David Galula - image Wikimedia
La notion de guerre cognitive [1] et plus encore d’« encerclement cognitif » (Christian Harbulot [2]) désigne assez explicitement le mécanisme : par différents angles d’attaque, les opposants [3] créent une ambiance, une situation d’inconfort intellectuel qui conduit les décideurs à revenir sur leur position initiale, ou « l’opinion » à se retourner elle aussi contre le projet.
Ce phénomène peut notamment prendre la forme d’un « terrorisme intellectuel » basé sur le dénigrement, ou s’opérer plus subtilement par une distorsion presque imperceptible de l’information. Les modalités tactiques sont multiples : citons le dénigrement franc et direct (fondé sur des idéaux ou des représentations dans l’objectif de rallier ceux qui y adhèrent à la cause d’opposition), la fausse information (mais vraisemblable, pour être crue), l’information partiale ou tronquée, ou encore les biais rhétoriques plus imperceptibles (association d’idées défavorable…).
L’idéal étant qu’une première attaque soit suffisamment spectaculaire pour en susciter d’autres de la part d’autres acteurs, et ainsi dépasser le face-à-face entre le groupe initial d’opposants et le décideur pour atteindre l’encerclement de ce dernier par une multitude d’agents d’influence. Un phénomène qui peut être rapproché de celui d’insurrection : contre un acteur agissant selon son rôle institutionnel (une collectivité développe son territoire, une entreprise produit dans le respect des lois encadrant la liberté du commerce et de l’industrie...), une minorité active travaille à renverser l’ordre établi, cherchant généralement à rallier les neutres (la population, majoritairement silencieuse) pour asseoir un ordre nouveau. Même si l’insurrection passe généralement par l’emploi de la violence physique sous forme d’émeutes, d’assassinats ou d’attentats par exemple, la dimension informationnelle et psychologique est donc prédominante : de la perception des enjeux et des acteurs en présence dépend la conviction des parties prenantes et l’adhésion à l’un des deux camps (loyaliste ou insurgé).
C’est la raison pour laquelle la recherche d’une doctrine en matière de contre-influence devrait pouvoir se nourrir du manuel de l’officier français David Galula (1919-1968) Contre-Insurrection ; Théorie et pratique. Redécouvert au début des années 2000 aux Etats-Unis d’Amérique, cet ouvrage de stratégie fait en effet une très large place à la dimension essentiellement politique des guerres révolutionnaires (une insurrection affrontant les forces loyalistes de l’État qu’elle tente de renverser), et en conséquence à la place de l’information (propagande) dans des opérations de guerre qui visent, notamment, des effets psychologiques (PsyOps).
Une cause séduisante au coeur de la relation conflictuelle
Avant même d’envisager une à une les opérations de contre-insurrection, Galula explique dans son ouvrage que l’insurrection (id est la rupture d’une minorité avec l’ordre établi dans l’objectif d’en imposer un nouveau) repose sur une cause séduisante. Cette cause séduisante s’appuie donc sur un corpus d’idées, de représentations, de conceptions, et surtout d’aspirations à un ordre meilleur, lesquelles prospèrent sur les faiblesses du régime attaqué. D’où il ressort qu’est particulièrement sujet au phénomène insurrectionnel un pays où l’insatisfaction et donc l’aspiration à une alternative sont grandes. Or les attaques informationnelles mues par des défenseurs d’une cause semblent bien être des problèmes propres aux « vieux » pays en voie d’essoufflement, où les difficultés économiques font grandir l’insatisfaction générale, mais où le confort de vie reste suffisamment important pour libérer le temps et l’énergie nécessaires à s’attaquer aux acteurs économiques pour les contraindre à répondre à des aspirations particulières, plutôt qu’aux acteurs étatiques ou gouvernementaux pour revendiquer un renversement total de l’ordre établi.
Jusqu’ici, la comparaison semble donc valable : les attaques informationnelles contre des produits, des acteurs ou des projets économiques s’opposent aux manifestations de l’ordre établi dès lors que les acteurs attaqués agissent dans leur bon droit, que les activités attaquées sont objectivement licites. La motivation des attaques est alors morale. Il y a déni de légitimité au nom d’une cause donnée (défense des animaux, défense de l’environnement…), et non pas des valeurs et des règles que la société entière s’est donnée (inscrites dans Loi, la Constitution ou un supposé « contrat social »...) [4].
La cause est le noeud du conflit, et ce qui le rend asymétrique : l’institutionnel (l’État ou l’acteur économique) fait, et fait potentiellement des erreurs ; tandis que l’insurgé (ou l’attaquant informationnel) se contente de revendiquer, ce qui est plus aisé et populaire si l’insatisfaction générale est par ailleurs importante. La défense du camp loyaliste est donc défense de la continuité de son activité et de sa légitimité. Il est en posture de justification car c’est l’attaquant qui rompt la normalité, « brise le silence », « lance l’alerte » et polarise aussitôt le conflit en opposition du bien contre le mal, et généralement du faible contre le fort. Il y a prime à l’attaquant : en prenant l’initiative du conflit, l’attaquant s’accapare aussi l’avantage stratégique. C’est la raison pour laquelle la population, neutre, ne doit pas être la première cible des opérations de propagande loyaliste. Prendre l’opinion à témoin en posture de justification est vain si la cause des insurgés/attaquants est réellement séduisante.
Ce phénomène peut notamment prendre la forme d’un « terrorisme intellectuel » basé sur le dénigrement, ou s’opérer plus subtilement par une distorsion presque imperceptible de l’information. Les modalités tactiques sont multiples : citons le dénigrement franc et direct (fondé sur des idéaux ou des représentations dans l’objectif de rallier ceux qui y adhèrent à la cause d’opposition), la fausse information (mais vraisemblable, pour être crue), l’information partiale ou tronquée, ou encore les biais rhétoriques plus imperceptibles (association d’idées défavorable…).
L’idéal étant qu’une première attaque soit suffisamment spectaculaire pour en susciter d’autres de la part d’autres acteurs, et ainsi dépasser le face-à-face entre le groupe initial d’opposants et le décideur pour atteindre l’encerclement de ce dernier par une multitude d’agents d’influence. Un phénomène qui peut être rapproché de celui d’insurrection : contre un acteur agissant selon son rôle institutionnel (une collectivité développe son territoire, une entreprise produit dans le respect des lois encadrant la liberté du commerce et de l’industrie...), une minorité active travaille à renverser l’ordre établi, cherchant généralement à rallier les neutres (la population, majoritairement silencieuse) pour asseoir un ordre nouveau. Même si l’insurrection passe généralement par l’emploi de la violence physique sous forme d’émeutes, d’assassinats ou d’attentats par exemple, la dimension informationnelle et psychologique est donc prédominante : de la perception des enjeux et des acteurs en présence dépend la conviction des parties prenantes et l’adhésion à l’un des deux camps (loyaliste ou insurgé).
