Vladimir Poutine et Faustin Touadéra - 2019
Désengagement diplomatique officiel ?
Fin mars 2022, Alexandre Bikantov, l’ambassadeur de Russie en Centrafrique fraichement nommé le 10 janvier, n’était toujours pas en poste à Bangui, selon les informations de Jeune Afrique. Cette nomination faisait déjà suite à six mois de flottement aux motifs flous. Cette politique de la chaise vide entre la Russie et la République Centrafricaine surprend les observateurs, compte tenu de l’intérêt porté par la Russie à la région : la Russie a notamment pu compter sur l’abstention de nombreux pays africains, dont la Centrafrique, lors du vote de la résolution condamnant son invasion de l’Ukraine devant l’Assemblée générale de l’ONU le 02 mars 2022. Cette situation met même les diplomates russes encore à Bangui dans l’embarras compte tenu des velléités des troupes paramilitaires du groupe Wagner de remédier à l’absence de l’ambassadeur lors des événements officiels. Cette confusion des genres n’a rien d’anodine et attesterait surtout de la mainmise progressive de l'oligarque Evgeny Prigozhin, identifié comme l’un des principaux dirigeants et financiers du groupe Wagner, sur tout ce qui touche à la Centrafrique, parmi d’autres sujets Africains de la Russie.
« L’indispensable Wagner »
Le groupe Wagner est présent de façon conséquente en Centrafrique depuis au moins 2018. Ses forces militaires seraient aujourd’hui de l’ordre de 1200 à 2000 hommes, auxquels s’ajouteraient plusieurs centaines de soldats rwandais, recrutés parmi les plus aguerris du pays. A l’inverse du Mozambique, où les troupes de Wagner auraient subi plusieurs revers militaires, ou de la Libye, où ils sont parties-prenantes de l’échec de l’offensive du général Haftar, les opération du groupe Wagner en RCA semblent se dérouler de façon plus méthodique et plus discrète. Officiellement absents de Centrafrique, les Russes de Wagner justifient leur présence visible sur le territoire par des missions de conseil et de formation des Forces armées centrafricaines (FACA), sorte de Monitoring des forces armées à l’image de ce que l’OTAN a fait en Afghanistan, et les Etats-Unis en Irak. Officieusement, ils auraient pris en charge la sécurité rapprochée du président Faustin-Archange Touadéra, dans le contexte d’élections en 2016 et en 2020 sur lesquelles pèsent de sérieux soupçons de fraude.
Les mercenaires du groupe Wagner seraient néanmoins aussi intervenus en force sur des opérations de grande envergure à plusieurs reprises : début 2021, les troupes du groupe Wagner seraient ainsi intervenues pour empêcher la prise de Bangui par les membres de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) menée par l’ancien président François Bozizé. Dans un premier temps, les mercenaires russes sont parvenues à restaurer un semblant de sécurité que le pays n’avait pas connu depuis longtemps, notamment dans les zones rurales du Nord du pays. Aidées par les Russes, les FACA s’emploient depuis à obtenir la reddition des poches de rébellion subsistantes.
Le prix à payer
Si le pouvoir en place se félicite de l’amélioration apparente de la situation sécuritaire dans la pays, celle-ci n’a été obtenue qu’au prix de pratiques régulièrement dénoncées comme attentatoires aux droits humains, voire comme des crimes de guerre. Outre les nombreuses mines et munitions non explosées qui polluent encore une large partie du pays (30 civils ont été tués et 49 blessés dans 63 incidents impliquant des mines et autres engins explosifs, juste entre janvier 2021 et mars 2022 selon l’OCHA), les mercenaires russes de Wagner semblent dupliquer les schémas de combat russes déjà vus de l’Afghanistan à la Syrie, en passant par la Tchétchénie : un usage indiscriminé de la force, qui n'épargne pas les civils, en vue de l’anéantissement de l’ennemi, puis une occupation sporadique du terrain émaillée d’accusations d’enlèvements, viols, tortures et d’exécutions sommaires. Au Mali, les mercenaires de Wagner auraient même tenté de faire accuser les militaires français de Barkhane d’exactions en disposant des corps dans l’enceinte d’an camp récemment rétrocédé à l’armée mal. Filmée par drone, cette action de déstabilisation informationnelle, destinée à alimenter le sentiment anti-français au Mali, illustre bien les modes d’actions de Wagner fait de subversion et de manipulation des opinions. Mais les modes d’actions russe ne renseignent que peu sur les intentions de la Russie
La « rémunération » de Wagner
Mais les modes d’actions russes ne renseignent que peu sur les intentions de la Russie : qu’attend-elle de l’Afrique et de la Centrafrique en particulier ? Le vote devant l’ONU a constitué un début de réponse : la Russie a besoin de soutiens internationaux, ou a minima, de neutralité sur les sujets susceptibles de la mettre dans l’embarras. Or, compte tenu des besoins aussi bien en termes de forces de sécurité « efficaces » (au sens russe du terme) qu’en investissements, la Russie comme la Chine considèrent en effet nombre de pays Africains comme des relais d’influence « achetables ».
