Énergie : l’Italie met le cap sur l’Afrique



Publié par La Rédaction le 7 Décembre 2023

Deuxième industrie d'Europe derrière l'Allemagne, l'Italie n'a pas été épargnée par la crise énergétique et l'arrêt presque total de ses importations de gaz russe. Pour alimenter ses usines et chauffer ses foyers, Rome multiplie, ces derniers mois, les initiatives au plan énergétique, en particulier en Afrique. Une contrainte que le gouvernement italien entend bien tourner en opportunité.



Les méthaniers, une flotte très sollicitée depuis le renoncement officiel de l'UE au gaz russe (image d'illustration_Wikimedia Commons (Gas Natural Fenosa France))
« L’Italie peut devenir un hub pour la distribution de l’énergie en Europe », expliquait Giorgia Meloni lors d’une visite officielle en Algérie en janvier 2023. Un sujet central dans la politique de la Première ministre italienne, qui veut à tout prix mettre un terme définitif à la dépendance au gaz russe, tout en donnant à l'Italie une place centrale dans la distribution de l’énergie sur le Vieux Continent.

De retour en Afrique cet automne, la présidente du Conseil italien en a justement profité pour dialoguer avec ses partenaires africains et clarifier les contours du « plan Mattei », un vaste programme d’investissement évoqué dès son tout premier discours au Parlement, et qui ferait de l’Italie un « espace de stabilité et de prospérité partagée » avec l’Afrique.

Le plan Mattei : faire de l’Italie le hub européen du gaz

Le plan Mattei, du nom du patron fondateur d’ENI, Enrico Mattei, entre avant tout dans l’optique de réduire le plus possible la dépendance au gaz russe, dont l’Italie était l’un des plus gros importateurs, avec environ 40 % de son gaz d’origine russe en 2021. « La question de l’énergie est stratégique et le sera certainement de plus en plus. La guerre en Ukraine a déclenché une crise, mais cette crise, j’en suis convaincue, peut aussi devenir une opportunité », a souligné Giorgia Meloni en octobre dernier.

Pour l’heure, les contours du plan Mattei — qui n’est en réalité qu’une reprise du plan « Draghi » — n’ont pas été intégralement dévoilés, mais la Première ministre italienne a d’ores et déjà laissé entendre ce qu’il recouvrait. En clair, avec l’appui de l’énergéticien ENI, l’Italie souhaite éliminer totalement le recours au gaz russe d’ici à 2025 en multipliant les partenariats en Afrique. En l’état, l’Italie dispose déjà de plusieurs connexions par gazoduc avec le continent africain, dont l’Algérie, l’Égypte, la Libye, le Nigéria, l’Angola et le Congo.

Cependant, le réseau actuel ne permet de transporter que 126 millions de mètres cubes de gaz par jour, des « limites structurelles » pointées du doigt par Claudio Descalzi, PDG d’ENI. « C’est un grand potentiel non exploité », souligne-t-il.

En échange d’importants investissements dans les entreprises et les infrastructures, l’Italie s’engage à œuvrer pour le développement des pays partenaires, même si d’autres contreparties, qui ne sont pas encore publiques, devraient être exigées — notamment en termes de lutte contre la criminalité et le terrorisme et concernant l’immigration.

Avant une grande conférence Italie — Afrique qui aura lieu dans quelques mois, une délégation diplomatique italienne, composée de la présidente du Conseil et du PDG d’ENI, a déjà commencé à baliser le terrain, à travers la signature de plusieurs accords de coopération importants, notamment en Afrique du Nord.

L’Italie investit chez ses partenaires historiques

En visite en Afrique du Nord en début d’année, Giorgia Meloni et le patron d’ENI ont signé deux accords importants avec Sonatrach, l’énergéticien public algérien. Le premier vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre en Algérie, tandis que le second, plus important, porte sur l’amélioration du réseau d’interconnexion énergétique entre les deux pays. Les deux parties se sont engagées à augmenter le transport d’énergie vers l’Italie et à construire un nouveau gazoduc, permettant en outre l’acheminement d’hydrogène. L’Italie et l’Algérie se sont aussi entendues sur le relèvement de la capacité de production du gaz liquéfié, Sonatrach étant déjà l'un des plus gros exportateurs mondiaux de GNL, avec une capacité totale de liquéfaction de 34 milliards de m3 par an.

Le pays d’Afrique du Nord est depuis longtemps un partenaire de l’Italie en matière énergétique, puisqu’ENI y est présent depuis 1981. En collaboration avec Sonatrach, l’énergéticien italien gère le gazoduc TransMed, qui relie les deux États en passant par la Tunisie.