C’est la raison pour laquelle la recherche d’une doctrine en matière de contre-influence devrait pouvoir se nourrir du manuel de l’officier français David Galula (1919-1968) Contre-Insurrection ; Théorie et pratique. Redécouvert au début des années 2000 aux Etats-Unis d’Amérique, cet ouvrage de stratégie fait en effet une très large place à la dimension essentiellement politique des guerres révolutionnaires (une insurrection affrontant les forces loyalistes de l’État qu’elle tente de renverser), et en conséquence à la place de l’information (propagande) dans des opérations de guerre qui visent, notamment, des effets psychologiques (PsyOps).
Une cause séduisante au coeur de la relation conflictuelle
Avant même d’envisager une à une les opérations de contre-insurrection, Galula explique dans son ouvrage que l’insurrection (id est la rupture d’une minorité avec l’ordre établi dans l’objectif d’en imposer un nouveau) repose sur une cause séduisante. Cette cause séduisante s’appuie donc sur un corpus d’idées, de représentations, de conceptions, et surtout d’aspirations à un ordre meilleur, lesquelles prospèrent sur les faiblesses du régime attaqué. D’où il ressort qu’est particulièrement sujet au phénomène insurrectionnel un pays où l’insatisfaction et donc l’aspiration à une alternative sont grandes. Or les attaques informationnelles mues par des défenseurs d’une cause semblent bien être des problèmes propres aux « vieux » pays en voie d’essoufflement, où les difficultés économiques font grandir l’insatisfaction générale, mais où le confort de vie reste suffisamment important pour libérer le temps et l’énergie nécessaires à s’attaquer aux acteurs économiques pour les contraindre à répondre à des aspirations particulières, plutôt qu’aux acteurs étatiques ou gouvernementaux pour revendiquer un renversement total de l’ordre établi.
Jusqu’ici, la comparaison semble donc valable : les attaques informationnelles contre des produits, des acteurs ou des projets économiques s’opposent aux manifestations de l’ordre établi dès lors que les acteurs attaqués agissent dans leur bon droit, que les activités attaquées sont objectivement licites. La motivation des attaques est alors morale. Il y a déni de légitimité au nom d’une cause donnée (défense des animaux, défense de l’environnement…), et non pas des valeurs et des règles que la société entière s’est donnée (inscrites dans Loi, la Constitution ou un supposé « contrat social »...) [4].
La cause est le noeud du conflit, et ce qui le rend asymétrique : l’institutionnel (l’État ou l’acteur économique) fait, et fait potentiellement des erreurs ; tandis que l’insurgé (ou l’attaquant informationnel) se contente de revendiquer, ce qui est plus aisé et populaire si l’insatisfaction générale est par ailleurs importante. La défense du camp loyaliste est donc défense de la continuité de son activité et de sa légitimité. Il est en posture de justification car c’est l’attaquant qui rompt la normalité, « brise le silence », « lance l’alerte » et polarise aussitôt le conflit en opposition du bien contre le mal, et généralement du faible contre le fort. Il y a prime à l’attaquant : en prenant l’initiative du conflit, l’attaquant s’accapare aussi l’avantage stratégique. C’est la raison pour laquelle la population, neutre, ne doit pas être la première cible des opérations de propagande loyaliste. Prendre l’opinion à témoin en posture de justification est vain si la cause des insurgés/attaquants est réellement séduisante.
Le terreau d’une cause séduisante et efficace : point de départ nécessaire de la contre-attaque
C’est également la raison pour laquelle le travail sur le terrain d’insatisfaction sur lequel fleurit la cause séduisante des insurgés et opposants ne devrait pas être négligé. En vérité, l’insurrection ou un travail de sape informationnelle efficace ne commence pas au premier coup de semonce, au premier attentat ou au premier communiqué. Cela débute, sur le plan cognitif, par le « minage » du terrain. En situation d’insurrection, on peut présumer que ce travail est largement accompli par les faits, la situation objectivement dégradée et insatisfaisante. Les insurgés n’ont alors plus qu’à pointer du doigt les nombreux problèmes sociaux et politiques, focaliser l’attention de la population sur ces troubles pour rendre leur cause séduisante par contraste.
Mais sur le terrain informationnel, dans l’ordre des représentations, des conceptions, des ancrages et des réflexes psychologiques, une attitude plus proactive est envisageable en sus de la dénonciation des faits objectifs. Par exemple, la cause écologiste s’appuie largement sur les manifestations visibles (et parfois spectaculaires) du changement climatique, mais travaille également à la fixation de lignes de démarcation entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas [5].
Ainsi, plusieurs évènements récents ont travaillé l’environnement médiatique français de façon à rendre univoque le discours sur le changement climatique. Désormais, les thèses dites « climatosceptiques » (réfutant le réchauffement climatique) sont à peu près proscrites ou, si elles ressurgissent, provoquent immédiatement une nuée de réactions hostiles, tandis que le débat était encore admis il y a quelques années. Dans la continuité, le terme d’« urgence climatique » s’est progressivement imposé et, faisant apparaître une forme d’enjeu vital, justifie une radicalisation du discours et des actes portés par la cause écologique. Dès lors, les positions plus nuancées ou moins alarmistes, notamment les positions tendant à concilier développement économique et transition écologique semblent déjà arriérées, déconnectées de la réalité voire malhonnêtes. Ajoutons à cela l’idée, déjà bien installée dans le discours ambiant, selon laquelle les acteurs économiques ne sont mus que par la recherche du profit à court terme quitte à être parfaitement cyniques et nous obtenons la parade du « green washing », argument visant à décrédibiliser toute tentative pour une entreprise-symbole du capitalisme d’épouser la cause écologiste et d’engager des actions concrètes en faveur de l’environnement. Lancé de façon systématique, l’argument du « green washing » induit en réalité que le souci écologique exprimé par un acteur économique d’envergure ne saurait être honnête et que ses actions en faveur de l’environnement ne servent qu’à « laver » sa conscience écologique ou à « blanchir » une activité néfaste par ailleurs, comme une sorte de façade démagogique.
