"Etre ensemble ou ne pas être ensemble" : où en-est le Brexit ?



Publié par Noémie Monti le 4 Février 2016

Alors que le référendum concernant un éventuel "Brexit" se profile à l’horizon, l’euroscepticisme outre-manche n’a jamais eu de tels airs de réalité. L’issue du vote est ainsi de plus en plus incertaine. Et c’est ce qui amenait Bruxelles à soumettre ses propositions à David Cameron ce mardi 2 février. Un préaccord semble avoir été trouvé bien que le Premier Ministre estime qu’il « y a encore du travail à faire ». (1) Petite mise à jour.



Londres réclame… 

Continuer dans une Europe forte et réformée. C’est ce que veut David Cameron, et ce depuis déjà un moment. Le Premier Ministre britannique rencontrait ce mardi le Président du Conseil Européen Donald Tusk qui devait lui soumettre des propositions, convaincant ce dernier de rester dans l’Union. Mais avant toute chose, rappelons ce que demandait Londres.

La Grande Bretagne souhaite de nouvelles garanties de souveraineté économique et politique ainsi que la libre concurrence sur tous les biens au sein des états membres. Le pays souhaite de plus être exempté de « l’engagement de construire « une union toujours plus étroite » ». (2) Les britanniques s’opposent ainsi à une intégration toujours plus poussée dans l’Union. Et le contexte géopolitique actuel amène Londres à poser une nouvelle condition, portant cette fois sur un contrôle des flux migratoires. Comment ? En supprimant le versement de certaines aides sociales aux migrants résidant sur le territoire anglais depuis moins de quatre ans. Un stratagème qui permettrait de diminuer les flux d’immigration de travailleurs en provenance de l’Est de l’Europe notamment. Des réformes donc multiformes sans lesquelles Londres menace de quitter définitivement l’espace communautaire, remodelant ainsi profondément l’UE telle que nous la connaissons.

Bien que le « Brexit » ait basculé de la menace à la réalité, les difficultés économiques et la crise migratoire actuelle n’ont finalement joué qu’un rôle d’accélérateur. Car l’euroscepticisme a bel et bien des racines profondes en Grande-Bretagne. L’opinion publique est véritablement divisée sur cette question. Le problème est que les fervents défenseurs du « Oui » et ceux du « Non » constituent deux camps quasiment égaux. Doit-on considérer l’euroscepticisme comme une spécificité britannique ? Sans aller si loin, il ne serait cependant pas faux de le considérer comme un signe de différenciation en comparaison aux autres états membres… Alors qu’en France une grande partie de la population se sent européenne, on se retrouve outre-manche face à une population dont la majeure partie se sent avant tout britannique. Le référendum ne fait que remettre au premier plan un sentiment latent.

Les Etats membres semblent déterminés à convaincre Londres de rester dans l’Union, mais à quel prix ? Retour sur les propositions du préaccord.  

… Bruxelles répond 

Londres ayant affirmé sa position, c’était désormais à l’UE de faire de même. Et les négociations ont, sans véritable surprise, tourné en la faveur des Britanniques. David Cameron semble avoir habilement joué sur cette peur de l’Union de perdre l’un de ses membres les plus anciens…

Ce mardi, Bruxelles a tenté de répondre à Londres point par point et David Cameron semblait satisfait à l’issue de l’entrevue. Comme le résume David Lidington, secrétaire britannique chargé des affaires européennes, « il semble qu’un accord soit en vue » mais « il y a encore beaucoup de travail à faire avant que nous puissions dire qu’un accord satisfaisant est assuré ». (2) Mais quelles sont les propositions faites par Donald Tusk ?

