Comment justifier notre peur du Président Erdoğan alors que, d’après vos dires, il « ne fait que bluffer » ?
Dans mon livre justement, il y a une chronique intitulée Erdoğan n’est grand que parce que nous sommes à genoux ! Elle décrit tout à fait ce phénomène. Devant l’agressivité et les provocations du président turc notamment en Méditerranée orientale. En 2019-2020, seules la Grèce et la France se sont opposées à la Turquie, pays pourtant candidat à l’entrée dans l’UE et surtout membre de l’OTAN ! Mais les Européens étaient paralysés par la peur. Ce que craignent par-dessus tout, les dirigeants l’UE, c’était une nouvelle arrivée massive de réfugiés sur leurs côtes. C’est pourquoi, Angela Merkel, comme d’autres, a préféré rester silencieuse, céder au chantage et au racket d’Ankara et ainsi payer des milliards pour qu’Erdoğan n’ouvre pas les vannes ! D’autant plus que l’Allemagne craint toujours des réactions hostiles et des troubles parmi la forte communauté turque présente sur son sol. Début juin 2020, l’Union européenne a même approuvé d’ailleurs une rallonge d’un demi-milliard d’euros à destination de la Turquie. Cette nouvelle enveloppe fut validée par le Parlement et proposée par la Commission elle-même alors que les tensions avec la France et la Grèce étaient des plus vives !
Aucune sanction sérieuse n’a été votée par l’UE contre Ankara. Alors que déjà à l’époque, la Turquie était en grande difficulté économique, ce qui aurait assurément calmé ses ardeurs et l’aurait sûrement fait reculer. En fait, comme je l’écrivais à l’époque, Erdoğan, en homme rusé et habile, bluffait et savait pertinemment que les responsables européens étaient des faibles et qu’il n’avait rien à craindre de gens pour qui la génuflexion, devant n’importe qui ou n’importe quoi, est malheureusement devenue une tradition...
D’ailleurs, je ne m’étais pas trompé sur la stratégie d’Erdoğan et ses limites, puisqu’un an après, on est en train d’assister à une certaine forme de « reculade » du Sultan. Malgré son bellicisme et ses fanfaronnades, Erdoğan a été mis de plus en plus en difficulté sur le plan intérieur. Les problèmes domestiques d’Erdoğan se sont aggravés. Sa côte de popularité est en forte baisse dans les derniers sondages. Et la chute de la livre turque est vertigineuse. En 2019, un dollar valait 5,7 livres turques ; aujourd’hui, il en vaut plus de 11. Pour les Turcs et les marchés financiers, c’est une situation très critique. Les manifestations dans le pays se multiplient. Le Qatar, lui-même en difficulté, ne peut plus, comme il le faisait jusqu’ici, assurer seul la perfusion économique de la Turquie. Dès lors, le Sultan est contraint de mettre entre parenthèse ses velléités régionales dans la région. Le président turc a donc été forcé, ces derniers mois, d’engager une désescalade voire même un rapprochement avec ses adversaires géopolitiques régionaux d’hier : l’Arabie saoudite, l’Égypte et même les Émirats arabes unis, qui, profitant de la faiblesse de la monnaie turque, prévoient d’investir plus de 10 milliards de dollars dans l’économie turque, comme l’a annoncé MBZ lors de sa récente visite – historique –, le 24 novembre dernier, dans le palais présidentiel de Bestepe, de la capitale turque…
Aucune sanction sérieuse n’a été votée par l’UE contre Ankara. Alors que déjà à l’époque, la Turquie était en grande difficulté économique, ce qui aurait assurément calmé ses ardeurs et l’aurait sûrement fait reculer. En fait, comme je l’écrivais à l’époque, Erdoğan, en homme rusé et habile, bluffait et savait pertinemment que les responsables européens étaient des faibles et qu’il n’avait rien à craindre de gens pour qui la génuflexion, devant n’importe qui ou n’importe quoi, est malheureusement devenue une tradition...
