Éric Vallée, président de SET Environnement : "les risques liés à la dépollution nous obligent à repousser les frontières du professionnalisme"



Publié par Solaine Legault le 3 Septembre 2014

L’amiante est un produit toxique, ce qui signifie que les professionnels chargés du désamiantage sont continuellement exposés. Entre formations, prévention et gestion des risques, le métier se fait sous tension, avec rigueur et précision. Revue de détails et immersion avec SET Environnement et son dirigeant, Éric Vallée.



(Sous licence Creative Commons)

L’amiante est un produit dangereux et vous êtes en première ligne. Quels sont les risques concrets que présente votre activité ?

Le risque premier auquel on pense naturellement est celui qui pourrait peser sur la santé des personnes, parce que nous travaillons sur de l’amiante. Mais compte tenu des équipements et des procédures de sécurité mises en place sur nos chantiers, les principaux risques sont ailleurs. Ils tiennent beaucoup plus aux lieux dans lesquels s’exerce notre activité : industries chimiques, centrales de production énergétique, fonderies, ou même cages d’ascenseurs. Le risque peut être d’origine chimique, thermique, électrique, mécanique… Chacun faisant appel à des mesures spécifiques de sécurité.

Il nous arrive d’intervenir pour enlever l’habillage externe amianté de chaudières de plusieurs dizaines de mètres de haut, sur des échafaudages de même hauteur. Nous sommes également intervenus dans le secteur de la sidérurgie, à proximité de coulées de métal en fusion, dans des gaines d’ascenseurs d’immeuble de 20 ou 30 étages, ou encore dans des unités de chauffage urbain, avec des conditions de température extrêmes. Chaque intervention est unique et les risques de chaque chantier doivent être évalués et intégrés à notre prise en compte de la problématique amiante, en dehors de toute routine ou schéma préétabli. Les risques liés à la dépollution nous obligent à repousser les frontières du professionnalisme.

Pour autant que l’on vienne un jour au bout de l’amiante, vos compétences sont-elles utilisables dans le cas d’autres pollutions ?

La philosophie de notre métier, les méthodes de prévention et de gestion des risques ainsi que notre culture de la sécurité sont transposables à tous les risques, sous condition naturellement de quelques ajustements techniques. Le cœur de notre démarche repose sur la capacité à évaluer les risques et à mettre en œuvre les moyens et les procédures permettant de maitriser ces risques, quel que soit le cas de figure. Notre culture de la sécurité ne repose pas sur un artifice technique ou sur le simple respect de la législation ; c’est une préoccupation permanente et un souci de remise en question constant qui nous permet d’exercer nos compétences dans les meilleures conditions.

La réalité de cette philosophie nous a d’ailleurs permis d’être engagés par le CEA (Commissariat à l’énergie atomique, Ndlr) sur des questions de dépollution radioactive. Parce que nous exercions dans le domaine de l’amiante avec tout le sérieux requis par l’industrie nucléaire, nous n’avons pas rencontré de difficultés particulières à nous plier à l’exercice de la décontamination radioactive.

Les risques sont-ils toujours les mêmes ?

En dehors des risques liés aux conditions de réalisation des chantiers, et concernant plus spécifiquement l’amiante, le risque dépend beaucoup du matériau dans lequel nous détectons de l’amiante. Si l’amiante n’a quasiment jamais été utilisée pure, elle a par contre été très souvent associée à d’autres matériaux pour « transmettre » une partie de ses caractéristiques : il pouvait s’agir d’augmenter la rapidité de séchage pour les ciments, la rigidité, la résistance à la chaleur, à l’abrasion…

Dans des immeubles anciens, vous pouvez trouver des dalles de ragréage réalisée avec de l’amiante, ce qui signifie racler l’intégralité de la dalle jusqu’au béton pour se débarrasser de l’amiante. L’amiante sous forme de flocage – de l’amiante mélangée à de la colle, schématiquement – est probablement le matériau le plus problématique, étant donné sa faible résistance mécanique et sa dégradation rapide dans le temps. On en trouvait par exemple dans les parkings, où un simple coup d’antenne de voiture suffisait à attaquer le matériau et à répandre de la poussière d’amiante.

