Le retour du « Terrorisme syndical » : La CGT fait-elle diversion de son procès en cours ? [Actualisé]



Publié par Solaine Legault le 13 Juin 2014

La grève initiée par une partie des syndicats de la SNCF a remis sur les devants de la scène les modes de fonctionnement principaux du syndicalisme français : confrontations, blocages, et si possible prises en otage d’une partie de la population. Une situation qui n’est pas sans rappeler le « Terrorisme syndical », tel qu’évoqué par Yves Thréard dans éditorial de février 2008, mais qui pourrait également servir de contre-feux au très discret procès en cours de plusieurs membres de la CGT et du CE d'EDF-GDF.



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Alors que la grève des cheminots entame son septième jour d'action, sans avoir décidé, elle, de prendre un jour de repos même mal mérité, les Français continuent de ne rien comprendre aux raisons qui poussent des syndicats aux abois à poursuivre le mouvement. Des éléments de réponse figurent peut-être dans la très discrète tribune de Gilles-William Goldnadel, parue le 17 juin sur le Figaro. La grève en cours à la SNCF, parce qu'elle mobilise très largement des médias pour partie complaisants, pourrait servir de diversion face à une affaire en cours très embarrassante pour la CGT :  les malversations financières du Comité d'entreprises d'EDF-GDF au profit de la CGT, du Parti communiste et du journal l'Humanité. Outre une les avantages délirants  des salariés d'EDF, fait enterré sous une chape de plomb, le CE de l'entreprise publique aurait financé plusieurs postes salariés et fourni des prestations diverses sans rapport avec son objet social. Il est remarquable de noter à quel point le silence médiatique sur cette affaire est assourdissant et que, hormis la tribune de Goldnadel et malgré trois dépêches AFP, les seules informations sur ce sujet figurent sur des médias...suisses. La CGT publie bien un communiqué sibyllin sur ce sujet, mais justifie, sans peur du ridicule, les dites prestations par l'obtention d'un "patrimoine culturel et artistique conséquent d'une valeur exceptionnel". En l'occurrence, il s'agit de vidéos tournées lors de la Fête de l'Humanité. Sans se prononcer sur la réalité de la valeur artistique des vidéos en question, on ne voit malgré tout pas très bien pourquoi cela vient justifier un détournement de fonds venant du CE d'EDF-GDF.

La complaisance médiatique et politique à l'égard de l'extrême gauche et du syndicalisme n'est pas réellement une nouveauté. Les gouvernements de tous bords ont "acheté la paix sociale" en leur temps. Mais il n'est pas infondé de considérer la poursuite absurde de la grève à la SNCF comme une tentative réussie de détourner l'attention de cet épisode judiciaire peu reluisant pour la CGT.
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Le principe du terrorisme est d’obliger les autorités d’un état à des mesures de plus en plus répressives pour contrer les actions d’un groupe d’individus, le but ultime étant le soulèvement de la population en réponse à ces mesures répressives. Naturellement, les syndicats ne commettent pas d’attentats et l’action syndicale ne fait pas de victimes, mises à part peut-être des « victimes économiques » : rendez-vous manqués, activités contrariées, productions perturbées… Mais dans le cas de certaines entreprises, notamment dans les transports, le principe de prendre en otage la population utilisatrice pour faire pression sur la direction ou sur le gouvernement relève de la même logique. Sauf qu’il y a longtemps que la population française a compris qu’elle devait sa régulière infortune à une poignée d’individus, campés sur des « acquis sociaux » et des privilèges déjà supérieurs à la moyenne des Français.

Mais que ou qui défendent les syndicats ?

Sans surprise, les syndicats défendent avant tout… les syndicats, et leurs avantages, sous couvert de défenses des salariés, particulièrement dans les grandes structures. « Dès ses premiers pas le mouvement ouvrier a été confronté au développement d’une bureaucratie prenant ses distances avec la défense des intérêts des travailleurs pour défendre ceux des appareils ». Cette citation ne provient pas du Medef, mais du site du NPA, critiquant les dérives et l’opacité de la gestion syndicale. En 2008, la grève des aiguilleurs du ciel, sous couvert de défense des salariés obligés de déménager suite à  réorganisation interne, cachait en réalité la crainte de la CGT de ne plus être majoritaire si l’ensemble des aiguilleurs du ciel devait être regroupé sur un même site.

