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La Russie veut des « garanties internationales de sécurité juridique » qui excluent « un nouveau mouvement de l’OTAN vers l’Est », a déclaré le président Vladimir Poutine dans un communiqué publié mi-décembre 2021 par le Kremlin, qui souligne « l’importance d’entamer immédiatement des pourparlers avec les États-Unis et l’OTAN ». Le changement de ton de la Russie par rapport aux années précédentes exerce ainsi une pression croissante sur la politique étrangère et de sécurité de la Finlande.
Cette déclaration intervient après que le président Poutine ait eu une conversation téléphonique avec le président finlandais Sauli Niinistö au sujet de la crise ukrainienne le 14 décembre 2021.
Alors que la Russie s’est dans le passé toujours opposée à ce que des États qui bordent son territoire deviennent membres de l’OTAN, elle a alors également déclaré qu’il appartenait à la Finlande de décider si elle souhaitait rejoindre l’alliance militaire et que la Russie respecterait le résultat d’une telle décision. Désormais, il semble que le Kremlin tente de revenir en arrière et essaie de rétablir des sphères d’influence en Europe.
Et même si, bien entendu, la Russie n’a pas le droit de spécifier les solutions de la politique de sécurité et de défense de la Finlande (ou de tout autre pays), ses actions et ses avis en la matière ont toujours un impact significatif sur l’environnement étranger, sécuritaire et militaire finlandais, tant du point de vue de la prise de décision que de l’opinion publique.
Pour la Finlande, les orientations de politique étrangère et de sécurité ont été énoncées pour la dernière fois dans un rapport gouvernemental sur la défense en date du 9 septembre 2021. Selon ce rapport, « le maintien de la marge de manœuvre nationale et de la liberté de choix font également partie intégrante de la politique étrangère, de sécurité et de défense de la Finlande. Celle-ci conserve la possibilité de rejoindre une alliance militaire et de demander à devenir membre de l’OTAN. »
La classe politique finlandaise est divisée sur la question, de même que l’opinion publique. Certains estiment que la « neutralité » finlandaise a garanti la stabilité et le développement du pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, cependant que d’autres considèrent que, compte tenu des incertitudes politiques du grand voisin oriental, il importe d’entrer dans une alliance qui protégerait le pays en cas d’invasion ou de guerre hybride.
Au cours des trois dernières décennies, un débat animé a en effet eu lieu sur la possible adhésion de la Finlande à l’OTAN, même si la ligne officielle du pays est que le non-alignement militaire sert au mieux les intérêts de sécurité de la Finlande. Cependant, dans les différentes déclarations officielles, l’adhésion à l’OTAN est présentée comme une « option » qui ne peut être ignorée.
En 2001, le Livre blanc du gouvernement finlandais sur la politique de sécurité et de défense affirme que les changements amorcés par la fin de la guerre froide sur la situation de la politique de sécurité en Europe sont profonds et permanents, ce qui signifie que la menace d’un vaste conflit militaire en Europe reste faible, surtout dans la région de la Baltique, où les facteurs militaires et la confrontation militaire ne sont plus autant au premier plan qu’elles l’étaient pendant la guerre froide.
Cependant, ce Livre blanc indique également qu’en dépit de l’évolution globalement positive, il existe des facteurs d’incertitude en Europe et en dehors qui affectent la sécurité de la Finlande et de ses citoyens, qui doivent être pris en considération dans la politique de sécurité du pays, par exemple la propagation des armes de destruction massive, la propagation incontrôlée et l’utilisation d’armes légères, l’augmentation de l’activité criminelle internationale, le terrorisme, la sécurité des télécommunications et divers facteurs de menace qui font traditionnellement partie de la gestion civile des crises.
Naturellement, le Livre blanc de 2001 ne fait pas référence à la Russie en tant que pays source d’une hypothétique menace multiforme, mais il précise cependant que la Russie maintient une importante force militaire prête dans le district militaire de Leningrad qui couvre la péninsule de Kola et la région de Saint-Pétersbourg, et que les objectifs de la Russie en Europe du Nord sont avant tout liés à son opposition à l’élargissement de l’OTAN, au maintien d’une dissuasion nucléaire stratégique et à la protection de la région de Saint-Pétersbourg et de la route commerciale de la mer Baltique. Le Livre blanc mentionne en outre que, dans le cadre de la planification de sa politique de sécurité et de défense, la Finlande doit également se préparer à un développement défavorable à l’Est.