Mais l’influence politique et diplomatique n’est pas le seul sujet loin de là, et ce qui intéresse au premier chef le Kremlin n’est pas forcément la priorité d’un oligarque, plus à même de penser rentabilité et retour sur investissement. Or il n’existe aucun contrat public entre la Centrafrique et le groupe Wagner (sachant en plus que le « groupe Wagner » est l’appellation générique d’un multitude de sociétés qui ne sont liés entre elles que la personne du dirigeant, Evgeny Prigozhin), ce qui signifie que la rémunération éventuelle ne se fait pas sur des fonds publics a priori. De fait, le paiement des « prestations » de Wagner passerait par l’octroi de concessions minières (or et diamant, notamment via la société Lobaye Invest) ou d’exploitations d’autres ressources naturelles : bien qu’étant l’un des pays le plus pauvres de la planète, la Centrafrique reste en effet un pays riche en ressources naturelles inexploitées, attisant de fait les convoitises.
Entre pillage dans les règles et impunité pour ses actions, la présence du groupe Wagner en Centrafrique ne contribue en rien à l’amélioration de la situation sécuritaire, bien au contraire. Officiellement absentes du pays, les autorités Russes ne voient pourtant que des avantages dans cette présence dont ils tirent les bénéfices politiques et économiques sans pourtant jamais devoir en assumer la charge. Si le pouvoir politique sur place peut y voir l’occasion d’asseoir son autorité plus largement dans le pays, la population centrafricaine n’a fait que troquer une violence arbitraire pour une autre, tout en assistant au pillage de ses ressources naturelles à grande échelle en toute impunité.
Fin mars 2022, Alexandre Bikantov, l’ambassadeur de Russie en Centrafrique fraichement nommé le 10 janvier, n’était toujours pas en poste à Bangui, selon les informations de Jeune Afrique. Cette nomination faisait déjà suite à six mois de flottement aux motifs flous. Cette politique de la chaise vide entre la Russie et la République Centrafricaine surprend les observateurs, compte tenu de l’intérêt porté par la Russie à la région : la Russie a notamment pu compter sur l’abstention de nombreux pays africains, dont la Centrafrique, lors du vote de la résolution condamnant son invasion de l’Ukraine devant l’Assemblée générale de l’ONU le 02 mars 2022. Cette situation met même les diplomates russes encore à Bangui dans l’embarras compte tenu des velléités des troupes paramilitaires du groupe Wagner de remédier à l’absence de l’ambassadeur lors des événements officiels. Cette confusion des genres n’a rien d’anodine et attesterait surtout de la mainmise progressive de l'oligarque Evgeny Prigozhin, identifié comme l’un des principaux dirigeants et financiers du groupe Wagner, sur tout ce qui touche à la Centrafrique, parmi d’autres sujets Africains de la Russie.
« L’indispensable Wagner »
Le groupe Wagner est présent de façon conséquente en Centrafrique depuis au moins 2018. Ses forces militaires seraient aujourd’hui de l’ordre de 1200 à 2000 hommes, auxquels s’ajouteraient plusieurs centaines de soldats rwandais, recrutés parmi les plus aguerris du pays. A l’inverse du Mozambique, où les troupes de Wagner auraient subi plusieurs revers militaires, ou de la Libye, où ils sont parties-prenantes de l’échec de l’offensive du général Haftar, les opération du groupe Wagner en RCA semblent se dérouler de façon plus méthodique et plus discrète. Officiellement absents de Centrafrique, les Russes de Wagner justifient leur présence visible sur le territoire par des missions de conseil et de formation des Forces armées centrafricaines (FACA), sorte de Monitoring des forces armées à l’image de ce que l’OTAN a fait en Afghanistan, et les Etats-Unis en Irak. Officieusement, ils auraient pris en charge la sécurité rapprochée du président Faustin-Archange Touadéra, dans le contexte d’élections en 2016 et en 2020 sur lesquelles pèsent de sérieux soupçons de fraude.