A la question de l’approfondissement de l’intégration, le texte prévoit que le Royaume-Uni, « « à la lumière de sa situation spécifique », n’est « pas engagé à une intégration plus poussée » dans l’Union. » (2) Ceci s’appuie sur l’idée que les états membres peuvent « suivre des chemins différents d’intégration. » Le texte prévoit également d’accorder de nouveaux droits aux parlements nationaux.
Mais les deux points peut-être les plus sensibles de ce texte sont d’une part, un mécanisme « spécial Grande-Bretagne » pour donner des garanties à la City que son activité ne sera pas atteinte par des décisions établies entre pays de la zone euro. Alors que Londres réclamait initialement la reconnaissance d’une Union à plusieurs monnaies, le préaccord rappelle qu’une telle initiative serait finalement à l’encontre du projet d’Union économique porté par l’espace communautaire. Ceci étant, le texte fait une sorte de « tour de passe-passe » en déclarant que les pays hors-zone euro ne peuvent nuire à l’approfondissement de celle-ci, tout en spécifiant que de leur coté, les pays de la zone ont l’impératif de « respecter les droits et compétences » des autres. (2) Quel est donc ce nouveau mécanisme ? C’est un mécanisme permettant à Londres « de contester les décisions de la zone euro qu’il juge contraire à ses intérêts. » Une sorte donc de droit de véto qui inquiète malgré tout, bien que Donald Tusk assure que cela ne soit pas le cas et que cette disposition « « ne pourra retarder des décisions urgentes » en cas de crise financière » par exemple. (2)

Le dernier point traité était celui de l’épineuse question d’un contrôle des flux migratoires. La demande initiale de David Cameron a ainsi été rejetée par les autres états membres au motif qu’elle serait « discriminatoire ». A la place ? Un « frein d’urgence » ou « mécanisme de sauvegarde » serait mis en place pour l’ensemble des pays de l’UE. Ce « mécanisme aboutirait à suspendre les allocations des Européens expatriés, dans le cas où ces Etats prouveraient que leurs services publics subissent une pression exceptionnelle du fait des arrivées ». (2) Mais ce frein pose des questions : quelle instance serait compétente à autoriser son application, pour combien de temps et à quelles conditions ?

Un compromis a donc été trouvé. Soit. Mais celui-ci semble malgré tout aller en grande partie dans le sens de Londres (bien que la presse Outre-Manche ne soit pas de cet avis). La question du « Brexit » reflète un problème réel mais ce problème est-il un problème britannique, ou européen ?

Brexit ou pas, peut-on encore parler d’Union ?

Le projet communautaire d’union économique, politique et sociale tel qu’il avait été pensé semble aujourd’hui bien loin de sa genèse. Comment peut-on prétendre faire partie d’un tout, d’une communauté, lorsque l’on en rejette les principes fondateurs ? A force d’exceptions, et cela même si le Brexit n’aboutit pas, peut-on encore parler du Royaume-Uni comme un état membre d’un tout ?

David Cameron a réussi à imposer bon nombre de ses volontés, bien que l’accord doive être confirmé lors du dîner des chefs d’état les 18 et 19 février prochains. Paris a d’ores et déjà fait connaitre sa position : ces décisions sont jugées avantageuses pour Londres et il n’y aura « pas de nouvelles négociations » affirme le Président François Hollande. (3) Car bien que les états membres soient « favorables à ce que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne », il ne peut y avoir de nouveaux ajustements sans aller à l’encontre des grandes lignes directrices communautaires. (3)

Il y a longtemps de cela, Victor Hugo prophétisait qu’« au XXème siècle il y aura une nation extraordinaire (…) elle s’appellera Europe ». (4) A en voir les évolutions et tensions aujourd’hui, cette idée n’est-elle pas restée simplement au statut de rêve ? On serait en droit de poser la question… Au-delà du Brexit, il reste à savoir si le véritable challenge est finalement de réinventer l’Europe ou alors de la faire revenir aux aspirations  qui en avaient fait, à l’origine, un projet commun.
  http://www.lesechos.fr/monde/europe/021666617497-brexit-cameron-salue-de-reels-progres-dans-les-proposition-de-bruxelles-1197068.php http://www.lemonde.fr/international/article/2016/02/02/brexit-ce-que-contient-l-ebauche-de-compromis-propose-a-david-cameron_4858146_3210.html http://www.europe1.fr/politique/brexit-hollande-ne-veut-pas-de-nouvelles-negociations-2662247 http://ecorev.org/spip.php?article190

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