En 2001, la planification de la politique de sécurité et de défense de la Finlande est basée sur la logique de « préparation pour le pire ». Cette logique, qui est liée à la sécurité militaire et à la menace d’une guerre en Europe du Nord, est concrètement visible dans les solutions de défense finlandaises et se reflète également dans les activités internationales du pays. Ceci explique, par exemple, pourquoi la Finlande a refusé jusqu’alors de signer le Traité FCE/CFE restreignant l’utilisation des armes conventionnelles, en raison de ses exigences en matière d’échanges d’informations et de vérifications, ou bien le Traité d’Ottawa interdisant les mines antipersonnel, car supprimer les mines à sa frontière orientale ou les remplacer affaiblirait sa défense.
Les solutions de la Finlande pour se protéger et améliorer sa sécurité sont alors une défense crédible (basés sur les concepts ci-dessus), le non-alignement militaire, l’adhésion à l’Union européenne (depuis 1995) et, vis-à-vis de l’OTAN, une coopération opérationnelle et une option maintenue, mais non utilisée d’adhésion.
Après 2001, les changements internationaux et l’évolution politique en Russie laissent accroire eux États européens qu’une ère de relations apaisées se prépare entre la Russie et les États-Unis d’une part, entre la Russie et les pays voisins d’autre part. Ainsi, en 2012, la présidente finlandaise sociale-démocrate Tarja Halonen décide que la Finlande doit signer le traité d’Ottawa sur les mines antipersonnel, ce qui suscite de nombreuses réactions en Finlande, de nombreux politiques, experts et citoyens y voyant un affaiblissement dangereux de la défense nationale sur son front oriental.
Aujourd’hui, en 2021, la Russie est bel et bien de retour sur la scène internationale et européenne et entend le faire savoir. Les tensions aux frontières de l’Ukraine et les risques de conflit, hybride ou militaire, en sont l’illustration la plus évidente.
Que souhaite la Finlande ? Quelles sont ses options ?
Il existe évidemment pour la Finlande de nombreuses raisons de s’opposer ou de soutenir une adhésion à l’OTAN qui ne sont pas directement liés à la Russie. L’opposition à une adhésion finlandaise peut être le résultat de l’opposition à l’OTAN en général ou à la politique actuelle des États-Unis et à une réticence à participer dans des actions qui sont perçues comme servant principalement les intérêts américains. Une adhésion à l’OTAN peut également être considérée par la Finlande comme une option trop coûteuse, qui n’est généralement pas nécessaire dans la situation actuelle, où de nombreuses menaces non militaires sont considérées comme plus importantes. L’OTAN est par ailleurs aussi présentée comme une organisation dont l’importance diminue dans une perspective finlandaise, voire même européenne lorsque l’attention de la politique mondiale s’est déplacée loin de l’Europe.
Mais, d’un autre côté, les déclarations en faveur de l’adhésion de la Finlande à l’OTAN sont souvent liées à l’idée selon laquelle la Finlande doit être représentée là où les décisions importantes pour sa politique étrangère et de sécurité sont prises - plutôt que de simplement s’adapter aux décisions faites par d’autres, ou simplement en exploitant les bénéfices collectifs apportés par l’OTAN à la sécurité européenne. Dans cette optique, l’OTAN est une organisation qui s’agrandit, se modernise, opère au sein d’un concept de sécurité qui s’étend et se renforce comme organisation clé de la sécurité en Europe, tout en évitant qu’un fossé politique et stratégique ne se creuse entre les États-Unis et l’Union européenne.
De ce point de vue, bien que dans une situation géographique et stratégique différente, la Finlande est, comme la France, devant un choix difficile vis-à-vis de l’OTAN.
Lors de l’entretien téléphonique du 14 décembre entre les présidents Niinistö et Poutine, le président finlandais a exprimé sa grave préoccupation face à la situation tendue en Ukraine et a souligné la nécessité de trouver une solution diplomatique à celle-ci. Le président Niinistö a également souligné que la Finlande a une politique étrangère et de sécurité stable, comme indiqué dans les rapports du gouvernement finlandais. Il a enfin poursuivi la discussion sur la nécessité de préserver « l’esprit d’Helsinki » (OSCE, accords de 1975) ce qui pourrait être une option intéressante pour la suite des événements et pour mieux encadrer les initiatives futures de la Russie.
