre le reste du monde dépendant de la Chine pour l’approvisionnement des terres rares. Une ambition de puissance, longtemps implicite, qui est devenue plus visible lorsque des politiques de quotas ont été mis en place par la Chine en 2006, puis lors des tensions répétitives entre des navires japonais et chinois sur ces sujets. L’instabilité des acteurs économiques Américains et Japonais face à une stratégie assez opaque des acteurs chinois a progressivement affirmé la supériorité de la Chine de ce point de vue.

Dans ce contexte, l’intelligence culturelle et stratégique chinoise ont été mis au service de l’intelligence économique. Depuis trois décennies, les géants des terres rares ont été la cible d'attaques ciblées et d'acquisitions stratégiques, permettant à la Chine d'étendre son influence sur le marché mondial indépendamment de ses propres réserves. Des pressions politiques ont également été utilisées pour influencer l'économie, notamment en interdisant l'exportation de terres rares à des sociétés étrangères telles que Hitachi Metals en 2010.

Les pressions gouvernementales chinoises ont également forcé des entreprises telles que Molycorp à transférer leur procédé de production en Chine pour obtenir des quotas d'exportation. Les investissements dans les mines et les sociétés étrangères ont été constants, tandis que les entreprises étrangères ont été confrontées à des obstacles bureaucratiques et à des règlements stricts en matière d'exportation. Un long processus ayant recours à l’intelligence économique, hostile et impérialiste, a permis à la Chine de devenir l’incontournable fournisseur de ces matériaux si stratégiques, face à la passivité d’un adversaire trop libéral et confiant en le marché, qui a omis pendant un temps l’enjeu stratégique en question.
 

Dans un monde hostile et divisé, quelles conséquences ?

Le monde constatait donc avec effroi la dépendance du monde entier envers la Chine dans ce domaine en 2006 pour la première fois, lorsque les quotas avaient conduit à une forte hausse des prix des terres rares. Suite à cela, les Etats-Unis, l’Europe et le Japon ont tenté de rétablir une forme de souveraineté dans ce domaine, en mettant en place des stratégies pour réduire leur dépendance envers la Chine. Les Etats-Unis ont par exemple lancé l'initiative "Critical Materials Institute" et ont investi dans des projets de production en collaboration avec des entreprises privées.

L’Union Européenne a également encouragé le développement de projets d'extraction et de recyclage de terres rares pour sécuriser l'approvisionnement en matières premières critiques. Plus concrètement, des projets de production ont été lancés en France, en Allemagne et dans d'autres pays européens. De son côté, le Japon a lancé des projets d'extraction sur son propre sol et a cherché à diversifier ses sources d'approvisionnement en développant des partenariats avec d'autres pays, tels que le Brésil, l’Australie, le Vietnam.

L’ensemble de ces pays cherche de manière générale à diversifier ses sources d’approvisionnement, mais la mainmise des entreprises chinoises sur la quasi-totalité des entreprises d’extraction de terres rares rend l’exportation vulnérable aux politiques chinoises quoi qu’il arrive, et le processus stratégique de contrôle de cette ressource par la Chine est un atout majeur, et un argument de poids dans la guerre économique que se livrent la Chine et les Etats-Unis.

A l’heure ou la guerre en Ukraine divise le monde en deux blocs et ou une apparente nouvelle guerre froide se déroule, toute dépendance stratégique est pointée du doigt, et doit être suivie avec la plus grande attention.
 

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