D’ailleurs, je ne m’étais pas trompé sur la stratégie d’Erdoğan et ses limites, puisqu’un an après, on est en train d’assister à une certaine forme de « reculade » du Sultan. Malgré son bellicisme et ses fanfaronnades, Erdoğan a été mis de plus en plus en difficulté sur le plan intérieur. Les problèmes domestiques d’Erdoğan se sont aggravés. Sa côte de popularité est en forte baisse dans les derniers sondages. Et la chute de la livre turque est vertigineuse. En 2019, un dollar valait 5,7 livres turques ; aujourd’hui, il en vaut plus de 11. Pour les Turcs et les marchés financiers, c’est une situation très critique. Les manifestations dans le pays se multiplient. Le Qatar, lui-même en difficulté, ne peut plus, comme il le faisait jusqu’ici, assurer seul la perfusion économique de la Turquie. Dès lors, le Sultan est contraint de mettre entre parenthèse ses velléités régionales dans la région. Le président turc a donc été forcé, ces derniers mois, d’engager une désescalade voire même un rapprochement avec ses adversaires géopolitiques régionaux d’hier : l’Arabie saoudite, l’Égypte et même les Émirats arabes unis, qui, profitant de la faiblesse de la monnaie turque, prévoient d’investir plus de 10 milliards de dollars dans l’économie turque, comme l’a annoncé MBZ lors de sa récente visite – historique –, le 24 novembre dernier, dans le palais présidentiel de Bestepe, de la capitale turque…
Les tensions entre la Turquie et la Russie auront-elles une fin ? Le cas échéant, qui aura le dernier mot ?
La Turquie demeure le plus gros caillou dans les chaussures des diplomates russes en Syrie et ailleurs. Toutefois, il est évident que les Russes s’attendait pertinemment à cela, même depuis leur « rabibochage » fin 2016 (à leur initiative) et leur dialogue depuis sur le conflit syrien avec les Turcs. L’histoire (près d’une vingtaine de conflits entre les Tsars et l’empire Ottoman en trois siècles !), là encore, leur a appris à se méfier de ce tout récent « partenaire », peu fiable et passé maître dans la fourberie.
Sur tous les dossiers de la région (Syrie, Libye, Caucase, Méditerranée orientale…), même s’ils discutent, Turcs et Russes sont en opposition. Ces derniers sont d’ailleurs des soutiens de poids de l’Entente Égypte-Arabie saoudite-EAU, étant sur la même longueur d’ondes que Sissi, MBS et MBZ quant à la lutte contre l’islam politique dans la région…
Moscou ne peut voir que d’un très bon œil un Erdoğan fragilisé et forcé d’accepter, pour l’instant, la relative « victoire » du Caire, de Riyad et d’Abou Dhabi. Comme le Kremlin ne peut que se satisfaire de la « brouille » passagère au sein de l’OTAN à propos de la Turquie et entre Ankara et Washington…
Sur tous les dossiers de la région (Syrie, Libye, Caucase, Méditerranée orientale…), même s’ils discutent, Turcs et Russes sont en opposition. Ces derniers sont d’ailleurs des soutiens de poids de l’Entente Égypte-Arabie saoudite-EAU, étant sur la même longueur d’ondes que Sissi, MBS et MBZ quant à la lutte contre l’islam politique dans la région…
Moscou ne peut voir que d’un très bon œil un Erdoğan fragilisé et forcé d’accepter, pour l’instant, la relative « victoire » du Caire, de Riyad et d’Abou Dhabi. Comme le Kremlin ne peut que se satisfaire de la « brouille » passagère au sein de l’OTAN à propos de la Turquie et entre Ankara et Washington…
La stabilité souhaitée entre Biden et Erdoğan est-elle vraiment envisageable ?
D’abord, n’oublions pas que si Erdoğan est en si grande difficulté financière, il le doit aux dures sanctions votées, avant leur départ, par Pompeo et Trump (le soi-disant grand ami du leader turc !), alors que l’Union européenne a, de son côté, toujours hésité à pénaliser la Turquie lorsque celle-ci menaçait la Grèce et la France !
Si Trump avait été réélu, il aurait inscrit les Frères musulmans sur la liste américaine des organisations terroristes. Cela aurait été alors un coup décisif pour l’islam politique, le financement du terrorisme islamiste, et bien évidemment pour le Qatar et la Turquie d’Erdoğan, qui auraient ainsi perdu définitivement leur principal levier politique et géopolitique dans la région.
C’est pourquoi le président turc a été ravi de la défaite de Trump mais pour l’heure, son successeur, Biden, n’a pas encore levé les sanctions. C’est même encore tendu entre les deux hommes.
Or, je pense qu’à plus ou moins long terme, pour une administration démocrate viscéralement anti-russe, la Turquie d’Erdoğan pourrait retrouver tout son rôle dans le retour d’une politique américaine clairement hostile à la Russie…
Si Trump avait été réélu, il aurait inscrit les Frères musulmans sur la liste américaine des organisations terroristes. Cela aurait été alors un coup décisif pour l’islam politique, le financement du terrorisme islamiste, et bien évidemment pour le Qatar et la Turquie d’Erdoğan, qui auraient ainsi perdu définitivement leur principal levier politique et géopolitique dans la région.
C’est pourquoi le président turc a été ravi de la défaite de Trump mais pour l’heure, son successeur, Biden, n’a pas encore levé les sanctions. C’est même encore tendu entre les deux hommes.