Pour mémoire, la Finlande a annoncé au début du mois de décembre 2021 l’achat, pour 8,4 milliards d’euros, de 64 F-35 Américains pour renouveler son parc d’avions de chasse. Si vis pacem…
Pour finir, il est intéressant de noter que, dans le communiqué russe cité plus haut, l’Union européenne n’est pas même mentionnée. L’Europe, quel numéro de téléphone se demandait Kissinger dans les années 70, apparemment, le président Poutine se pose aujourd’hui la même question…
Christophe Le Villain
Cette déclaration intervient après que le président Poutine ait eu une conversation téléphonique avec le président finlandais Sauli Niinistö au sujet de la crise ukrainienne le 14 décembre 2021.
Alors que la Russie s’est dans le passé toujours opposée à ce que des États qui bordent son territoire deviennent membres de l’OTAN, elle a alors également déclaré qu’il appartenait à la Finlande de décider si elle souhaitait rejoindre l’alliance militaire et que la Russie respecterait le résultat d’une telle décision. Désormais, il semble que le Kremlin tente de revenir en arrière et essaie de rétablir des sphères d’influence en Europe.
Et même si, bien entendu, la Russie n’a pas le droit de spécifier les solutions de la politique de sécurité et de défense de la Finlande (ou de tout autre pays), ses actions et ses avis en la matière ont toujours un impact significatif sur l’environnement étranger, sécuritaire et militaire finlandais, tant du point de vue de la prise de décision que de l’opinion publique.
Pour la Finlande, les orientations de politique étrangère et de sécurité ont été énoncées pour la dernière fois dans un rapport gouvernemental sur la défense en date du 9 septembre 2021. Selon ce rapport, « le maintien de la marge de manœuvre nationale et de la liberté de choix font également partie intégrante de la politique étrangère, de sécurité et de défense de la Finlande. Celle-ci conserve la possibilité de rejoindre une alliance militaire et de demander à devenir membre de l’OTAN. »
La classe politique finlandaise est divisée sur la question, de même que l’opinion publique. Certains estiment que la « neutralité » finlandaise a garanti la stabilité et le développement du pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, cependant que d’autres considèrent que, compte tenu des incertitudes politiques du grand voisin oriental, il importe d’entrer dans une alliance qui protégerait le pays en cas d’invasion ou de guerre hybride.
Au cours des trois dernières décennies, un débat animé a en effet eu lieu sur la possible adhésion de la Finlande à l’OTAN, même si la ligne officielle du pays est que le non-alignement militaire sert au mieux les intérêts de sécurité de la Finlande. Cependant, dans les différentes déclarations officielles, l’adhésion à l’OTAN est présentée comme une « option » qui ne peut être ignorée.
En 2001, le Livre blanc du gouvernement finlandais sur la politique de sécurité et de défense affirme que les changements amorcés par la fin de la guerre froide sur la situation de la politique de sécurité en Europe sont profonds et permanents, ce qui signifie que la menace d’un vaste conflit militaire en Europe reste faible, surtout dans la région de la Baltique, où les facteurs militaires et la confrontation militaire ne sont plus autant au premier plan qu’elles l’étaient pendant la guerre froide.
Cependant, ce Livre blanc indique également qu’en dépit de l’évolution globalement positive, il existe des facteurs d’incertitude en Europe et en dehors qui affectent la sécurité de la Finlande et de ses citoyens, qui doivent être pris en considération dans la politique de sécurité du pays, par exemple la propagation des armes de destruction massive, la propagation incontrôlée et l’utilisation d’armes légères, l’augmentation de l’activité criminelle internationale, le terrorisme, la sécurité des télécommunications et divers facteurs de menace qui font traditionnellement partie de la gestion civile des crises.
Naturellement, le Livre blanc de 2001 ne fait pas référence à la Russie en tant que pays source d’une hypothétique menace multiforme, mais il précise cependant que la Russie maintient une importante force militaire prête dans le district militaire de Leningrad qui couvre la péninsule de Kola et la région de Saint-Pétersbourg, et que les objectifs de la Russie en Europe du Nord sont avant tout liés à son opposition à l’élargissement de l’OTAN, au maintien d’une dissuasion nucléaire stratégique et à la protection de la région de Saint-Pétersbourg et de la route commerciale de la mer Baltique. Le Livre blanc mentionne en outre que, dans le cadre de la planification de sa politique de sécurité et de défense, la Finlande doit également se préparer à un développement défavorable à l’Est.