Aujourd’hui, c’est la crainte de l’ouverture à la concurrence qui aiguillonne les syndicats. Compte tenu du taux de plus en plus faible de syndiqués dans le privé, l’arrivée d’entreprises privées dans le ferroviaire réduirait mécaniquement le poids des syndicats sur les thématiques ferroviaires : celle réduirait leur pouvoir de nuisance en ne contrôlant  plus qu’une partie des cheminots et salariés du ferroviaire. La privatisation du fret ferroviaire a été un premier coin dans le pouvoir syndical. La libéralisation du marché des passagers sera le second, et il risque d’être nettement plus sensible.

La meilleure défense, c’est l’attaque

En réalité, les syndicats ne défendent plus, ils attaquent : leur direction, le gouvernement et surtout les usagers, dans le cas des entreprises liées aux transports. « Qu'importe l'intérêt général, comme souvent, les considérations particulières ont pris le dessus. Avec une mauvaise foi qui le dispute à la malhonnêteté » expliquait en 2008 Yves Thréard. Dans le cas de la présente grève, les syndicats s’opposent à la réforme ferroviaire, qui inclut à terme une remise à plat du statut des cheminots. Le projet abrogerait en effet la loi portant statut des cheminots datant de … 1940, même si cette loi a été largement amendée depuis. Et c’est là la principale crainte des cheminots : les précieux acquis sociaux, emportés de haute lutte depuis 70 ans seraient menacés, sans que l’on connaisse les détails de cette remise à plat. Du coup, les syndicats ont inventé la grève préventive ; plutôt que d’exercer son droit de grève face à une situation objective inacceptable pour les salariés, cas dans lesquels le droit de grève est indiscutable, les syndicats ont transformés le droit de grève en principe d’ouverture des discussions. Faire grève d’abord, discuter ensuite, sachant que aucun compromis ne sera possible mais que « la balle est dans le camp du gouvernement » ou de la direction, si on résume de manière, un peu, caricaturale.

Quelle réalité derrière le métier de cheminots ?

Rendons justice à la SNCF, certaines légendes véhiculées au sujet des avantages du statut de cheminots ne reposent sur aucun fondement : « la prime de charbon » a bel et bien disparu en même temps que la dernière locomotive à vapeur, il y a plus de quarante ans, et la « prime pour ceux qui n’ont pas de prime » n’a tout simplement jamais existé. Pour autant, cheminot ou simple salarié de la SNCF n’est pas un métier précaire. Entre gratuité des transports et gratuité des soins s’intercalent un système de retraite particulier, un « régime spécial » aux avantages non négligeables : calculé sur les six derniers mois d’activités (contre les 25 meilleures années dans le privé) il autorise les salariés à partir à la retraite dès 50 ans. Bien que les syndicats expliquent - avec raison que partir à la retraite à 50 ans ne permet pas d’avoir une retraite décente, l’IFRAP note de son côté qu’en 2005, les trois quarts des salariés de la SNCT de 55 ans sont à la retraite, contre 0 % dans le privé.

La radicalisation, symptôme de la déliquescence

Il y a déjà un moment que les syndicats ont perdu la bataille de l’image, en plus de celle de la représentativité. Honnis par les usagers des transports en commun, les centrales syndicales ont fait de la SNCF un des derniers bastions de l’expression des intérêts corporatistes. De manière générale, les syndicats, bien que ne représentant plus que 8% des salariés au mieux, continuent de disposer d’un pouvoir exorbitant : partenaires sociaux de référence, ils interviennent ou sont consultés dans tous les dossiers touchant de près ou de loin les conditions des salariés. Il est logique et souhaitable que les salariés disposent d’un acteur susceptible de le représenter, mais pourquoi les syndicats devraient-ils décider au nom des 92 % de salariés qui refusent de s’encarter ?

Le droit de grève n’est pas contestable dans son principe, mais le droit des usagers et salariés à pouvoir se déplacer non plus. Ne faudrait-il pas du coup envisager à nouveau l’instauration d’un service minimum ? Les syndicats y voient une atteinte au droit de grève. Certes, cela affaiblirait très certainement la portée et la médiatisation des actions syndicales dans les transports. Mais cela aurait surtout l’avantage de ne pas pénaliser ceux qui ne restent que des spectateurs de la contestation. Le problème n’est pas tant le syndicalisme que la radicalisation de l’action syndicale, emmenée par quelques jusqu’au-boutistes, prêt à tout, y compris la violence, pour imposer les décisions d’une minorité à la majorité. A tous les niveaux, la France a perdu le sens de l’intérêt général.

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