Comment minimisez-vous l’exposition à ces risques ?

Le principe général est toujours le même : il s’agit de créer une bulle étanche autour du chantier, ce qu’on appelle un confinement. Ce confinement est hermétiquement clos.  Mais au cas où une faille apparaitrait, il est de toute façon maintenu à une pression atmosphérique plus faible que l’air ambiant, de sorte que des échanges d’air fortuits ne puissent se faire que de l’extérieur vers l’intérieur, et jamais l’inverse. Ce confinement et la pression à l’intérieur sont surveillés en permanence : en cas de défaillance d’un système, nous disposons toujours d’un système de secours apte à rendre le relai sans délai. Les allers-retours entre la zone de confinement et l’extérieur se font via des sas, et l’air amené à circuler entre les différentes parties est intégralement filtré.

A l’intérieur de la zone de confinement, le principe est de limiter au maximum l’empoussièrement, par renouvellement d’air permanent, ou humidification des zones de travail par exemple. Comme il ne sera jamais possible via ces seules méthodes de supprimer toute poussière, nos personnels travaillent sous masque respiratoire, et ne respire donc que de l’air filtré.

Comment cela se traduit-il en termes de recrutement et de formation ?

Tous nos salariés sont en CDI. C’est une obligation légale du secteur du désamiantage, mais cela illustre aussi notre volonté d’investir sur la personne sur le long terme. Tout salarié qui nous rejoint passe par une importante période de formation au démarrage de l’activité. En plus de cela, nous suivons tous au sein de l’entreprise un processus de formation continue par la suite, sachant que la réglementation nous impose également de repasser très régulièrement devant les organismes certificateurs. En interne, nous nous sommes dotés d’un service Qualité Sécurité Environnement, qui s’assure du respect des procédures ou de leur mise à jour, en fonction de l’évolution des connaissances scientifiques ou des progrès techniques. Cet investissement conséquent en termes de temps et de personnels participe très efficacement au maintien de notre niveau d’excellence. 

Comment s’exerce le management d’équipes exposées en permanence aux risques de contamination ?

C’est à la fois sur les connaissances et les compétences que reposent la crédibilité du management, en plus d’avoir une préoccupation constante pour les questions de sécurité. Sans considérer cette situation comme acquise, mon personnel est à mon sens bien plus protégé et beaucoup moins exposé que dans nombre d’autres corps de métiers : il dispose à la fois des connaissances et des moyens lui permettant de travailler dans des conditions de sécurité optimales, par rapport à un ensemble de risques identifiés. Il est de plus particulièrement suivi, qu’il s’agisse des contrôles ou de la quantité astronomique de mesures réalisées en permanence sur les chantiers.

Le risque étant une constante de notre métier, la prudence en est également devenue une. Nous n’avons fait que décliner cette prudence en méthode de gestion des risques propre, donnant lieu à une évaluation et une préparation approfondies des situations que nous allons rencontrer sur un chantier. 

Les inconnues sont nombreuses lorsque débute un chantier. Comment gérez-vous l’incertitude ?

Le degré d’incertitude que l’on s’autorise est aussi une question de méthode. Notre méthode le réduit à son maximum, via une forme d’audit préliminaire systématique des chantiers. La chaine des intervenants sur un chantier est pour cela une véritable chaine de compétences : réduire l’incertitude consiste aussi à faire confiance au vivier de compétences que compte l’entreprise.

Les premiers intervenants sur un chantier sont les chargés d’affaires, des ingénieurs qui effectuent la première visite, réalisent les relevés et rédigent une évaluation des risques identifiés sur place. Une fois cette première évaluation réalisée, ils la transmettent au service de production, qui compte dans ses rangs les personnels ayant le plus d’expérience, reconnus pour leurs connaissances et leur maitrise de ces sujets. Ces personnes analysent cette évaluation des risques et mettent en œuvre l’ensemble des préconisations au moment de la réalisation du chantier. L’ensemble du processus fait se croiser un grand nombre de compétences et de personnes distinctes, ce qui nous assure un regard objectif et approfondi sur les chantiers. Si une part d’incertitude existera toujours sur les différents chantiers que nous menons, notre méthode et notre organisation permettent de la neutraliser.

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