Or, je pense qu’à plus ou moins long terme, pour une administration démocrate viscéralement anti-russe, la Turquie d’Erdoğan pourrait retrouver tout son rôle dans le retour d’une politique américaine clairement hostile à la Russie…
Comment le monde arabe perçoit-il la présence turc en Libye ?
Globalement, la politique néo-ottomane et panislamiste d’Erdoğan est plutôt mal perçue en Libye comme dans tout le monde arabe. Pour des raisons historiques évidentes. Erdoğan est très populaire seulement chez les islamistes, puisqu’il est lui-même issu de la branche frériste turque.
Il faut se rappeler que l’installation par le Qatar et la Turquie d’Erdoğan de membres de la confrérie au pouvoir dans les États arabes à la faveur des printemps arabes et des élections, comme en Tunisie ou en Égypte, a très rapidement connu ses premiers revers. D'abord avec le coup d’État de Sissi au Caire contre le pouvoir frériste de Morsi, au cœur même du pays représentant la base principale et historique de la confrérie en 2013. Et surtout après les succès militaires et diplomatiques russes en Syrie, maintenant Assad à Damas au détriment des Frères musulmans syriens qui auraient dû, dans le projet de Doha et d’Ankara, prendre les rênes du pays en cas de chute du dictateur.
Face à ces déconvenues, et de plus en plus isolés diplomatiquement, Erdoğan et l’émir Al -Thani n’avaient pas dit leur dernier mot. Leur volonté de jouer un rôle géopolitique majeur dans la région et leur désir d’installer leurs sbires à la tête de toutes les capitales arabes ne s’étaient pas éteints. En 2019, avec les nouveaux mouvements populaires traversant la région et ressemblant à une seconde phase des printemps arabes, la Turquie et le Qatar lancèrent une « contre-offensive ». Partout, l’argent qatari revigora les Frères, qui attendaient leur heure. De son côté, Erdoğan - « le janissaire géostratégique » du petit Qatar - a déployé dans la zone sa politique néo-ottomane et panislamiste agressive en soutenant notamment en Syrie, à Idleb, le dernier bastion islamiste, ou encore en envoyant des armes, des conseillers et des mercenaires jihadistes en Libye, afin de contrer l’offensive du maréchal Haftar, l’homme du Caire, d’Abou Dhabi et de Moscou. Ses provocations en Méditerranée orientale contre la Grèce et la France se sont intensifiées.
Mais aujourd’hui, les Frères musulmans sont en recul, en difficulté ou même parfois interdits partout dans le monde arabe. Et on l’a vu, Erdoğan n’a plus, pour l’instant, en Méditerranée et au Moyen-Orient, les moyens de ses ambitions.
Il faut se rappeler que l’installation par le Qatar et la Turquie d’Erdoğan de membres de la confrérie au pouvoir dans les États arabes à la faveur des printemps arabes et des élections, comme en Tunisie ou en Égypte, a très rapidement connu ses premiers revers. D'abord avec le coup d’État de Sissi au Caire contre le pouvoir frériste de Morsi, au cœur même du pays représentant la base principale et historique de la confrérie en 2013. Et surtout après les succès militaires et diplomatiques russes en Syrie, maintenant Assad à Damas au détriment des Frères musulmans syriens qui auraient dû, dans le projet de Doha et d’Ankara, prendre les rênes du pays en cas de chute du dictateur.
Face à ces déconvenues, et de plus en plus isolés diplomatiquement, Erdoğan et l’émir Al -Thani n’avaient pas dit leur dernier mot. Leur volonté de jouer un rôle géopolitique majeur dans la région et leur désir d’installer leurs sbires à la tête de toutes les capitales arabes ne s’étaient pas éteints. En 2019, avec les nouveaux mouvements populaires traversant la région et ressemblant à une seconde phase des printemps arabes, la Turquie et le Qatar lancèrent une « contre-offensive ». Partout, l’argent qatari revigora les Frères, qui attendaient leur heure. De son côté, Erdoğan - « le janissaire géostratégique » du petit Qatar - a déployé dans la zone sa politique néo-ottomane et panislamiste agressive en soutenant notamment en Syrie, à Idleb, le dernier bastion islamiste, ou encore en envoyant des armes, des conseillers et des mercenaires jihadistes en Libye, afin de contrer l’offensive du maréchal Haftar, l’homme du Caire, d’Abou Dhabi et de Moscou. Ses provocations en Méditerranée orientale contre la Grèce et la France se sont intensifiées.
Mais aujourd’hui, les Frères musulmans sont en recul, en difficulté ou même parfois interdits partout dans le monde arabe. Et on l’a vu, Erdoğan n’a plus, pour l’instant, en Méditerranée et au Moyen-Orient, les moyens de ses ambitions.