Burkina Faso, portrait d’une Afrique martyrisée



Publié par Antoine Vandevoorde le 11 Juin 2019

Depuis plusieurs années maintenant, le Burkina Faso est devenu le théâtre d’une faillite généralisée qui peine à s’estomper. Suite à la chute de l’ancien président Blaise Compaoré en 2014, le pays s’enfonce peu à peu dans une spirale sécuritaire infernale. L’éviction du « Beau Blaise » tel que qualifié par ses soutiens porte le coup de grâce à une unité nationale déjà fragile, ouvrant la porte à divers groupes djihadistes dans un contexte de marasme politique. Cinq ans plus tard, une fin du tourment burkinabé est-elle de plus en plus illusoire ?



Destitution de Blaise Compaoré : une nature qui a horreur du vide
 
Au mois d’octobre 2014, tout s’accélère au Burkina Faso. Blaise Compaoré, l’homme fort à la tête du pays depuis 27 ans promulgue un projet de réforme constitutionnelle qui lui permettrait de s’arroger 15 années supplémentaires au pouvoir. L’annonce provoque un tollé auprès de la société civile, qui entend renverser le « despote » arrivé au pouvoir par le putsch de 1987. Trois jours durant, de violentes manifestations ont lieu dans l’ensemble du pays avec pour conclusion la destitution effective du président Compaoré. Seulement voilà : la nature a horreur du vide.
 
En parallèle à un exercice autoritaire du pouvoir, l’ancien président s’était méticuleusement positionné comme médiateur incontournable dans les négociations africaines. Ce dernier s’était illustré comme interlocuteur privilégié des groupes Touaregs maliens en 2013, comptant notamment le mouvement terroriste d’alors Ansar Dine d’Iyad Ag-Ghali. Dans ce contexte, les contempteurs de l’ex-président avaient pointé du doigt des pourparlers concernant avant tout une sanctuarisation du territoire burkinabé en dépit de la situation sécuritaire du Sahel.
 
Suite à la chute de celui qui aurait pris part à l’assassinat de Thomas Sankara, le Burkina Faso entre dans une période noire. Le containment du djihad officieusement exercé par Blaise Compaoré s’effondre, laissant la voie libre aux mouvances islamistes en provenance du Mali. Des groupes tels qu’Ansarul Islam, le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM, ex-Ansar Dine) ou encore l’État islamique au Grand Sahara (GSIM – ex Al-Mourabitoune) perpètrent plusieurs attaques meurtrières à Ouagadougou et dans l’ensemble du pays entre 2015 et 2019.
 
Un état de fait que l’actuel président Roch Marc Kaboré attribue à l’ambivalence de la position de Blaise Compaoré : « L’ex-président a joué un rôle de médiation au Mali qui fait que, de façon constante, nous avons eu ces collusions avec les forces djihadistes au Mali ». Le Burkina Faso est en cela devenu l’hôte fécond d’un parasite islamiste qui ne semble avoir de cesse de gangréner l’Afrique, et de s’y implanter sur le long terme.
 
Modalités de la pérennisation des groupes djihadistes au Burkina Faso
 
Suite aux évènements politico-institutionnels de 2014, la question de la stratégie des groupes djihadistes sur le territoire national s’est rapidement posée. Le constat paraît aujourd’hui sans appel : les incursions répétées ont fait place à une certaine sédentarisation du djihad au Burkina Faso, comme arrière-base privilégiée aux côtés du Mali de ses opérations ouest-africaines. En cela, une donnée apparaît comme centrale pour comprendre la pérennité de ces mouvements extrémistes : l’instrumentalisation de la colère des Burkinabés contre l’État central.
 
À l’hypothèse d’un soulèvement populaire contre le djihad islamique, la réalité au Burkina Faso oppose pourtant une situation très différente. Le cas de l’est du pays à proximité de la frontière nigérienne est ici particulièrement éclairant. La zone est aujourd’hui sous la coupe d’une alliance entre plusieurs groupes djihadistes, étant parvenus à former des milices armées constituées de citoyens burkinabés. L’adhésion populaire est au cœur de la stratégie djihadiste pour perdurer, comme le démontre le témoignage d’un habitant de Bartiébougou, interrogé par la journaliste Ruth Maclean pour le Guardian : « Les djihadistes disent qu’ils aiment les gens qui travaillent, qu’ils se battent contre l’État. Tout le monde est d’accord avec eux ».
 
Pour Ansarul-Islam, l’EIGS ou encore le GSIM, le soutien populaire passe inéluctablement par l’adhésion à un double-discours, à mi-chemin entre islam radical et dimension sociale. Ces derniers ont d’emblée adopté une posture de pourvoyeurs face aux manquements de l’État burkinabé. Ainsi, les groupes islamistes se sont accaparé le contrôle des exploitations aurifères, énergétiques et se sont érigés en protecteurs autoproclamés de la population. De surcroît, Ruth Maclean explique qu’en ce sens : « Les groupes distribuent à la population du maïs, des médicaments […] un salaire mensuel de 600 dollars pour ceux qui travaillent avec eux (trois fois le salaire d’un enseignant) ainsi qu’une prime de 800 dollars pour ceux qui participent aux attaques ».
 