C’est également la raison pour laquelle le travail sur le terrain d’insatisfaction sur lequel fleurit la cause séduisante des insurgés et opposants ne devrait pas être négligé. En vérité, l’insurrection ou un travail de sape informationnelle efficace ne commence pas au premier coup de semonce, au premier attentat ou au premier communiqué. Cela débute, sur le plan cognitif, par le « minage » du terrain. En situation d’insurrection, on peut présumer que ce travail est largement accompli par les faits, la situation objectivement dégradée et insatisfaisante. Les insurgés n’ont alors plus qu’à pointer du doigt les nombreux problèmes sociaux et politiques, focaliser l’attention de la population sur ces troubles pour rendre leur cause séduisante par contraste.
Mais sur le terrain informationnel, dans l’ordre des représentations, des conceptions, des ancrages et des réflexes psychologiques, une attitude plus proactive est envisageable en sus de la dénonciation des faits objectifs. Par exemple, la cause écologiste s’appuie largement sur les manifestations visibles (et parfois spectaculaires) du changement climatique, mais travaille également à la fixation de lignes de démarcation entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas [5].
Ainsi, plusieurs évènements récents ont travaillé l’environnement médiatique français de façon à rendre univoque le discours sur le changement climatique. Désormais, les thèses dites « climatosceptiques » (réfutant le réchauffement climatique) sont à peu près proscrites ou, si elles ressurgissent, provoquent immédiatement une nuée de réactions hostiles, tandis que le débat était encore admis il y a quelques années. Dans la continuité, le terme d’« urgence climatique » s’est progressivement imposé et, faisant apparaître une forme d’enjeu vital, justifie une radicalisation du discours et des actes portés par la cause écologique. Dès lors, les positions plus nuancées ou moins alarmistes, notamment les positions tendant à concilier développement économique et transition écologique semblent déjà arriérées, déconnectées de la réalité voire malhonnêtes. Ajoutons à cela l’idée, déjà bien installée dans le discours ambiant, selon laquelle les acteurs économiques ne sont mus que par la recherche du profit à court terme quitte à être parfaitement cyniques et nous obtenons la parade du « green washing », argument visant à décrédibiliser toute tentative pour une entreprise-symbole du capitalisme d’épouser la cause écologiste et d’engager des actions concrètes en faveur de l’environnement. Lancé de façon systématique, l’argument du « green washing » induit en réalité que le souci écologique exprimé par un acteur économique d’envergure ne saurait être honnête et que ses actions en faveur de l’environnement ne servent qu’à « laver » sa conscience écologique ou à « blanchir » une activité néfaste par ailleurs, comme une sorte de façade démagogique.
L’asymétrie du conflit : un trompe-l’oeil en matière de guerre de l’information
Compte tenu de cette prédisposition des opposants à occuper et modeler l’espace informationnel, on peut se demander si l’asymétrie du conflit dans les cas de guerre de l’information est vraiment identique à celle des situations insurrectionnelles. Si un Etat dispose généralement de moyens (matériels, humains, administratifs et militaires) supérieurs à ceux d’une fraction insurgée de sa population civile, une attaque informationnelle peut tout à fait provenir d’une ONG mieux dotée que les acteurs qu’elle cible.
Par exemple, l’association animaliste et antispéciste L214 est certainement plus puissante financièrement [6] que bon nombre d’agriculteurs subissant directement ou indirectement les conséquences de ses attaques, et plus puissante encore que ceux-ci sur le plan de la communication d’influence (maîtrise des codes et espaces de diffusion…).
Mais l’habileté des opposants réside dans ce que l’ambiance dominante du monde des idées (universités, milieux littéraire et intellectuel) et de l’information (médias institutionnels ou sociaux) prépare le terrain aux attaques informationnelles en donnant l’illusion d’une asymétrie. Cette ambiance (le discours dominant) polarise les représentations de la façon suivante : les acteurs économiques (entreprises, organisations professionnelles) sont volontiers perçus comme dominants, forts, voire prompts à l’abus de pouvoir et organisés en « lobbies », crispés sur des intérêts particuliers. Les militants de certaines causes sont quant à eux perçus comme des bénévoles dévoués à un intérêt général bafoué par les puissants, souvent héroïques même lorsqu’ils franchissent la barrière de l’illégalité.
Dans un tel système de représentation le fort est quasiment toujours l’acteur économique, et le faible l’acteur de la société civile. L’asymétrie tient aussi au fait qu’une entreprise ou un acteur économique quelconque ne peut a priori pas user des mêmes arguments et méthodes que la société civile, il est « encombré par sa stature » tout comme le camp loyaliste sous la plume de Galula. Son rôle social le contraint à certaines exigences de respectabilité, de loyauté, de neutralité apparentes que les attaquants issus de la société civile n’ont pas à s’imposer. Les nouvelles formes d’activisme dites « radicales » jouent d’ailleurs de cette distorsion en recourant à des méthodes et des arguments toujours plus forts, violents et hors des rapports de force traditionnels (actions illégales violentes ou non, blocages…), donc hors d’atteinte des acteurs institutionnels qui demeurent tenus par les règles du jeu. La structure en « étoile de mer [7] » (starfish) de beaucoup de ces mouvements d’oppositions et la formation spontanée de petites cellules d’oppositions ad hoc à chaque occasion particulière (nouveau projet, produit, acteur…) renforce également l’apparente asymétrie : il n’y a à première vue que des petits groupes d’activistes assez isolés et sans grands moyens. Mais cela dissimule bien souvent la capacité d’influence réelle de ces groupes, qui vient de la circulation de l’information au sein d’une sorte de réseau tacite ou informel agissant comme une caisse de résonance, constituée d’individus et de cellules répondant aux mêmes codes, adhérant aux mêmes représentations, partageant un vocabulaire et une sensibilité commune qui s’auto-entretient de lutte en lutte et organise la distribution des forces militantes entre les différents points de contestation.
Dès lors, même si l’on peut considérer que les entreprises ou organisations professionnelles sont virtuellement plus puissantes que les activistes du fait de leurs capacités financières, relationnelles ou humaines, elles ne bénéficient pas de la même puissance de feu qu’un Etat faisant face à une insurrection. Un Etat a normalement une police, une armée, des moyens militaires concentrés et une administration. Dans le cas d’une attaque informationnelle société civileentreprise, le rapport de force est tout autre : les entreprises sont bien souvent désarmées et ne concentrent en tout cas pas de moyens supérieurs à la puissance de diffusion et de réaction d’un mouvement starfish. Par exemple, ce déséquilibre est criant sur les médias sociaux tels que Facebook : une opposition à un projet, une pétition quelconque peut surgir, l’opposition s’organiser et enfler dans un espace où la voix de l’entreprise ne porte absolument pas.