Un accord important de 4 milliards de dollars avait d’ailleurs déjà été signé en juillet de l’année dernière, dans lequel l’Algérie s’engageait à augmenter ses livraisons de gaz, alors que celles-ci avaient déjà excédé de 113 % les estimations prévues pour 2022. « Il faut penser qu’il y a seulement deux ans, l’Algérie donnait à l’Italie environ 21 milliards, maintenant elle en donne 25 », a souligné Claudio Descalzi lors de la visite d’État en à Alger en début d’année. « Nous atteindrons 28 milliards l’année prochaine. L’Algérie est un partenaire stratégique pour l’Italie ».

Toujours au Maghreb, en janvier 2023, ENI et la compagnie nationale libyenne NOC ont signé un accord gazier historique de 8 milliards de dollars — le plus gros investissement dans le secteur énergétique libyen depuis plus de 20 ans. L’accord, conclu à Tripoli, prévoit le développement de deux gisements gaziers dans le bloc offshore NC41, au nord de la Libye. L’extraction devrait commencer en 2026, avec un volume estimé à 750 millions de pieds cubes par jour. Tout comme son voisin algérien, la Libye est aussi un des partenaires de longue date de l’Italie, même si les exportations ont fortement baissé depuis l’effondrement du pays en 2011 — la Libye a exporté 2,63 milliards de mètres cubes de gaz vers l’Italie en 2022 contre 8 milliards en moyenne dans les années 2000. Une tendance que Rome souhaite désormais inverser, avec l’arrêt des importations en gaz russe.

Mais les visites d’État de Giorgia Meloni et de sa délégation ne se sont pas arrêtées en Afrique du Nord. La Première ministre italienne a rencontré le président mozambicain Filipe Nyusi début octobre à Maputo, un peu moins d’un an après les premières livraisons par cargo de gaz naturel liquéfié mozambicain.

Maputo et Brazzaville, les nouveaux champions du gaz africain

Tout un symbole pour le plan Mattei et les ambitions énergétiques de l’Italie en Afrique : la toute première cargaison de gaz naturel liquéfié (GNL) exportée depuis le Mozambique était à destination du pays de Dante. Elle a eu lieu en novembre 2022, une petite décennie après les premières découvertes de gaz dans le nord du pays, depuis une installation flottante de liquéfaction du gaz (FLNG) déployée en eaux profondes — une première historique en Afrique. Le choix initial d’une plateforme offshore par ENI s’est avéré a posteriori très pertinent, puisque le nord du pays — où se trouve l’essentiel des réserves de gaz — est en proie à une insurrection djihadiste depuis le tournant des années 2020.

Ces circonstances favorables ont ainsi permis à l’entreprise italienne de commencer à exporter ses premières cargaisons depuis sa plateforme, dotée d’une capacité estimée à 3,4 millions de tonnes de GNL par an. Depuis novembre 2022, 30 cargaisons de GNL ont d’ores et déjà été livrées depuis le FLNG Coral Sul, et ENI travaille sur une deuxième unité flottante de liquéfaction, Coral North. Si le plan de développement est encore en discussion, un démarrage est prévu pour 2027. Ces deux plateformes de liquéfaction devraient aider, au bout du compte, à pallier les restrictions techniques du transport par gazoduc.

Les premiers méthaniers en partance de Palma, ville côtière du nord du Mozambique, ne représentent néanmoins qu’une petite partie du potentiel gazier du pays, dont les réserves sont estimées à 4530 milliards de mètres cubes. Pour l’heure, seul ENI est en mesure d’exporter son GNL, les activités à terre (menées par le consortium Mozambique LNG) étant toujours à l’arrêt du fait de la situation sécuritaire instable. Le Mozambique espère tout de même que les activités reprendront d’ici peu, motivé par des prévisions très ambitieuses, qui à l’instar de celles de la Standard Bank estiment que les revenus du gaz devraient permettre, à terme, de multiplier le PIB par 8.

Des promesses de croissance et de développement qui font aussi des envieux près de la côte atlantique, à Brazzaville, où Giorgia Meloni a rencontré son homologue juste après sa visite en Afrique australe. Le Congo-Brazzaville a lui aussi acté la construction de deux FLNG, la première avec une capacité de liquéfaction de 2,4 Mtpa et la seconde de 0,6 Mtpa. Les deux installations, dont les activités sont là encore menées par ENI, devraient débuter leurs exportations d'ici à 2025.

L’intégralité de ces projets, dont le développement des pays partenaires, ainsi que le terrorisme, les flux migratoires et le changement climatique, devrait être approfondie à l’occasion d’une grande conférence Italie — Afrique qui se tiendra à Rome en janvier prochain. C’est très probablement à cette occasion que Giorgia Meloni dévoilera, avec plus de précisions, les contours du plan Mattei, même si les visites organisées de des derniers mois laissent comprendre que la Première ministre italienne a bien l’intention d’accélérer les importations de gaz africain et de faire de l'Italie le passage obligé de tous les gazoducs entre les deux continents.

Une contribution proposée par Pierre Perrin, retraité, ancien ingénieur des pétroles puis consultant international pour les projets énergétiques.

Dans la même rubrique :