Mali, premier prolongement et premiers bilans



Publié par Pierre-Marie Meunier le 23 Avril 2013

Le 22 avril 2013, le Parlement et le Sénat français ont voté chacun de leur côté le prolongement de l’opération Serval encore en cours au Mali. Ce vote des deux chambres était obligatoire compte tenu du dépassement du délai de trois mois à compter du début des opérations. Bien qu’il y ait eu quelques abstentions, aucune voix ne s’est élevée contre ce prolongement, preuve d’un consensus rare sur une intervention dont commencent à émerger les premiers bilans.



(Crédit : ECPAD)
Une intervention nécessaire
 
Depuis le début de l’intervention, nombre de voix se sont fait entendre pour dénoncer la rapidité de la décision d’intervention et la légitimité de celle-ci, en dehors d’un cadre européen ou onusien clairement défini au départ. Le soutien à l’Etat malien a été perçu comme risqué, étant donné l’instabilité récurrente de ces régimes et l’arrivée récente aux commandes de l’équipe actuelle, suite à ce qui s’apparente à un coup d’état. Accusée à tort et à travers de tous les maux de son histoire, la France a tenu son rang et ses engagements en intervenant au profit d’un Etat souverain, sur sa demande, pour le protéger d’un risque vital pour ses institutions. Nous n’avions pas d’autre choix à ce moment là, mais nous étions les seuls en Europe à avoir les moyens d’intervenir. Connaissant l’hostilité des divers groupes rebelles sahéliens envers la France et compte tenu de la présence d’otages français dans cette zone, ne pas intervenir eut été dramatiquement irresponsable. De plus, défendre la stabilité politique et la sécurité de cette sous-région n’est en rien incompatible avec la défense d’intérêts politiques et économiques français sur place, sachant qu’on peut sans peine parler d’intérêts vitaux, sur le long terme. Le vote des parlementaires et des sénateurs le 22 avril est venu conforter cette vision des choses.
 
Une armée française forte de son expérience afghane
 
Les officiels américains ont été parmi les premiers à le reconnaitre : l’armée française à fait bien plus vite et bien plus efficacement que ce à quoi tout le monde s’attendait. Hors Etats-Unis, la France est actuellement la seule puissance à pouvoir déployer plus de 4000 hommes à plusieurs milliers de kilomètres de ses bases en l’espace de quelques jours. Bien qu’il n’ait pas été nécessaire de mener de campagnes SEAD ou des frappes de décapitation avant de pouvoir se poser au Mali, l’armée de l’air a été en mesure de délivrer les premiers tirs quelques heures à peine après l’ordre d’intervention. Certes, une fois encore, nous avons identifié des déficiences majeures dans notre capacité de projection : ravitailleurs en vol et transport stratégique notamment. Les drones sont de même une ressource encore trop rare sur le théâtre, et la question de leur armement s’est posée avec une acuité nouvelle. Mais la guerre s’est jouée au sol, « boots on the ground », indépendamment des conditions de la génération de forces. Forte de son expérience afghane, l’armée de terre a de son côté mis en avant ses qualités d’audace et de maitrise du combat interarmes et interarmées avec des opérations ambitieuses, qui ont complètement bousculé les schémas tactiques de l’adversaire. Néanmoins, la traque des combattants djihadistes dans une zone grande comme cinq fois la France risque de rapidement tourner au mythe de Sisyphe. Pour autant les armées n’ont pas à rougir de leur bilan : outre les centaines de combattants neutralisés, les armes saisies ou détruites, les forces françaises ont prouvé qu’un pays déterminé pouvait poursuivre ses ennemis jusque dans le plus profond de ses sanctuaires. La première victoire française est celle de l’effondrement d’un mythe : celui de l’impunité des groupes djihadistes, réfugiés dans leurs repaires soi-disant inexpugnables.
 
Eviter la propagation de l’instabilité libyenne
 
L’autre front qui risque de rapidement préoccuper la communauté internationale se situe dans les ruines de la Libye. Chassés du Mali, une partie des combattants djihadistes a certainement trouvé refuge en Mauritanie, d’où peuvent être lancées des attaques vers l’Est et le centre du Mali. Mais l’autre partie de ces combattants, contournant la frontière algérienne, est peut-être en train de rejoindre la Libye par le Niger. La Libye est devenue avec le temps le dernier terrain propice à la survie de ces groupes pourchassés à travers tout le Sahel.
L’effondrement intérieur libyen, dont ne perçoit que les premiers signes aujourd’hui, a été concomitant des premières offensives des groupes djihadistes dans le Nord du Mali. L’une des explications de cette chronologie réside dans l’arrivée massive d’armements divers d’origine libyenne sur les marchés noirs sahéliens. Selon un rapport d’avril 2013 de l’institut Conflict Armament Research (1), une large partie de l’arsenal des groups djihadistes pourraient provenir des arsenaux libyens, en particulier les roquettes de tous calibres et les systèmes lance-roquettes associés. La prolifération tant redoutée des MANPADS, type SA-7 ou Blowpipe, ne s’est pas concrétisée pour l’instant. Mais il s’agit d’armements qui nécessitent des conditions de stockage et d’entretien peu compatibles avec la nomadisation perpétuelle dans le désert, en sus de personnels qualifiés et entrainés. Soit ces matériels sont aujourd’hui hors d’usage, soit ils sont gardés à l’abri, en attendant éventuellement une occasion favorable ou un acheteur potentiel. L’état actuel de la Libye n’a rien de rassurant sur ce point précis, et l’attentat du 23 avril contre l’ambassade de France à Tripoli pourrait être le prélude d’un glissement des problématiques sahéliennes vers la Libye. De là à se retrouver avec un nouvel état failli, mais cette fois à quelques encablures de nos côtes, il n’y a que peu de distance que nous devons nous efforcer de rendre infranchissable. Le Mali ne présente pas les mêmes difficultés, car il y a encore en Etat en place sur lequel nous appuyer, quels que puissent être les griefs à lui reprocher. La reconstruction des institutions maliennes, à commencer par l’armée, et la réconciliation nationale sous supervision onusienne doivent être les deux priorités du dossier malien, pour espérer sortir par le haut de cette crise.
 
(1) « Rebel forces in Northern Mali », Conflict Armament Research, avril 2013

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