Si asymétrie il y a, elle est donc en faveur des attaquants en l’état actuel des choses. Le rapport pourrait s’inverser si un « arsenal » et une doctrine de communication d’influence étaient développés et entretenus par les entreprises, y compris sur des canaux où la communication ne peut être institutionnelle et conventionnelle (groupes divers sur les réseaux sociaux notamment). Une autre différence notable entre les deux situations est que s’il est certain que l’information joue un rôle essentiel pour (dé)favoriser une insurrection s’exprimant par la violence armée, un tel bouleversement de l’ordre établi bouscule aussi d’autres facteurs beaucoup plus concrets et matériels, à commencer par la survie, qui peut être très directement menacée. Autrement dit, ce n’est pas uniquement la propagande qui va porter le « coup psychologique » décisif pour faire basculer la population d’un côté ou de l’autre en situation insurrectionnelle. Tandis que les attaques informationnelles « pures », elles, jouent souvent uniquement sur le terrain des perceptions. Elles sont même parfois déconnectées des réalités tangibles : la population n’a que l’information ou le message diffusé pour se faire un avis. Dès lors, la manipulation, la tromperie, le mensonge sont beaucoup plus directement décisifs dans le cas des attaques informationnelles que dans celui d’une insurrection où la réalité pratique finit toujours par rattraper les représentations subjectives.
L’insurrection, in fine, se mate sur le terrain par le contrôle de la population. L’attaque informationnelle, au mieux, ouvre un débat « parole contre parole » qu’aucune réalité objective ne vient trancher de façon nette, incontestable et définitive. La doctrine du « bien faire et laisser dire » est donc parfaitement inappropriée. L’insurrection ou la contre-insurrection aboutit par le fait, tandis que l’influence s’épuise dans la perception des faits, la subjectivité, pour s’achever par le renoncement de la victime à poursuivre son activité ou par une décision tierce (par exemple un changement de législation) déterminés par la pression exercée.
Compte tenu de cette prédisposition des opposants à occuper et modeler l’espace informationnel, on peut se demander si l’asymétrie du conflit dans les cas de guerre de l’information est vraiment identique à celle des situations insurrectionnelles. Si un Etat dispose généralement de moyens (matériels, humains, administratifs et militaires) supérieurs à ceux d’une fraction insurgée de sa population civile, une attaque informationnelle peut tout à fait provenir d’une ONG mieux dotée que les acteurs qu’elle cible.
Par exemple, l’association animaliste et antispéciste L214 est certainement plus puissante financièrement [6] que bon nombre d’agriculteurs subissant directement ou indirectement les conséquences de ses attaques, et plus puissante encore que ceux-ci sur le plan de la communication d’influence (maîtrise des codes et espaces de diffusion…).
Mais l’habileté des opposants réside dans ce que l’ambiance dominante du monde des idées (universités, milieux littéraire et intellectuel) et de l’information (médias institutionnels ou sociaux) prépare le terrain aux attaques informationnelles en donnant l’illusion d’une asymétrie. Cette ambiance (le discours dominant) polarise les représentations de la façon suivante : les acteurs économiques (entreprises, organisations professionnelles) sont volontiers perçus comme dominants, forts, voire prompts à l’abus de pouvoir et organisés en « lobbies », crispés sur des intérêts particuliers. Les militants de certaines causes sont quant à eux perçus comme des bénévoles dévoués à un intérêt général bafoué par les puissants, souvent héroïques même lorsqu’ils franchissent la barrière de l’illégalité.
Dans un tel système de représentation le fort est quasiment toujours l’acteur économique, et le faible l’acteur de la société civile. L’asymétrie tient aussi au fait qu’une entreprise ou un acteur économique quelconque ne peut a priori pas user des mêmes arguments et méthodes que la société civile, il est « encombré par sa stature » tout comme le camp loyaliste sous la plume de Galula. Son rôle social le contraint à certaines exigences de respectabilité, de loyauté, de neutralité apparentes que les attaquants issus de la société civile n’ont pas à s’imposer. Les nouvelles formes d’activisme dites « radicales » jouent d’ailleurs de cette distorsion en recourant à des méthodes et des arguments toujours plus forts, violents et hors des rapports de force traditionnels (actions illégales violentes ou non, blocages…), donc hors d’atteinte des acteurs institutionnels qui demeurent tenus par les règles du jeu. La structure en « étoile de mer [7] » (starfish) de beaucoup de ces mouvements d’oppositions et la formation spontanée de petites cellules d’oppositions ad hoc à chaque occasion particulière (nouveau projet, produit, acteur…) renforce également l’apparente asymétrie : il n’y a à première vue que des petits groupes d’activistes assez isolés et sans grands moyens. Mais cela dissimule bien souvent la capacité d’influence réelle de ces groupes, qui vient de la circulation de l’information au sein d’une sorte de réseau tacite ou informel agissant comme une caisse de résonance, constituée d’individus et de cellules répondant aux mêmes codes, adhérant aux mêmes représentations, partageant un vocabulaire et une sensibilité commune qui s’auto-entretient de lutte en lutte et organise la distribution des forces militantes entre les différents points de contestation.
Dès lors, même si l’on peut considérer que les entreprises ou organisations professionnelles sont virtuellement plus puissantes que les activistes du fait de leurs capacités financières, relationnelles ou humaines, elles ne bénéficient pas de la même puissance de feu qu’un Etat faisant face à une insurrection. Un Etat a normalement une police, une armée, des moyens militaires concentrés et une administration. Dans le cas d’une attaque informationnelle société civileentreprise, le rapport de force est tout autre : les entreprises sont bien souvent désarmées et ne concentrent en tout cas pas de moyens supérieurs à la puissance de diffusion et de réaction d’un mouvement starfish. Par exemple, ce déséquilibre est criant sur les médias sociaux tels que Facebook : une opposition à un projet, une pétition quelconque peut surgir, l’opposition s’organiser et enfler dans un espace où la voix de l’entreprise ne porte absolument pas.
