Obama chef de guerre, premier bilan



Publié par Maya Kandel le 15 Juin 2016

Du Yémen au Pakistan, sur le continent africain, à nouveau en Irak, les Etats-Unis sont aujourd’hui impliqués directement dans au moins 8 guerres (et indirectement dans beaucoup plus). Cet article de Maya Kandel du blog Froggy Bottom (https://froggybottomblog.com/) se penche sur le bilan d’Obama, non comme diplomate, mais cette fois comme commandant-en-chef des armées américaines – Obama en chef de guerre.




Il l’avait promis en 2008, il le répétait  après sa réélection : « une décennie de guerres prend fin ». Pourtant, les Etats-Unis sont aujourd’hui impliqués directement dans plus de guerres qu’en 2009. Même en comptant « seulement » les pays où les militaires américains bombardent directement ou participent au combat eux-mêmes ou en appui à des forces combattantes, les Etats-Unis se trouvent en guerre dans 8 pays (Afghanistan, Pakistan, Somalie, Yémen, Irak, Syrie, Cameroun, Ouganda). Ces chiffres ne prennent pas en compte les forces spéciales (qui font certes, pour l’essentiel, des missions de formation) : en 2014, elles avaient été déployées dans 133 pays au total, soit 70% des pays du monde. Les interventions militaires n’ont donc pas cessé sous Obama, elles sont même plus nombreuses, mais elles sont moins visibles, coûtent moins chères et font moins de morts américains (60% de moins sous Obama que Bush, moins de 2000 contre près de 6000 ; la guerre contre le groupe Etat Islamique a fait 15 morts américains depuis le début de la campagne en septembre 2014).

Ces nouvelles modalités des engagements militaires américains (stratégie indirecte, armes plus discrètes, « empreinte légère »), constitue un aspect majeur de la réorientation de la politique de défense engagée par Obama. Elles ont été déterminées en grande partie sous l’influence de contraintes intérieures caractéristiques de la période actuelle aux États-Unis : une opinion publique majoritairement hostile à toute nouvelle aventure militaire majeure, évolution reflétée au Congrès ; des contraintes financières fortes en raison du niveau de la dette américaine et du déficit budgétaire. Surtout, elles reflètent les préférences personnelles du président Obama et ses priorités, avant tout intérieures (« nation building at home »), ainsi que son analyse de l’évolution du contexte international. Elles vont de pair avec le second aspect essentiel de la politique de défense américaine actuelle, la priorité à long terme (à court terme, la priorité demeure la lutte contre le terrorisme) : la volonté de se tourner vers l’avenir c’est-à-dire l’Asie.

Elles illustrent également l’ambition d’Obama de redéfinir le leadership américain, une volonté exprimée très tôt par le candidat démocrate en réaction à la politique de son prédécesseur (et aux dégâts qu’elle avait occasionnés) : un leadership se voulant plus humble et plus discret, comme le dira explicitement le conseiller anonyme du président à l’origine de la formule du « leadership from behind  » à propos de la Libye. Un leadership également « plus intelligent », en référence au concept de « smart power  » imaginé par le politologue Joseph Nye, visant à retrouver une combinaison plus équilibrée des différents instruments de l’action extérieure, concept largement mis en avant par la nouvelle administration démocrate en 2009 (d’où l’accent mis sur la diplomatie mais aussi sur la politique économique). Enfin, il faut souligner chez Obama la volonté d’aller contre un certain consensus dominant à Washington dans l’establishment de politique étrangère, en l’occurrence le recours à la force comme solution à toute crise, en négligeant la diplomatie ; et la volonté aussi de bousculer les alliances traditionnelles en fonction d’une réévaluation des intérêts américains (voir à cet égard l’article de J. Goldberg dans The Atlantic sur la doctrine Obama).

Nouvelles modalités des interventions militaires

Retrait d’Irak achevé fin 2011, retrait annoncé d’emblée même si précédé d’un surge  « obligé » en Afghanistan : Obama tourne la page des années Bush avec cette réduction visible et rapide de la présence militaire américaine sur les deux principaux théâtres de la guerre contre le terrorisme des années 2000. L’objectif est d’ailleurs érigé en nouveau dogme dans la directive  stratégique de défense de 2012 (et confirmée par la QDR 2014), qui annonce la fin des « grandes opérations terrestres de stabilisation et de nation building ».

Tactiques furtives et guerres discrètes

En réalité, si les ruptures sont nombreuses, et pour certaines importantes, les continuités sont également fortes entre Obama et son prédécesseur républicain, à tel point que les experts de la Brookings Institution à Washington diront qu’Obama « a été plus efficace que Bush sur l’agenda de Bush ». Avec Obama, l’Amérique renoue avec l’approche indirecte. L’objectif doit permettre de contrebalancer le désengagement militaire des théâtres irakien et afghan, tout en poursuivant les objectifs stratégiques affichés de manière moins visible pour les opinions américaine et mondiale et à moindre coût.

Lire la suite sur Froggy Bottom


Le blog Froggy Bottom :

Froggy Bottom est un blog de veille et d’analyse sur la politique étrangère américaine, qui accorde une attention particulière au processus de fabrication de la stratégie internationale des Etats-Unis à Washington. Il s’intéresse donc tout particulièrement au rôle du Congrès américain dans le processus de décision.

A propos de l’auteur : Maya Kandel

Maya Kandel est responsable du programme sur les Etats-Unis dans un centre de recherche institutionnel parisien et également chercheur associée à l’Université Sorbonne  Nouvelle – Paris 3 (CREW, Center for Research on the English-Speaking World). Docteur de l’IEP de Paris, Elle fait s a thèse  sur le rôle du Congrès en politique étrangère (Le Congrès et la désintégration de la Yougoslavie, de la chute du mur de Berlin aux accords de Dayton). Elle en a tiré un livre , dont on peut lire la recension faite par Pierre Hassner  dans la Revue Française de Science Politique

Dans la même rubrique :