Guérillas en Amérique Latine et Diplomatie, l'opinion de Thomas Péan



Publié par Lauria Zenou le 2 Avril 2021

Diplômé de la Sorbonne en Relations internationales, Thomas Péan est également spécialiste de l'Amérique Latine. Passionné par les enjeux de pouvoir dans cette zone géographique, il décrypte les guérillas qui ont bouleversé la région entre 1959 et 1989. Dans son ouvrage "Guérillas en Amérique Latine", publié chez VA Editions, il part de la guérilla castriste à Cuba et nous emmène jusqu'à l'arrivée des forces armées américaines au Panama de Manuel Noriega en 1989.
Il a accepté de répondre à nos questions. Alors faut-il "Faire, accomplir ou défaire la Révolution" ?



Vous pouvez également écouter le podcast sur Cuba, la plus emblématique des guérillas !


Jean-Pierre Ferro, auteur de votre préface, estime que Cuba est le patriarche des guérillas latino-américaines. Sans Cuba, pas de guérilla ?

Disons que le régime castriste a un rôle majeur dans la formation, le développement et l’évolution des mouvements révolutionnaires locaux. La Révolution cubaine produit un choc chez la gauche radicale qui considère le régime de Fidel Castro comme la preuve d’une réussite possible de la Révolution.
 
Durant les trois décennies suivantes, le régime cubain continue d’influencer les guérillas à travers le modèle de lutte armée issue de la guérilla du M26 (1956-1959). Par le foquisme, le guévarisme ou le castrisme, de nombreux mouvements révolutionnaires en Colombie, au Honduras, au Pérou, en Équateur ou au Brésil tentent également d’établir un régime révolutionnaire.
 
D’un autre côté, on assiste à un déploiement de l’action extérieure du régime castriste en faveur de la Révolution en Amérique latine. Le régime des Castro se montre ainsi solidaire des régimes de gauche radicale au Chili (1970-1973) et au Nicaragua (1979-1989). Durant le mandat présidentiel de Joao Goulart au Brésil (1961-1964), le régime castriste entame un rapprochement avec Brasilia.
 
Cette action diplomatique s’accompagne d’un soutien logistique aux mouvements révolutionnaires armés dans la région. Le régime cubain accueille des membres du MIR chilien et des Montoneros argentins en exil dans les années 1970. Il apporte un appui logistique aux FALN (Venezuela), au MIR (Chili), au MPL (Honduras) ainsi qu’à plusieurs organisations argentines. L’interventionnisme du régime cubain se traduit également par la constitution d’un « maquis » en Bolivie entre 1966 et 1967.
 
Ainsi, entre influence et action directe, le régime cubain demeure un acteur majeur du paysage révolutionnaire latino-américain entre 1959 et 1989.

Pensez-vous que le risque sécuritaire qui est automatiquement associé aux guérillas soit un poids diplomatique ?

Les guérillas constituent en effet généralement un risque sécuritaire réel dans les pays où elles se développent et agissent étant donné leur modalité d’action et leur raison d’être. Par la lutte armée, ces organisations sont censées renverser l’ordre politique et institutionnel en place pour établir un régime révolutionnaire.
 
Cela a donc un impact dans les pays concernés et dans les relations entre ces derniers et les acteurs internationaux. Les conflits armés ou les ruptures institutionnelles (dictatures, autoritarisme ou régime révolutionnaire) sont autant de causes qui peuvent conduire à des changements dans les relations internationales.
 
Le conflit armé colombien dans les années 1980 ou la guerre civile au Salvador à la même époque contribuent ainsi à compliquer les relations entre ces pays et l’étranger.
 

Existe-t-il une forme de revendication politique de l’identité, un nationalisme d’Amérique latine ?

Par nationalisme d’Amérique latine, on peut faire référence à deux concepts distincts ; le nationalisme en Amérique latine et le nationalisme lié aux projets d’union bolivarienne.
 
Dans le cas du premier, on peut considérer que les différents idées, idéologies et mouvements apparus au 20e siècle en Amérique latine sont le produit d’une interaction complexe entre Révolution et Nation. Ainsi, le projet national ne se cantonne pas aux milieux de droite, conservateurs ou radicaux, mais émerge également dans les rangs de la gauche locale. Le péronisme, en Argentine, ou le varguisme au Brésil, tentent également de répondre aux défis de l’enjeu national. Chez les guérillas révolutionnaires, l’enjeu national est également parfois présent. Malgré ses évolutions postérieures, le M19 colombien correspond à une forme d’engagement lié au nationalisme révolutionnaire. Chez les guérillas péronistes (Montoneros, FAP), la lutte armée se fait en associant souvent Révolution et Nation.
 
D’un autre côté, la volonté d’union bolivarienne, c’est-à-dire d’un rapprochement entre les pays latino-américains se poursuit durant cette période. Au Venezuela, la pensée de Marcos Pérez Jimenez (1952-1958) envisage la construction d’un rapprochement concret avec les pays voisins. Chez les guérillas urbaines du Cône Sud, l’existence éphémère de la Junte de Coordination Révolutionnaire (JCR, 1973-1976) démontre la permanence du projet bolivarien. Après 1990, on assiste à un redéploiement des projets d’union commerciale et douanière : Alliance du Pacifique, Mercosur, SICA, CAN.

Pensez-vous que les guérillas des années 70 aient une vraie influence sur le monde d’aujourd’hui ou bien ne sont-elles cantonnées à la zone latino-américaine ?

Les mouvements contestataires de 1968 atteignent le Mexique, l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Chili et se traduisent par une agitation urbaine liée aux milieux étudiants et syndicaux radicaux. À partir de 1969-1970, ces vagues de contestation se radicalisent et évoluent vers des formes de lutte armée urbaine.
 
La LC23S (Mexique), les Tupamaros (Uruguay), le MIR, la VOP (Chili) ainsi que les différentes organisations brésiliennes (MR-8 et ALN) mènent une lutte radicale contre les autorités en place ou s’associent aux nouvelles autorités (MIR). D’une façon générale, ce contexte d’agitation prend le nom « d’années de plomb » étant donné le caractère omniprésent de violence.
 
L’activité révolutionnaire de ces groupes urbains s’est en réalité traduite par une dégradation de la situation nationale, sécuritaire, institutionnelle et politique. Dans certains cas, leur lutte armée a contribué à une polarisation radicale de la vie politique et à l’établissement de régimes contre-révolutionnaire notamment en Argentine ou en Uruguay.
 
À plusieurs égards, la « gauche armée » semble avoir perdu au profit de la « gauche culturelle ». La lutte armée des années 1970 a conduit à une polarisation politique locale et à une mobilisation des secteurs contre-révolutionnaires. À l’inverse, la « gauche culturelle » également issue des mouvements de 1968 a mené ou poursuivi une révolution des mœurs. Ce processus plus lent et diffus a contribué à l’émergence de nouveaux acteurs (minorités) ainsi qu’à d’importants changements sociaux, économiques, culturels, politiques et sociétaux.

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