Si asymétrie il y a, elle est donc en faveur des attaquants en l’état actuel des choses. Le rapport pourrait s’inverser si un « arsenal » et une doctrine de communication d’influence étaient développés et entretenus par les entreprises, y compris sur des canaux où la communication ne peut être institutionnelle et conventionnelle (groupes divers sur les réseaux sociaux notamment). Une autre différence notable entre les deux situations est que s’il est certain que l’information joue un rôle essentiel pour (dé)favoriser une insurrection s’exprimant par la violence armée, un tel bouleversement de l’ordre établi bouscule aussi d’autres facteurs beaucoup plus concrets et matériels, à commencer par la survie, qui peut être très directement menacée. Autrement dit, ce n’est pas uniquement la propagande qui va porter le « coup psychologique » décisif pour faire basculer la population d’un côté ou de l’autre en situation insurrectionnelle. Tandis que les attaques informationnelles « pures », elles, jouent souvent uniquement sur le terrain des perceptions. Elles sont même parfois déconnectées des réalités tangibles : la population n’a que l’information ou le message diffusé pour se faire un avis. Dès lors, la manipulation, la tromperie, le mensonge sont beaucoup plus directement décisifs dans le cas des attaques informationnelles que dans celui d’une insurrection où la réalité pratique finit toujours par rattraper les représentations subjectives.
L’insurrection, in fine, se mate sur le terrain par le contrôle de la population. L’attaque informationnelle, au mieux, ouvre un débat « parole contre parole » qu’aucune réalité objective ne vient trancher de façon nette, incontestable et définitive. La doctrine du « bien faire et laisser dire » est donc parfaitement inappropriée. L’insurrection ou la contre-insurrection aboutit par le fait, tandis que l’influence s’épuise dans la perception des faits, la subjectivité, pour s’achever par le renoncement de la victime à poursuivre son activité ou par une décision tierce (par exemple un changement de législation) déterminés par la pression exercée.
La propagande de contre-insurrection selon Galula : quelles leçons pour la contre influence ?
Le manuel de David Galula présente étape par étape la progression de la contre-insurrection et livre la substance de la propagande qu’il faut destiner aux forces loyalistes, aux insurgés et à la population. Son propos structuré sur la propagande se limite toutefois aux 4 premières des 8 étapes de la contre-insurrection. Ces 4 étapes sont celles qui opèrent le passage d’une situation initiale de péril pour l’ordre établi (la situation insurrectionnelle) à une situation pacifiée où l’organisation insurgée est détruite. Les 4 étapes suivantes sont donc vouées à pérenniser le retour à la paix, à accompagner la résolution de la crise. On peut résumer ainsi son propos sur la propagande à mener durant les 4 premières étapes :
Le manuel de David Galula présente étape par étape la progression de la contre-insurrection et livre la substance de la propagande qu’il faut destiner aux forces loyalistes, aux insurgés et à la population. Son propos structuré sur la propagande se limite toutefois aux 4 premières des 8 étapes de la contre-insurrection. Ces 4 étapes sont celles qui opèrent le passage d’une situation initiale de péril pour l’ordre établi (la situation insurrectionnelle) à une situation pacifiée où l’organisation insurgée est détruite. Les 4 étapes suivantes sont donc vouées à pérenniser le retour à la paix, à accompagner la résolution de la crise. On peut résumer ainsi son propos sur la propagande à mener durant les 4 premières étapes :
A. La nécessité du contact
La première leçon qu’il faut en tirer est que la contre-insurrection se joue sur le terrain de jeu de l’insurrection, c’est-à-dire au sein de la population civile dans laquelle les insurgés se fondent. En d’autres termes, il est nécessaire d’aller au contact, de « descendre au niveau » de l’insurrection pour la combattre. Cette nécessité implique quelques adaptations de la part des forces armées qui doivent donc ajuster méthodes, attitudes et matériels aux spécificités de la situation. Concernant les attaques informationnelles, on peut estimer que l’exigence est la même : les entreprises et institutions attaquées par la société civile le sont généralement via des espaces qu’elles n’occupent pas, où elles ne se rendent pas présentes et visibles, où elles n’existent pas et laissent donc tout le loisir aux activistes de mener leur combat. Et pour cause, ce sont des terrains où la communication institutionnelle, la communication « du temps de paix » n’a pas sa place.
Pourtant, une méthode de communication sensible est le parallélisme des canaux : une attaque formulée sur un canal donné doit faire l’objet d’une réponse sur ce même canal. Ainsi le risque d’extension de la conflictualité à d’autres canaux est réduit (sectorisation). On peut donc considérer que les entreprises sujettes à ce type d’attaques devraient, au moins en prévision de crises éventuelles (et donc, par la même occasion, à des fins de renseignement), se rendre présentes sur le terrain informationnel de l’adversaire (réseaux sociaux, listes de diffusion et d’échanges…) pour pouvoir le combattre le cas échéant.
Cette présence parmi la population est d’ailleurs une clé de résolution du conflit. Car rappelons que l’insurrection se fonde sur une cause séduisante dans l’objectif de créer une forte volonté de rupture avec l’ordre établi au sein de la population. Or il est d’abord possible que cette cause séduisante soit manipulatoire : si elle se fonde sur des informations erronées ou manipulées, il peut être bon de couper l’herbe sous le pied de l’attaquant en démontrant la manipulation. Si en revanche une attaque informationnelle prospère sur des éléments objectifs (disparition de certaines espèces…) et/ou affectifs (violences infligées aux animaux…), la contre-attaque est moins aisée, tout comme la résolution des problèmes socio-politiques favorables à une insurrection.
Néanmoins, il existe toujours des arguments et des justifications valables qui, si elles sont portées et assumées, peuvent éviter à une opposition en voie de formation de se radicaliser et de s’enkyster et pacifier le terrain, éviter qu’il ne devienne trop favorable à une attaque. Le lien avec la population dès avant l’éclatement de la situation conflictuelle permet à la fois de renseigner, de priver les opposants du monopole de la parole et de la diffusion de l’information, et de s’exposer auprès de la population donc, potentiellement, de se rendre « humain » voire sympathique. Car la pratique montre que plus l’ennemi semble lointain et intouchable, plus les offensives sont brutales.
La première leçon qu’il faut en tirer est que la contre-insurrection se joue sur le terrain de jeu de l’insurrection, c’est-à-dire au sein de la population civile dans laquelle les insurgés se fondent. En d’autres termes, il est nécessaire d’aller au contact, de « descendre au niveau » de l’insurrection pour la combattre. Cette nécessité implique quelques adaptations de la part des forces armées qui doivent donc ajuster méthodes, attitudes et matériels aux spécificités de la situation. Concernant les attaques informationnelles, on peut estimer que l’exigence est la même : les entreprises et institutions attaquées par la société civile le sont généralement via des espaces qu’elles n’occupent pas, où elles ne se rendent pas présentes et visibles, où elles n’existent pas et laissent donc tout le loisir aux activistes de mener leur combat. Et pour cause, ce sont des terrains où la communication institutionnelle, la communication « du temps de paix » n’a pas sa place.