En 2001, la planification de la politique de sécurité et de défense de la Finlande est basée sur la logique de « préparation pour le pire ». Cette logique, qui est liée à la sécurité militaire et à la menace d’une guerre en Europe du Nord, est concrètement visible dans les solutions de défense finlandaises et se reflète également dans les activités internationales du pays. Ceci explique, par exemple, pourquoi la Finlande a refusé jusqu’alors de signer le Traité FCE/CFE restreignant l’utilisation des armes conventionnelles, en raison de ses exigences en matière d’échanges d’informations et de vérifications, ou bien le Traité d’Ottawa interdisant les mines antipersonnel, car supprimer les mines à sa frontière orientale ou les remplacer affaiblirait sa défense.
Les solutions de la Finlande pour se protéger et améliorer sa sécurité sont alors une défense crédible (basés sur les concepts ci-dessus), le non-alignement militaire, l’adhésion à l’Union européenne (depuis 1995) et, vis-à-vis de l’OTAN, une coopération opérationnelle et une option maintenue, mais non utilisée d’adhésion.
Après 2001, les changements internationaux et l’évolution politique en Russie laissent accroire eux États européens qu’une ère de relations apaisées se prépare entre la Russie et les États-Unis d’une part, entre la Russie et les pays voisins d’autre part. Ainsi, en 2012, la présidente finlandaise sociale-démocrate Tarja Halonen décide que la Finlande doit signer le traité d’Ottawa sur les mines antipersonnel, ce qui suscite de nombreuses réactions en Finlande, de nombreux politiques, experts et citoyens y voyant un affaiblissement dangereux de la défense nationale sur son front oriental.
Aujourd’hui, en 2021, la Russie est bel et bien de retour sur la scène internationale et européenne et entend le faire savoir. Les tensions aux frontières de l’Ukraine et les risques de conflit, hybride ou militaire, en sont l’illustration la plus évidente.
Que souhaite la Finlande ? Quelles sont ses options ?
Il existe évidemment pour la Finlande de nombreuses raisons de s’opposer ou de soutenir une adhésion à l’OTAN qui ne sont pas directement liés à la Russie. L’opposition à une adhésion finlandaise peut être le résultat de l’opposition à l’OTAN en général ou à la politique actuelle des États-Unis et à une réticence à participer dans des actions qui sont perçues comme servant principalement les intérêts américains. Une adhésion à l’OTAN peut également être considérée par la Finlande comme une option trop coûteuse, qui n’est généralement pas nécessaire dans la situation actuelle, où de nombreuses menaces non militaires sont considérées comme plus importantes. L’OTAN est par ailleurs aussi présentée comme une organisation dont l’importance diminue dans une perspective finlandaise, voire même européenne lorsque l’attention de la politique mondiale s’est déplacée loin de l’Europe.
Mais, d’un autre côté, les déclarations en faveur de l’adhésion de la Finlande à l’OTAN sont souvent liées à l’idée selon laquelle la Finlande doit être représentée là où les décisions importantes pour sa politique étrangère et de sécurité sont prises - plutôt que de simplement s’adapter aux décisions faites par d’autres, ou simplement en exploitant les bénéfices collectifs apportés par l’OTAN à la sécurité européenne. Dans cette optique, l’OTAN est une organisation qui s’agrandit, se modernise, opère au sein d’un concept de sécurité qui s’étend et se renforce comme organisation clé de la sécurité en Europe, tout en évitant qu’un fossé politique et stratégique ne se creuse entre les États-Unis et l’Union européenne.
De ce point de vue, bien que dans une situation géographique et stratégique différente, la Finlande est, comme la France, devant un choix difficile vis-à-vis de l’OTAN.
Lors de l’entretien téléphonique du 14 décembre entre les présidents Niinistö et Poutine, le président finlandais a exprimé sa grave préoccupation face à la situation tendue en Ukraine et a souligné la nécessité de trouver une solution diplomatique à celle-ci. Le président Niinistö a également souligné que la Finlande a une politique étrangère et de sécurité stable, comme indiqué dans les rapports du gouvernement finlandais. Il a enfin poursuivi la discussion sur la nécessité de préserver « l’esprit d’Helsinki » (OSCE, accords de 1975) ce qui pourrait être une option intéressante pour la suite des événements et pour mieux encadrer les initiatives futures de la Russie.
Pour mémoire, la Finlande a annoncé au début du mois de décembre 2021 l’achat, pour 8,4 milliards d’euros, de 64 F-35 Américains pour renouveler son parc d’avions de chasse. Si vis pacem…
Pour finir, il est intéressant de noter que, dans le communiqué russe cité plus haut, l’Union européenne n’est pas même mentionnée. L’Europe, quel numéro de téléphone se demandait Kissinger dans les années 70, apparemment, le président Poutine se pose aujourd’hui la même question…
Christophe Le Villain