Toutefois, cette stratégie insidieuse ne saurait occulter la recrudescence d’exactions commises contre les populations locales. Ce prétendu « état islamique providence » réclame à l’instar d’un système mafieux le prix du sang à ses opposants. C’est ce dont témoignent certains habitants de l’est du pays, faisant état de nombreux interdits et obligations (tabac, alcool, musique, port du voile, obligation d’écouter les sermons) sous peine d’une exécution arbitraire. Pire encore, des massacres de femmes prostituées et d’individus soupçonnés d’espionnage auraient été recensés à proximité des sites miniers et dans les villes contrôlées.
 
Des perspectives qui s’assombrissent inéluctablement
 
Face à ce double-discours et à l’engouement qu’il peut susciter, de quels moyens se dote le pouvoir central burkinabé pour mettre à mal l’idéologie salafiste ? Ouagadougou a clairement pris le parti d’une guerre ouverte et parfois aveugle contre les djihadistes, et par extension des communautés soupçonnées de connivence avec ces derniers. Les pertes territoriales ont engendré des opérations de riposte violentes de la part des militaires notamment à l’encontre des populations peules, mais également dans le cadre d’expéditions punitives dans des villages. Ce fut le cas en février 2019 dans la région du Yatenga, où le Mouvement burkinabé des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) a accusé l’armée d’une soixantaine d’exécutions sommaires.
 
En dépit de l’impératif de faire renaitre la confiance dans les institutions, l’Etat burkinabé s’emploie indirectement de par l’entremise de l’armée à s’aliéner une partie plus grande encore de la population et à souffler sur les braises d’une haine tenace pourtant à l’origine de la situation actuelle. Une situation dont ont tiré parti les groupes salafistes en 2019, en ciblant des populations chrétiennes. Le 2 avril, un pasteur protestant et cinq fidèles ont été abattus à Silgadji, suivi un mois plus tard, le 12 mai, d’une attaque similaire contre un lieu de culte catholique à Dablo. Le conflit, de prime abord motivé par des prétextes sociopolitiques de la part des mouvements djihadistes semble aujourd’hui transiter vers une dimension ethnoreligieuse.
 
Depuis 2018, la démultiplication des attaques témoigne d’un délitement en voie d’intensification sur l’ensemble des zones frontalières du pays. L’armée burkinabé a notamment mené des raids de représailles dans les zones de Pama et Gayeri au mois de septembre en réponse à plusieurs assassinats et attentats quasi simultanés, ouvrant en ce sens un nouveau front à proximité du Niger et du Bénin. Cette situation précaire s’est également traduite par l’enlèvement de quatre touristes (dont deux français) dans le parc national de la Pendjari, à cheval entre Burkina Faso et Bénin. L’opération militaire française menée par le commando Hubert à proximité de la frontière malienne a en cela mis en lumière les facilités de déplacement des groupes terroristes sur le territoire.
 
Face à la contagion djihadiste que subit de plein fouet le Burkina Faso, l’État central, les forces conjuguées du G5 Sahel ou encore les puissances étrangères sur zone telle que la France (dans le cadre de l’opération Sabre) semblent relativement dépassés. Il est en l’espèce difficile d’évoquer des scénarios de sortie de crise tant la situation semble au point mort.  Cependant, c’est dans ce contexte que le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP), parti crée par Blaise Compaoré a lancé fin 2018 un appel au retour de l’ancien président. Malgré l’aspect fantaisiste de cette hypothèse, la situation démontre qu’il faut presque s’attendre à tout pour l’avenir du pays, excepté le meilleur.
 
Pour approfondir le sujet de la situation au Burkina Faso :
 
AFP – 20 MINUTES, « Burkina Faso : Blaise Compaoré chute après 27 ans de pouvoir », 20 Minutes, 30 octobre 2014
 
AIRAULT Pascal, « Après le Mali, la détérioration de la sécurité au Burkina Faso inquiète la France », L’Opinion, 17 septembre 2018
 
COURRIER INTERNATIONAL, « Le Burkina Faso dans la tourmente du terrorisme », Courrier International, 13 mai 2019
 
DOUCE Sophie, « Au Burkina Faso, la dégradation de la situation sécuritaire gagne du terrain », Le Monde, 18 février 2019
 
LE PAYS, « La menace d’une guerre de religions », Le Pays, 12 mai 2019, repris par Courrier International n° 1489 du 16 au 22 mai 2019, p. 19
 
MACLEAN Ruth, « Burkina Faso. Vivre avec les djihadistes », The Guardian, 22 avril 2019, repris par Courrier International n° 1489 du 16 au 22 mai 2019, p. 16-18
 
RFI, « Burkina Faso : la CDP plaide pour le retour de Blaise Compaoré au pays », RFI, 19 novembre 2018

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