Pourtant, une méthode de communication sensible est le parallélisme des canaux : une attaque formulée sur un canal donné doit faire l’objet d’une réponse sur ce même canal. Ainsi le risque d’extension de la conflictualité à d’autres canaux est réduit (sectorisation). On peut donc considérer que les entreprises sujettes à ce type d’attaques devraient, au moins en prévision de crises éventuelles (et donc, par la même occasion, à des fins de renseignement), se rendre présentes sur le terrain informationnel de l’adversaire (réseaux sociaux, listes de diffusion et d’échanges…) pour pouvoir le combattre le cas échéant.
Cette présence parmi la population est d’ailleurs une clé de résolution du conflit. Car rappelons que l’insurrection se fonde sur une cause séduisante dans l’objectif de créer une forte volonté de rupture avec l’ordre établi au sein de la population. Or il est d’abord possible que cette cause séduisante soit manipulatoire : si elle se fonde sur des informations erronées ou manipulées, il peut être bon de couper l’herbe sous le pied de l’attaquant en démontrant la manipulation. Si en revanche une attaque informationnelle prospère sur des éléments objectifs (disparition de certaines espèces…) et/ou affectifs (violences infligées aux animaux…), la contre-attaque est moins aisée, tout comme la résolution des problèmes socio-politiques favorables à une insurrection.
Néanmoins, il existe toujours des arguments et des justifications valables qui, si elles sont portées et assumées, peuvent éviter à une opposition en voie de formation de se radicaliser et de s’enkyster et pacifier le terrain, éviter qu’il ne devienne trop favorable à une attaque. Le lien avec la population dès avant l’éclatement de la situation conflictuelle permet à la fois de renseigner, de priver les opposants du monopole de la parole et de la diffusion de l’information, et de s’exposer auprès de la population donc, potentiellement, de se rendre « humain » voire sympathique. Car la pratique montre que plus l’ennemi semble lointain et intouchable, plus les offensives sont brutales.
B. Concentrer les efforts sur l’attaquant à l’exclusion de la population
En revanche, lorsque le premier coup de semonce est parti, Galula perçoit très justement qu’il ne faut pas prendre la population à parti ni à témoin. Car l’insurgé a l’avantage psychologique : son attaque repose sur un terrain favorable et une cause suffisamment séduisante pour engager une rupture avec l’ordre établi. Autrement dit, même si la population est neutre en apparence, il est probable qu’elle partage au moins partiellement (et secrètement) le sentiment qui a présidé à la décision de déclencher des hostilités.
Le premier temps de la situation conflictuelle appelle donc une contre-offensive dirigée exclusivement contre les insurgés/attaquants, qui limite au maximum les dommages collatéraux parmi la population afin de ne pas risquer de la faire basculer du côté insurgé. Dans une contre-offensive informationnelle, cela signifie par exemple ménager la sensibilité de la population en ne répondant aux insurgés que sur la forme de leurs attaques, par exemple si celles-ci sont particulièrement violentes voire injurieuses, manipulatoires ou diffamatoires (le cas échéant, on peut d’ailleurs judiciariser ces faits). Souvent, la population peut partager un sentiment commun avec les attaquants/insurgés mais ne pas partager une partie de son discours, de ses méthodes ou de ses motivations.
L’exemple des black blocks est à ce titre particulièrement frappant : au cours d’une manifestation, les participants peuvent partager un même sentiment de colère et une même aspiration au changement radical mais une partie d’entre eux, voire une majorité, s’inscrit toujours en faux quant aux méthodes des activistes en noir [8]. L’enjeu du contre-attaquant est donc de briser les forces insurgées/attaquantes actives sans heurter la majorité silencieuse, potentiellement supportrice en secret de la cause insurgée. Pour cela, il peut pousser l’attaquant à la faute, par exemple en fournissant un travail de renseignement pointu qui lui permet de discriminer très précisément ce que la population ne soutient pas dans la cause insurgée, et en le poussant à agir dans cette direction impopulaire.
En revanche, lorsque le premier coup de semonce est parti, Galula perçoit très justement qu’il ne faut pas prendre la population à parti ni à témoin. Car l’insurgé a l’avantage psychologique : son attaque repose sur un terrain favorable et une cause suffisamment séduisante pour engager une rupture avec l’ordre établi. Autrement dit, même si la population est neutre en apparence, il est probable qu’elle partage au moins partiellement (et secrètement) le sentiment qui a présidé à la décision de déclencher des hostilités.
Le premier temps de la situation conflictuelle appelle donc une contre-offensive dirigée exclusivement contre les insurgés/attaquants, qui limite au maximum les dommages collatéraux parmi la population afin de ne pas risquer de la faire basculer du côté insurgé. Dans une contre-offensive informationnelle, cela signifie par exemple ménager la sensibilité de la population en ne répondant aux insurgés que sur la forme de leurs attaques, par exemple si celles-ci sont particulièrement violentes voire injurieuses, manipulatoires ou diffamatoires (le cas échéant, on peut d’ailleurs judiciariser ces faits). Souvent, la population peut partager un sentiment commun avec les attaquants/insurgés mais ne pas partager une partie de son discours, de ses méthodes ou de ses motivations.
L’exemple des black blocks est à ce titre particulièrement frappant : au cours d’une manifestation, les participants peuvent partager un même sentiment de colère et une même aspiration au changement radical mais une partie d’entre eux, voire une majorité, s’inscrit toujours en faux quant aux méthodes des activistes en noir [8]. L’enjeu du contre-attaquant est donc de briser les forces insurgées/attaquantes actives sans heurter la majorité silencieuse, potentiellement supportrice en secret de la cause insurgée. Pour cela, il peut pousser l’attaquant à la faute, par exemple en fournissant un travail de renseignement pointu qui lui permet de discriminer très précisément ce que la population ne soutient pas dans la cause insurgée, et en le poussant à agir dans cette direction impopulaire.
C. Recréer les liens rompus avec la population
Reconquérir la population ne se fera que petit à petit, en maintenant le contact et en tissant des liens d’intérêt avec elle. Une fois l’insurrection affaiblie, il faut consolider et éviter qu’elle ne resurgisse. Sur le plan informationnel, cet affaiblissement de la cause des attaquants peut passer par une « chasse » : si l’attaquant se sent encerclé dans un espace donné (par exemple un groupe Facebook), il va le quitter et, éventuellement, se replier vers un autre groupe plus restreint. L’objectif pourrait alors être d’asphyxier l’opposition en l’obligeant à se replier dans un espace tellement confiné qu’elle ne diffuse plus sa cause qu’auprès de quelques « vieux-croyants » déjà convaincus [9].