Les mercenaires du groupe Wagner seraient néanmoins aussi intervenus en force sur des opérations de grande envergure à plusieurs reprises : début 2021, les troupes du groupe Wagner seraient ainsi intervenues pour empêcher la prise de Bangui par les membres de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) menée par l’ancien président François Bozizé. Dans un premier temps, les mercenaires russes sont parvenues à restaurer un semblant de sécurité que le pays n’avait pas connu depuis longtemps, notamment dans les zones rurales du Nord du pays. Aidées par les Russes, les FACA s’emploient depuis à obtenir la reddition des poches de rébellion subsistantes.
Le prix à payer
Si le pouvoir en place se félicite de l’amélioration apparente de la situation sécuritaire dans la pays, celle-ci n’a été obtenue qu’au prix de pratiques régulièrement dénoncées comme attentatoires aux droits humains, voire comme des crimes de guerre. Outre les nombreuses mines et munitions non explosées qui polluent encore une large partie du pays (30 civils ont été tués et 49 blessés dans 63 incidents impliquant des mines et autres engins explosifs, juste entre janvier 2021 et mars 2022 selon l’OCHA), les mercenaires russes de Wagner semblent dupliquer les schémas de combat russes déjà vus de l’Afghanistan à la Syrie, en passant par la Tchétchénie : un usage indiscriminé de la force, qui n'épargne pas les civils, en vue de l’anéantissement de l’ennemi, puis une occupation sporadique du terrain émaillée d’accusations d’enlèvements, viols, tortures et d’exécutions sommaires. Au Mali, les mercenaires de Wagner auraient même tenté de faire accuser les militaires français de Barkhane d’exactions en disposant des corps dans l’enceinte d’an camp récemment rétrocédé à l’armée mal. Filmée par drone, cette action de déstabilisation informationnelle, destinée à alimenter le sentiment anti-français au Mali, illustre bien les modes d’actions de Wagner fait de subversion et de manipulation des opinions. Mais les modes d’actions russe ne renseignent que peu sur les intentions de la Russie
La « rémunération » de Wagner
Mais les modes d’actions russes ne renseignent que peu sur les intentions de la Russie : qu’attend-elle de l’Afrique et de la Centrafrique en particulier ? Le vote devant l’ONU a constitué un début de réponse : la Russie a besoin de soutiens internationaux, ou a minima, de neutralité sur les sujets susceptibles de la mettre dans l’embarras. Or, compte tenu des besoins aussi bien en termes de forces de sécurité « efficaces » (au sens russe du terme) qu’en investissements, la Russie comme la Chine considèrent en effet nombre de pays Africains comme des relais d’influence « achetables ».
Mais l’influence politique et diplomatique n’est pas le seul sujet loin de là, et ce qui intéresse au premier chef le Kremlin n’est pas forcément la priorité d’un oligarque, plus à même de penser rentabilité et retour sur investissement. Or il n’existe aucun contrat public entre la Centrafrique et le groupe Wagner (sachant en plus que le « groupe Wagner » est l’appellation générique d’un multitude de sociétés qui ne sont liés entre elles que la personne du dirigeant, Evgeny Prigozhin), ce qui signifie que la rémunération éventuelle ne se fait pas sur des fonds publics a priori. De fait, le paiement des « prestations » de Wagner passerait par l’octroi de concessions minières (or et diamant, notamment via la société Lobaye Invest) ou d’exploitations d’autres ressources naturelles : bien qu’étant l’un des pays le plus pauvres de la planète, la Centrafrique reste en effet un pays riche en ressources naturelles inexploitées, attisant de fait les convoitises.
Entre pillage dans les règles et impunité pour ses actions, la présence du groupe Wagner en Centrafrique ne contribue en rien à l’amélioration de la situation sécuritaire, bien au contraire. Officiellement absentes du pays, les autorités Russes ne voient pourtant que des avantages dans cette présence dont ils tirent les bénéfices politiques et économiques sans pourtant jamais devoir en assumer la charge. Si le pouvoir politique sur place peut y voir l’occasion d’asseoir son autorité plus largement dans le pays, la population centrafricaine n’a fait que troquer une violence arbitraire pour une autre, tout en assistant au pillage de ses ressources naturelles à grande échelle en toute impunité.