La fin du franc CFA : l’interview-vérité de Loup Viallet.



Publié par Loup Viallet le 16 Octobre 2020



Pourquoi avoir écrit un livre sur la fin du franc CFA ?
 
C’est une question centrale pour une large partie du continent africain et pour les relations entre l’Europe et l’Afrique. Le franc CFA est la monnaie d’un tiers des pays d’Afrique subsaharienne, c’est le socle de deux marchés communs africains, l’UEMOA et la CEMAC. Sa parité fixe avec l’euro facilite les échanges avec les dix-neuf pays européens qui partagent l’euro, mais aussi avec le reste du monde, car c’est une des rares monnaies africaines crédible et convertible dans une monnaie internationale. Elle traverse aujourd’hui une crise de légitimité sans précédent. Des journalistes comme Fanny Pigeaud (Mediapart), des hommes politiques comme Jean-Luc Mélenchon ou Laurent Gbagbo, des économistes comme Kako Nubukpo ou Jacques Sapir ont contribué à l’assimiler à une plaie, à un handicap pour l’Afrique. Il m’a semblé nécessaire d’apporter un éclairage complet et pluridisciplinaire sur cette question.
 
La littérature sur le sujet semble assez foisonnante. Quel est l’apport de votre ouvrage ?
 
Les derniers livres qui sont parus sur la question se ressemblent tous énormément et ne vont que dans un seul et même sens. Ils cherchent à démontrer que le franc CFA serait une monnaie néocoloniale, un instrument de spoliation des pays africains au service de la France, quitte à tordre les faits, à confondre les époques ou à oublier des changements majeurs. J’ai simplement voulu confronter leurs thèses à la réalité. Le résultat déconstruit le discours dominant sur les relations franco-africaines.
 
Les pays africains sont-ils contraints de garder cette monnaie ?  
 
Pas du tout. La sortie du franc CFA est prévue dans les traités de coopération monétaire, les pays africains sont donc libres de quitter cette monnaie à tout moment. Dans le passé, c’est un choix qui a été fait par la Mauritanie, par la Guinée-Conakry ou par Madagascar, qui sont sortis de la zone franc sans jamais y retourner. Il y a aussi le Mali, qui a choisi de réadhérer à la zone franc après l’avoir quittée. Depuis soixante ans la majorité des pays africains ont choisi de renouveler régulièrement leur adhésion au franc CFA. Ces dernières années, la qualité de cette monnaie a même suscité l’adhésion de deux pays qui sont étrangers à l’histoire coloniale de la France : la Guinée-Bissau et la Guinée équatoriale. Laurent Gbagbo, qui a critiqué cette monnaie après sa présidence, a lui-même reconduit en 2010, lorsqu’il était président de la République, l’adhésion de la Côte d’Ivoire au système de la zone franc. Quant au président du Tchad, qui a qualifié le franc CFA de monnaie coloniale en 2015, il est toujours en exercice et n’a jamais cherché à dénoncer juridiquement les accords de coopération monétaire alors qu’il en a toujours la possibilité. Il est vrai que cette déclaration l’a rendu populaire auprès de certains électorats : c’était pratique d’utiliser cette monnaie comme bouc émissaire pour ne pas avoir à assumer ses échecs économiques auprès de son peuple. Théoriquement il aurait pu être expulsé du franc CFA par les chefs d’États et de gouvernement de la zone franc. Mais l’instabilité financière qu’une telle décision produirait au Tchad déstabiliserait toute la sous-région et au-delà. C’est un calcul explosif.
 
Que provoquerait la fin du franc CFA ?
 
La fin du franc CFA, si elle s’accompagne d’une rupture de la coopération monétaire avec la France, signerait la soumission totale du continent africain au dollar américain, qui polarise déjà la politique monétaire de la majorité des pays d’Afrique. Qu’importe le nom donné à la future monnaie ou aux futures monnaies destinées à remplacer le franc CFA : gagées sur les finances publiques fragiles des pays africains et non plus sur celles de l’État français, ces monnaies de remplacement rejoindraient la cohorte des petites monnaies africaines, qui sont pour la plupart inconvertibles et ultra-instables. La fin de la parité fixe avec l’euro favoriserait le repli des investissements et des implantations d’entreprises de toute l’Europe, mais renforcerait le contrôle économique de la Chine, de l’Inde, de la Russie et de la Turquie dans les pays de la zone franc. Enfin, la fin du franc CFA ferait éclater la construction deux marchés communs africains, qui sont parmi les plus dynamiques du continent : l’UEMOA et la CEMAC. Le franc CFA est une monnaie stable, crédible, attractive grâce à la garantie de la France et aux politiques mises en œuvre par les gouvernements africains. Si elle tombe, les pays africains n’auront plus aucun moyen de sortir de l’économie de rente ou de lutter contre la désindustrialisation chinoise. Le chaos économique des pays de la zone franc n’est dans l’intérêt ni de leurs voisins ni de l’Europe, seul continent à subir les conséquences directes des faiblesses africaines. Mais il ferait les affaires de toutes les puissances lointaines pour qui le désordre africain n’est pas un risque sécuritaire, mais une bonne affaire. Celles seraient les premières menacées par l’émergence économique de l’UEMOA et de la CEMAC et qui voudraient s’en servir comme vassaux et comme réservoirs de matières premières : la Chine, la Russie, les États-Unis, la Turquie, entre autres …
 
Que préconisez-vous ?
 
De la clarté, d’abord. Que chacun discerne bien les enjeux économiques et géopolitiques qui sont au cœur de la question du franc CFA. Pour cela il faut prendre cette question au sérieux et cesser de lui appliquer une grille de lecture idéologique : cette monnaie n’est ni l’arme de la Françafrique ni un outil colonial. La coopération de la France est sous la tutelle des institutions européennes, elle n’encadre aucun monopole politique ou économique et les banques centrales africaines n’ont jamais eu une aussi forte autonomie. La situation a bien changé depuis soixante ans.
 
Ensuite, que la France et les pays africains prennent leurs responsabilités. La garantie financière française qu’apporte la coopération monétaire aux États africains ne doit pas les conduire à laisser leurs économies se reposer sur leurs rentes, à contracter des déficits monumentaux avec le monde entier comme actuellement, ni à prendre du retard sur les critères de convergence et les politiques communes desquelles dépend la réussite de leurs marchés communs. Jusqu’a aujourd’hui la plupart de ces critères n’ont pas été respectés, leurs politiques commerciales sont éclatées, leurs politiques fiscales communes sont inexistantes et l’ambition de leurs programmes régionaux a reculé. Ce système-là est à bout de souffle. Il faudra soit assumer les conséquences d’une rupture qui accroîtrait la dépendance extérieure et la fragilité du grand-voisinage de l’Europe. Soit refonder cette coopération en clarifiant ses objectifs en modifiant son fonctionnement et en élargissant le périmètre de ses garants et de ses bénéficiaires ainsi que je le développe dans l’ouvrage.


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