L’espace ainsi « nettoyé » devient donc le terrain de jeu des forces loyalistes. Mais Galula insiste sur la nécessité de jouer la réversibilité auprès de la population : les coups portés à l’insurrection ne suffisent pas à résoudre la situation qui demeure précaire et dangereuse, la population pouvant d’un instant à l’autre basculer dans l’insurrection. C’est pourquoi Galula recommande une présence loyaliste qui ne soit pas prosélyte. Les loyalistes ne cherchent pas à convaincre du bienfondé de leur action ou de leur légitimité. Ils se contentent d’être, ils font acte de présence et se rendent utiles à la population, ce qui ne signifie pas qu’il ne faut pas travailler à résoudre les problèmes profonds qui ont suscité l’insurrection.
Mais ils ne s’adressent pas tant aux sentiments profonds de la population (sinon celui de sécurité, que leur présence garantit) qu’ils ne cherchent à satisfaire ses intérêts, à répondre à ses enjeux particuliers. Resserrer les liens passe d’abord par la redécouverte du besoin : j’ai besoin du camp loyaliste qui m’assiste dans ma vie quotidienne, m’apporte certains biens et services, me protège. La redécouverte du lien social pacifié (par la discussion, à l’exclusion des sujets politiques et polémiques, par le jeu, etc.) est aussi fondamental après une période de conflit ouvert où, nature clandestine de l’insurrection oblige, la suspicion mutuelle et permanente à l’égard de tout un chacun est de mise. Puis très progressivement, avec le tact suffisant pour ne pas donner le sentiment de manipuler les consciences, on peut influencer positivement.
C’est par exemple ce que font certaines organisations étudiantes militantes (syndicats ou autres) en organisant des « réunions d’information » sur des sujets d’actualité pouvant affecter la condition étudiante. Certes, ces réunions remplissent leur rôle de diffusion d’information, mais par la même occasion elles exposent les participants à une « ambiance » militante, à des biais de perception, un vocabulaire particulier et choisi qui, si l’illusion de légitimité voire d’objectivité est assurée, va satisfaire leurs enjeux (être informés et défendre leurs droits) et influencer les participants dans un sens donné.
Reconquérir la population ne se fera que petit à petit, en maintenant le contact et en tissant des liens d’intérêt avec elle. Une fois l’insurrection affaiblie, il faut consolider et éviter qu’elle ne resurgisse. Sur le plan informationnel, cet affaiblissement de la cause des attaquants peut passer par une « chasse » : si l’attaquant se sent encerclé dans un espace donné (par exemple un groupe Facebook), il va le quitter et, éventuellement, se replier vers un autre groupe plus restreint. L’objectif pourrait alors être d’asphyxier l’opposition en l’obligeant à se replier dans un espace tellement confiné qu’elle ne diffuse plus sa cause qu’auprès de quelques « vieux-croyants » déjà convaincus [9].
L’espace ainsi « nettoyé » devient donc le terrain de jeu des forces loyalistes. Mais Galula insiste sur la nécessité de jouer la réversibilité auprès de la population : les coups portés à l’insurrection ne suffisent pas à résoudre la situation qui demeure précaire et dangereuse, la population pouvant d’un instant à l’autre basculer dans l’insurrection. C’est pourquoi Galula recommande une présence loyaliste qui ne soit pas prosélyte. Les loyalistes ne cherchent pas à convaincre du bienfondé de leur action ou de leur légitimité. Ils se contentent d’être, ils font acte de présence et se rendent utiles à la population, ce qui ne signifie pas qu’il ne faut pas travailler à résoudre les problèmes profonds qui ont suscité l’insurrection.
Mais ils ne s’adressent pas tant aux sentiments profonds de la population (sinon celui de sécurité, que leur présence garantit) qu’ils ne cherchent à satisfaire ses intérêts, à répondre à ses enjeux particuliers. Resserrer les liens passe d’abord par la redécouverte du besoin : j’ai besoin du camp loyaliste qui m’assiste dans ma vie quotidienne, m’apporte certains biens et services, me protège. La redécouverte du lien social pacifié (par la discussion, à l’exclusion des sujets politiques et polémiques, par le jeu, etc.) est aussi fondamental après une période de conflit ouvert où, nature clandestine de l’insurrection oblige, la suspicion mutuelle et permanente à l’égard de tout un chacun est de mise. Puis très progressivement, avec le tact suffisant pour ne pas donner le sentiment de manipuler les consciences, on peut influencer positivement.
C’est par exemple ce que font certaines organisations étudiantes militantes (syndicats ou autres) en organisant des « réunions d’information » sur des sujets d’actualité pouvant affecter la condition étudiante. Certes, ces réunions remplissent leur rôle de diffusion d’information, mais par la même occasion elles exposent les participants à une « ambiance » militante, à des biais de perception, un vocabulaire particulier et choisi qui, si l’illusion de légitimité voire d’objectivité est assurée, va satisfaire leurs enjeux (être informés et défendre leurs droits) et influencer les participants dans un sens donné.
Conclusion récapitulative
La principale différence entre situations d’insurrection et d’attaque informationnelle réside dans l’asymétrie propre à chacun des deux types de conflits. L’insurrection, et par extension la guerre révolutionnaire (contre-insurrection) est une guerre asymétrique où le « fort » est généralement le camp loyaliste. Dans les situations d’attaque informationnelle, en dépit des représentations collectives, les entreprises et autres acteurs « institutionnels » sont encore largement « sous-armés » pour la guerre de l’information contre la société civile, dans des espaces où la communication institutionnelle est impossible. Le premier enseignement de cette étude porte donc sur la nécessité de créer ou de se saisir des armes nécessaires pour mener cette guerre, tout comme les forces armées se sont dotées des armes, méthodes et doctrines spécifiques à la contre-insurrection (actions clandestines, de guerre en ville…). Des modalités de « rattrapage symétrique » existent, notamment le fonctionnement en war room (social room du temps de crise) et la possibilité, par l’embauche de communicants ou le recours à des prestataires spécialisés, de multiplier les actes de présence et d’influence sur les réseaux sociaux notamment, y compris sous des formes non-institutionnelles. Pour ce qui est de la doctrine d’action, nous pouvons tirer de cette étude des enseignements plus clairs, résumés dans le tableau ci-dessous.
La principale différence entre situations d’insurrection et d’attaque informationnelle réside dans l’asymétrie propre à chacun des deux types de conflits. L’insurrection, et par extension la guerre révolutionnaire (contre-insurrection) est une guerre asymétrique où le « fort » est généralement le camp loyaliste. Dans les situations d’attaque informationnelle, en dépit des représentations collectives, les entreprises et autres acteurs « institutionnels » sont encore largement « sous-armés » pour la guerre de l’information contre la société civile, dans des espaces où la communication institutionnelle est impossible. Le premier enseignement de cette étude porte donc sur la nécessité de créer ou de se saisir des armes nécessaires pour mener cette guerre, tout comme les forces armées se sont dotées des armes, méthodes et doctrines spécifiques à la contre-insurrection (actions clandestines, de guerre en ville…). Des modalités de « rattrapage symétrique » existent, notamment le fonctionnement en war room (social room du temps de crise) et la possibilité, par l’embauche de communicants ou le recours à des prestataires spécialisés, de multiplier les actes de présence et d’influence sur les réseaux sociaux notamment, y compris sous des formes non-institutionnelles. Pour ce qui est de la doctrine d’action, nous pouvons tirer de cette étude des enseignements plus clairs, résumés dans le tableau ci-dessous.
Retenons enfin que si la comparaison entre situations d’insurrection et d’attaque informationnelle émanant de la société civile fonctionne, elle n’est pas parfaite. La logique des opérations psychologiques prescrites par David Galula demeure néanmoins valable et transposable, car elle repose sur une subtile compréhension du rapport de forces. L’action concrète dans le domaine de la contre-influence et de la contre-attaque informationnelle devra trouver dans l’expérience les variables d’ajustement de ces principes pour parfaire l’approche proposée.
Valentin Fontan-Moret,
Consultant-Formateur en Intelligence économique
1 Voir « Guerre économique et guerre cognitive », Gagliano Giuseppe, juin 2016, cf2r.org
(https://cf2r.org/tribune/guerre-economique-et-guerre-cognitive/)
2 Voir « Le décryptage des encerclements cognitifs », Christian Harbulot, 27 mai 2019, epge.fr
(http://www.epge.fr/le-decryptage-des-encerclements-cognitifs/)
3 Que l’on peut aussi appeler « agents d’influence » quand leur fin n’est pas de s’opposer à un objectif particulier du décideur mais plutôt de l’influencer en faveur d’une idée, d’une représentation ou d’un autre acteur par exemple.
4 Le déclin du sentiment d’appartenance à une société, plus encore à une nation, fait partie des circonstances aggravantes de ce phénomène. Le « commun » cède progressivement le pas à une guerre latente de chacun contre tous, où seuls quelques milieux parviennent encore à former de petites communautés en marge de la « communauté nationale », et défendent leurs intérêts propres – parfois en revendiquant l’incarnation du « commun » alors qu’elles militent pour la marginalisation de certains acteurs de la société.
5 Selon le principe de la « fenêtre d’Overton », qui désigne l’étendue des discours acceptable dans une société donnée. Des stratégies pouvant être adoptées pour travailler à étendre ou restreindre cette fenêtre.
6 Voir notamment « L’association L214 est-elle financée par une fondation américaine », 27 juin 2019, Liberation.fr (https://www.liberation.fr/checknews/2019/06/27/l-association-l214-est-elle-financee-par-une-fondationamericaine_1736358)
7 Voir « Starfish et A.L.F : les modèles d’Al Qaïda ? », Eric Denécé, octobre 2016, cf2r.org (https://cf2r.org/reflexion/starfish-et-a-l-f-les-modeles-dal-qaida/)
8 Mais une situation de forte tension peut faire basculer cette partie de l’opinion a priori hostile à certaines méthodes d’actions et de contestation. Ainsi a-t-on vu, au pic du mouvement des Gilets jaunes, certains manifestants rompre avec l’idéal de manifestation pacifique qu’ils défendaient peut-être auparavant.
9 Mais il faut noter que cela a aussi des inconvénients : en poussant les attaquants à toujours plus de clandestinité, on complique le travail de renseignement. Cela peut aussi les conduire à choisir des modes d’action plus violents.
Valentin Fontan-Moret,
Consultant-Formateur en Intelligence économique
1 Voir « Guerre économique et guerre cognitive », Gagliano Giuseppe, juin 2016, cf2r.org
(https://cf2r.org/tribune/guerre-economique-et-guerre-cognitive/)
2 Voir « Le décryptage des encerclements cognitifs », Christian Harbulot, 27 mai 2019, epge.fr
(http://www.epge.fr/le-decryptage-des-encerclements-cognitifs/)
3 Que l’on peut aussi appeler « agents d’influence » quand leur fin n’est pas de s’opposer à un objectif particulier du décideur mais plutôt de l’influencer en faveur d’une idée, d’une représentation ou d’un autre acteur par exemple.
4 Le déclin du sentiment d’appartenance à une société, plus encore à une nation, fait partie des circonstances aggravantes de ce phénomène. Le « commun » cède progressivement le pas à une guerre latente de chacun contre tous, où seuls quelques milieux parviennent encore à former de petites communautés en marge de la « communauté nationale », et défendent leurs intérêts propres – parfois en revendiquant l’incarnation du « commun » alors qu’elles militent pour la marginalisation de certains acteurs de la société.
5 Selon le principe de la « fenêtre d’Overton », qui désigne l’étendue des discours acceptable dans une société donnée. Des stratégies pouvant être adoptées pour travailler à étendre ou restreindre cette fenêtre.
6 Voir notamment « L’association L214 est-elle financée par une fondation américaine », 27 juin 2019, Liberation.fr (https://www.liberation.fr/checknews/2019/06/27/l-association-l214-est-elle-financee-par-une-fondationamericaine_1736358)
7 Voir « Starfish et A.L.F : les modèles d’Al Qaïda ? », Eric Denécé, octobre 2016, cf2r.org (https://cf2r.org/reflexion/starfish-et-a-l-f-les-modeles-dal-qaida/)
8 Mais une situation de forte tension peut faire basculer cette partie de l’opinion a priori hostile à certaines méthodes d’actions et de contestation. Ainsi a-t-on vu, au pic du mouvement des Gilets jaunes, certains manifestants rompre avec l’idéal de manifestation pacifique qu’ils défendaient peut-être auparavant.
9 Mais il faut noter que cela a aussi des inconvénients : en poussant les attaquants à toujours plus de clandestinité, on complique le travail de renseignement. Cela peut aussi les conduire à choisir des modes d’action plus violents.